Burkina/Justice : Un conducteur de train poursuivi pour avoir broyé le pied d’un jeune alors qu’il dormait sur les rails

C’est pour des faits de blessure involontaire ayant entraîné une incapacité permanente de travail, que le conducteur de train SS a comparu devant le Tribunal correctionnel, ce mardi 28 janvier 2025. Il lui est reproché d’être passé sur le pied de MK, qui s’était endormi là, sur les rails, après avoir ressenti des vertiges. Toute chose qui a eu pour conséquence, l’amputation de son pied gauche.
À l’appel de ce dossier enrôlé pour être jugé ce mardi 29 février 2025, la victime MK s’est avancée en béquilles, le pied gauche amputé depuis la hanche. L’histoire qui est la sienne s’assimile à un film de fiction, quand bien même sa situation n’a rien de séduisant. Son membre amputé vient du fait qu’il s’est endormi sur des rails, après avoir ressenti des vertiges, alors qu’il se baladait dans un quartier de la ville de Ouagadougou.
"Ce jour-là, je ne travaillais pas. Donc je suis sorti marcher un peu. J’ai senti à un moment que ma tête tournait. Il était environ 20h, 20h30. Je me suis donc assis sur les rails, le temps pour moi de reprendre mes esprits. À un moment je me suis endormi et après, évanoui. C’est quand le train est passé sur moi que je me suis réveillé", a relaté la victime pour ce qui est de sa mésaventure. "Ce qui vous arrive est malheureux, mais on dirait que c’est vous qui êtes allé chercher ça. Vous aviez bu non ?" questionnera le président, visiblement effaré après son récit.
"Non", répondra-t-il, avant de poursuivre en ces termes : "je reconnais que c’est moi qui me suis mal comporté. Je demande seulement au Tribunal de m’aider à pouvoir reprendre mon travail. Je suis tapissier. Avec ce que j’ai eu, les gens me tendent souvent la main, mais je sais que quand ils se lasseront de moi, je vais souffrir. Tout ce que je veux, c’est qu’on m’aide à avoir du travail seulement pour ne pas dépendre des gens au vu de mon handicap" s’est-il exclamé.
"J’ai actionné l’avertisseur sonore, mais il ne s’est pas réveillé"
Revenant sur les circonstances qui ont entouré cet accident, le prévenu, SS conducteur du train au moment des faits, relève qu’il n’est pas à son premier voyage Ouaga-Bobo. Selon ces dires, les obstacles sur le train sont fréquents. Ils rencontrent des arbustes, des pneus, des animaux, des mesures, etc. "Et pour prévenir que le train arrive lorsqu’on rencontre un obstacle, il y a ce qu’on appelle, l’avertisseur sonore" a-t-il d’abord planté comme décor.
Ensuite, poursuit-il : "quand j’ai vu l’obstacle, j’étais à environ 60 m. J’ai cru que c’était un sachet parce qu’il était de couleur noire et c’était à côté d’un dépotoir. J’ai donc actionné l’avertisseur, comme il fallait le faire. C’est une fois que j’ai franchi l’obstacle que je me suis rendu compte qu’il ne s’agissait pas d’un sachet. Mais plutôt d’un humain. J’ai donc actionné l’arrêt d’urgence mais j’avais passé l’obstacle d’environ 15 à 20 m".
À la question de savoir s’il s’est arrêté après avoir entendu les cris de la victime, le prévenu répondra par la négative. "Je n’ai pas entendu de cris. Quand je suis descendu, il était toujours, couché" a-t-il répondu.
"C’était un humain, ... il aurait pu s’arrêter"
Selon le Procureur, s’en sortir suite à cet accident ne relève pas seulement de la chance. Si vous êtes croyant, vous devez être reconnaissant vis-à-vis de votre créateur. "C’est incroyable" s’est-elle exclamée. Toutefois, questionne-t-elle la victime : "le président vous a demandé si vous aviez bu, mais moi je vous demande si vous vous étiez drogué".
"Je ne fume même pas de cigarette, n’en parlons pas de drogue" a-t-il répliqué. "Si vous n’aviez pas bu pas, vous ne fumez pas, vous ne vous droguez pas, on ne comprend pas comment vous avez fait pour ne pas vous réveiller quand le train est arrivé. En circulation, lorsque le train arrive, on s’arrête parce qu’il émet un bruit que tout le monde peut entendre. Même un enfant sait que les rails, c’est uniquement pour le train. Mais je ne comprends pas pourquoi vous, vous partez dormir là-bas" dira-t-elle, tout en reprochant quand même au prévenu de ne s’être pas arrêté, à la vue de l’obstacle.
