Burkina : La politique étrangère à l’ère de la révolution sankariste

RTB
Arrivé au pouvoir le 4 août 1983 en proclamant la révolution démocratique et populaire, le capitaine Thomas Sankara avec le Conseil national de la révolution (CNR) a opéré une politique étrangère « radicalement nouvelle », qui s’est déployée à travers des discours anti-impérialistes, panafricanistes, tiers-mondistes, usant d’une liberté de ton et basée sur la préservation d’une autonomie diplomatique extraordinaire. Retour sur la politique étrangère du Burkina Faso dans les années Sankara.
La politique étrangère peut se définir comme l’action d’un État sur la scène internationale. C’est l’ensemble des objectifs ou la stratégie qu’un État met en œuvre dans l’espace international. L’auteur de « La politique étrangère : théories, méthodes et références », Jean-Frédéric Morin, la définit comme « les actions ou les règles gouvernant les actions d’une autorité politique indépendante déployée dans l’environnement international ». La diplomatie quant à elle, se définit comme les moyens qu’un État se donne, la manière dont un État s’y prend pour atteindre les objectifs de sa politique étrangère.
Pour comprendre la politique étrangère de la révolution d’août 83, il semble nécessaire de s’inscrire dans une perspective constructiviste des relations internationales. En effet, selon cette théorie, la manière dont un gouvernement perçoit le monde, les croyances et les valeurs de ses membres déterminent sa conduite sur la scène internationale. L’on peut déceler cette perception dans le DOP (Discours d’orientation politique) de Thomas Sankara et ses prises de positions. Et cela suggère que la révolution Sankariste a été marquée par une politique étrangère anti-impérialiste, panafricaniste et tiers-mondiste.
Une diplomatie à rebrousse-poil
La politique étrangère des années Sankara s’est déployée sous la forme d’une diplomatie qui rompt avec les usages habituels. Selon Benoît Beucher, auteur de « Le Burkina Faso et son environnement géopolitique, Annuaire français de relations Internationales », « le courage de la vérité, du moins une certaine conception de la vérité, devient le maître-mot de la diplomatie burkinabè ». Si la diplomatie voltaïque s’accommodait de par le passé de protocoles et de subterfuges dans la défense de ses intérêts, Thomas Sankara inaugure une diplomatie dont les termes « ne trouvent aucune traduction en langage diplomatique ».
Dans cette diplomatie, « toute vérité devient bonne à dire » et la langue de bois, autrefois support du discours diplomatique, est totalement bannie. Félix Houphouët Boigny dont les accointances avec la France ne plaît pas, est taxé par le capitaine révolutionnaire de « de vieux hibou au regard gluant ». François Mitterrand, lui, a eu sa dose lors d’un dîner que Thomas Sankara a pourtant organisé à son honneur : il lui donne un cours de morale et lui rappelle ses actes dont il en porte « l’entière responsabilité aujourd’hui, demain et pour toujours ».
Il refusa de participer aux XIe et XIIe sommets France-Afrique tenus respectivement en décembre 1984 à Bujumbura, au Burundi, et en décembre 1985 à Paris et les qualifia de « carcans organisationnels hérités de la période coloniale ». Les voisins du petit pays révolutionnaire, notamment le Togo, le Mali, la Côte d’Ivoire et le Niger sont taxés « d’ennemis de la révolution ». A l’OUA tout comme à l’ONU, les discours de Sankara étonnent et ne vont pas dans le sens du poil. Il dénonce ouvertement la duperie des grandes puissances, les manigances du capitalisme international et appelle à l’unité et à la solidarité de « tous ceux qui ont mal à quelque part ».
Une diplomatie sans influence
La révolution d’août 1983 est intervenue dans un contexte de guerre froide où le monde était bipolaire : la démocratie américaine contre le communisme soviétique et vice-versa. Dans ce contexte, la révolution a entrepris une politique étrangère autonome qui rejette « toute influence extérieure » et « toute ingérence dans ses affaires intérieures ». Issa Cissé, historien des relations internationales, note ce refus d’une influence quelconque en ces termes : « En observant de près la gestion de sa politique étrangère, le constat qui se dégage est que le CNR a fait recours à une stratégie afin d’éviter une quelconque domination d’un pays progressiste en lieu et place des pays capitalistes déjà accusés d’impérialistes. Cette stratégie a consisté à jouer sur une certaine rivalité ou concurrence dans les relations avec l’Albanie, l’URSS, la Corée du Nord et la Chine. Dans le cas des pays arabo-islamiques, la Libye a été opposée à l’Algérie, l’Algérie et la Libye opposées à l’Iran. L’Iran l’Algérie et la Libye, pays progressistes, opposés à l’Arabie saoudite et au Kuweit, pays modérés ».