"Il est vrai que le train ne peut s’arrêter d’un trait. Il est vrai que le conducteur pouvait penser que c’est un sachet. Mais c’est justement parce que c’en est pas un, qu’on est là. Malheureusement, c’est un humain, un humain qui a perdu un de ses pieds. Vu qu’il doutait de ce qu’était vraiment l’obstacle, il aurait pu s’arrêter" a-t-elle regretté, demandant par la même occasion que le prévenu soit condamné pour maladresse, conformément à l’article 552-2 du code pénal qui dispose :
"Est puni d’une peine d’emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de deux cent cinquante mille (250 000) à deux millions (2 000 000) de francs CFA, quiconque cause à autrui par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation d’une loi ou d’un règlement, des blessures, coups, maladies entraînant une incapacité totale de travail de plus de trois mois". Contre ce dernier, elle a requis 3 mois d’emprisonnement et une amende de 250.000 francs CFA, le tout assorti de sursis.
"La victime elle-même a violé la loi"
Tout en remerciant le procureur pour les observations faites, Me Josué Ouédraogo, conseil du prévenu, dit ne pas comprendre les réquisitions qui en ont découlé. Selon ces dires, la maladresse reprochée à son client n’a pas lieu d’être. Pour sa défense, il invoque l’article 61.5 du décret portant règlement sur la police, la sûreté, la réglementation des voies ferrées, qui dispose entre autres qu’il est interdit de se tenir sur les rails et qu’avant, toute personne devrait se munir d’une autorisation expresse.
Dans le cas d’espèce, la victime s’y est non seulement retrouvée sans autorisation expresse. Pire, elle s’y est endormie d’un sommeil divin. "Il a lui-même violé la loi et en plus de ça, il vient se plaindre" décrie-t-il. Par ailleurs, Me Ouédraogo soutient que toutes les diligences ont été prises par son client, qui est resté professionnel, selon lui. "Lorsqu’il a rencontré l’obstacle, il a actionné l’avertisseur sonore. Il n’y a pas eu de mouvement" a-t-il d’abord précisé.
"Et il s’agit là, d’une locomotive thermique. L’avertisseur sonore fait davantage de bruit que tous les groupes que nous avons ici. Lorsqu’il retentit, même à 200 m, vous avez l’impression que le sol se dérobe sous vos pieds. Cela n’a pas suffi à le réveiller. On est encore tenté de se demander si, comme le disait le procureur, la victime n’était pas sous l’emprise de substance. Mais nous n’en sommes pas là. Une chose est sûre, la victime n’a pas bougé. Ce qui pouvait conforter mon client sur le fait qu’il s’agissait bel et bien d’un sachet, vu qu’il a clairement dit que c’était à côté d’une poubelle" a poursuivi Me Ouédraogo.
Toujours selon lui, l’éclairage neutre de la zone où s’est produit l’accident, le fait que le train ne puisse s’arrêter brusquement, en plus du fait que la victime se soit retrouvée dans une zone où elle ne devrait pas, renforcent l’idée selon laquelle, la maladresse ne peut être retenue. "Dès que M. Sawadogo s’est aperçu que c’était un humain, il s’est arrêté. Les rails, ce n’est pas comme la route. Et on parle là d’un engin de plusieurs tonnes qui ne s’arrête pas immédiatement et qui ne tourne pas. S’il doit s’arrêter chaque fois qu’il voit un obstacle, il va arriver quand ? Le train ne peut pas faire autrement que de rouler sur les rails. Voilà pourquoi cet espace lui est réservé et que personne ne doit y être. Ce n’est pas une voiture qui peut bifurquer" a-t-il relevé, avant de conclure en ces termes :
"En résumé, nous avons d’une part, une victime qui ne devait pas être sur les rails mais qui s’y est retrouvée, sans autorisation expresse. D’autre part, on met tout en œuvre pour le réveiller, mais rien. Donc non seulement, il a violé la loi, mais en plus de ça, il poursuit celui qui a fait preuve de toutes les diligences possibles et il demande à ce qu’on le condamne... Au vu de tout ce qui précède, je plaide, qu’il vous plaise, M. le président, de renvoyer la victime des fins de la poursuite pour infraction non constituée et de déclarer irrecevable la constitution de partie civile".
Le verdict est attendu pour le 18 février 2025.
Erwan Compaoré
Lefaso.net