Le président du CNR n’entend pas se laisser dicter un ordre quelconque, pas même de ses alliés progressistes. Il garde une liberté de ton. Même face à ses amis, il opère une politique étrangère de non alignement. Le guide libyen Kadhafi, soupçonné de soutenir le coup d’État de 83, a été sommé « de s’abstenir de continuer ce pont aérien que nous n’avions pas demandé ». La Russie voulant prouver sa générosité envers le Burkina révolutionnaire s’est vu refuser l’envoi de son blé au pays des hommes intègres, Sankara considérait que « l’impérialisme n’est pas loin, il est dans les assiettes ».
Benoît Beucher note qu’il s’agit d’une politique étrangère empreinte de « patriotisme, de nationalisme sourcilleux » qui « constitue, à n’en pas douter, la ligne de force de la diplomatie burkinabè sous la Révolution ». En effet, le capitaine révolutionnaire « rappelle fréquemment sa volonté de n’établir aucune alliance contraignante, aucune allégeance synonyme de diminution de sa souveraineté, fut-elle minime ».
Une diplomatie volontariste et irréelle
Si la politique étrangère s’exprime couramment en termes d’intérêts nationaux à défendre et à sauvegarder, la révolution a déployé une politique étrangère dont l’intérêt se résume à la lutte anti-impérialiste et à la promotion de la solidarité avec tous les peuples dominés. Ainsi Sankara se fait le porte-parole de tous les peuples exploités qui croupissent sous le joug de l’impérialisme. Lors de sa participation à la 34e session de l’Assemblée générale de l’ONU, il descend à Harlem – un petit quartier noir aux USA et déclare : « notre Maison blanche se trouve dans le Harlem noir ».
Il dénonce l’apartheid en Afrique du Sud et appelle « à la libération immédiate de Nelson Mandela ». Il dénonce l’insolence du sionisme israélien, l’hypocrisie des USA et appelle à l’indépendance immédiate du peuple palestinien. Il réclame également l’indépendance du peuple du Sahara occidental. Il prend position pour les sandinistes du Nicaragua et soutient le Front Farabundo Marti de libération nationale du Salvador. Avec Rawlings du Ghana, Fidel Castro de Cuba, la Lybie de Kadhafi les relations sont au beau fixe, même si Sankara refuse d’être un pion du guide libyen et un avatar de sa promotion islamique.
C’est ainsi une diplomatie tournée résolument vers la défense des valeurs, une diplomatie de bon sentiments, pourrait-on dire. De par son volontarisme, elle était séduisante et a permis au Burkina d’être connu sur la scène internationale. Thibaut François, auteur de « Bienvenue au Burkina Faso, tombeau de l’impérialisme ! » : La Révolution burkinabè, bilan et perspectives (mémoire de maîtrise) parle d’une « diplomatie flamboyante, pourfendant l’impérialisme et ses avatars ». Mais cette politique étrangère volontariste n’est pas sans heurter les voisins, une diplomatie dont ses aspérités dérangent plus d’un. L’historien Issa Cissé note « une somme d’imprudences dans la gestion des affaires internationales ».
Sankara était-il victime de sa diplomatie volontariste et irréaliste ? Pour le journaliste et écrivain Bernard Doza, le capitaine révolutionnaire a signé sa mort lors de son discours face à Mitterrand : « Les 17 et 18 novembre, sur le chemin de retour à Paris, Mitterrand fait une escale de deux jours à Ouaga. Mal lui en a pris, Sankara lui sert une envolée de son cru. Abandonnant le protocole, le président burkinabè met le pied dans le plat lors du toast officiel. Le chef de l’Etat français avait le choix entre être offensé et le dire, ou répondre point par point.
Une joute historique, un choc public entre deux continents, deux générations politiques (..) C’est la première fois en effet depuis 30 ans de coopération franco-africaine que la France est prise au piège de ses propres contradictions. L’ancien ministre de la France d’outre-mer n’apprécie pas la leçon, venant de la plus pauvre des anciennes colonies de la France. II répond avec une violence contenue, dans un discours plein de sous-entendus voire de menaces. C’est ce jour-là que Thomas Sankara perdit réellement le pouvoir au Burkina », Relate Bernard Doza
Wendkouni Bertrand Ouédraogo (collaborateur)
Lefaso.net
Référence
– Bernard Doza, Liberté confisquée : le complot franco-africain, BibliEurope,1991
– Jean-Frédéric Morin, la politique étrangère : théories, méthodes et références, © Armand Colin, 2013, P13.
– Benoit Beucher. Le Burkina Faso et son environnement géopolitique, Annuaire français de relations internationales, 2011, XII, pp.687-701.
– Thibaut François. “Bienvenue au Burkina Faso, tombeau de l’impérialisme !”. La Révolution burkinabé, bilan et perspectives. Histoire. 2019. ffdumas-02465029ff
– Issa Cissé, Politique étrangère du Burkina Faso, conférence inaugurale in Actes du colloque international : Burkina Faso en Afrique et dans le monde, du 23 au 25 novembre 2022 à l’Université Joseph Ki-Zerbo, Tome 2, Presses universitaires, P 14-30