Burkina : Sangoulé Lamizana, enfance d’un ancien président à Dianra

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Dans un article intitulé « Souvenirs d’enfance à Dianra », l’ancien président Sangoulé Lamizana revient sur son enfance éprouvée à Dianra, province du Sourou, dans la région de la Boucle du Mouhoun. Une enfance difficile due aux péripéties coloniales, familiales et scolaires mais aussi une enfance empreinte de résilience et de courage, valeurs qui lui ont permis de « s’accrocher toujours jusqu’à la victoire finale ». Retour sur l’enfance d’un ancien président dont les péripéties éclairent un pan de l’histoire du Burkina et même celle de l’Afrique en général.
En cette année 1924, le petit Sangoulé n’imaginait pas qu’il serait désormais orphelin de mère lorsqu’il entendit les cris et les larmes dans la cour familiale jadis calme. Sa tendre maman auprès de laquelle il trouvait refuge lorsqu’un évènement insolite survient est subitement entourée de femmes, la chambre bondée de pleureuses d’une matinée fatidique. Sa tante, le conduisit chez elle, à quelques mètres de la cour familiale, pour l’éloigner d’un événement qui, pourtant, lui est fatalement lié. Le petit Sangoulé, six ans, venait de perdre son père.
Son père Kafa est parti très tôt à cause « d’une mauvaise pneumonie », laissant derrière lui une épouse avec quatre enfants. Sa mère Djantoro dont le courage et le sens de la responsabilité ne sont plus à démontrer « refuse de se remarier et décide de se consacrer toute entière à sa petite famille ».
Quand son oncle Dembélé entendit la triste nouvelle, il décida de quitter Ouagadougou pour rentrer à Dianra, défiant tout ordre et tout commandement, abandonna en même temps la fonction non moins importante qu’il occupait au sein de l’administration coloniale : celle de garde cercle. Cela illustre à bien des égards la place qu’occupe toujours la famille dans la vie d’un Voltaïque, même éprouvé par les affres de la colonisation. L’on voit que dans l’Afrique en prise avec la colonisation, en tout cas dans le Dianra en Haute Volta, un habitant a décidé de retourner au village auprès des siens malgré le petit privilège dont il jouissait en tant que garde de cercle. Cet attachement fort à la famille, l’implication de Dembélé dans l’éducation des enfants de son frère n’a pas été sans incidence sur la vie du petit Sangoulé qui, malgré le décès de son père n’a pas senti le poids et la dure réalité de l’orphelinage.
Un enfant séduit par l’école du blanc mais malmené
Si dans l’Afrique coloniale en général et à Dianra en particulier, nombreux de ceux qui partaient à l’école le faisaient de force, ce n’était pas le cas chez le petit Sangoulé qui, dès l’âge de six ans, manifestait un désir ardent pour aller à l’école du blanc. En cette matinée du 25 septembre 1926, le petit Sangoulé, malgré le refus de son oncle qui s’inquiétait de son très jeune âge, insista pour que celui-ci l’envoie à l’école. Comme Samba Diallo dans L’Aventure ambiguë, un roman de Cheikh Hamidou Kane, le petit Sangoulé ira à l’école du blanc non pas pour apprendre seulement « à vaincre sans avoir raison » mais pour apprendre à « construire des demeures qui résistent au temps ».
Le cours préparatoire fini à Tougan, le petit Sangoulé devrait rejoindre soit Dédougou, soit Ouahigouya pour s’inscrire à l’école régionale en vue d’obtenir son certificat d’études primaires. Mais au lieu qu’il soit envoyé à Dédougou comme cela se faisait avec les élèves précédents, le petit Sangoulé fut orienté de manière inattendue à Ouahigouya, situé à une centaine de kilomètres de Tougan. Aimant et tenant coûte que coûte à l’école, Il prend ses dispositions le 22 septembre 1928 pour rejoindre Ouahigouya où fut accueilli chaleureusement par le Rassam-Naaba dans sa cour mais n’y durera pas car un beau matin le directeur de l’école leur fit comprendre qu’ils étaient orientés par erreur à Ouahigouya et qu’ils devraient rejoindre illico presto Dédougou.
Arrivé à Dédougou, le petit Sangoulé fut accueilli par un neveu de son oncle en service dans la localité, Maurice Tiémoko Lamizana. Il était bien traité, était compté désormais comme un enfant de Tiemoko et poursuivait ses études à l’aise. Mais, en février 1933, le petit Sangoulé apprend qu’il n’est plus Voltaïque mais Soudanais car son pays a été divisé et partagé entre ses voisins. Il raconte cet événement inattendu qui est arrivé comme un électrochoc en ces termes : « avec l’application de ce décret, nous voilà donc, en pleine année scolaire, par le fait du colonisateur, Soudanais un bon matin, au lieu de Voltaïques la veille en allant au lit. En hâte, il faut donc envoyer les écoliers ressortissants du cercle de Tougan et de la subdivision de Nouna, désormais Soudanais, vers l’école régionale soudanaise la plus proche. C’est celle de Ouahigouya. »
De retour encore à Ouahigouya et après quelques jours de cours dans des conditions exécrables alors qu’ils préparaient le certificat d’études primaires, un inspecteur venu s’enquérir de l’état de l’école ordonne leur renvoi pour un simple problème d’effectif. Cette décision au yeux du petit Sangoulé qui aimait l’école était la plus cruelle et la plus inhumaine possible : « On nous a colonisés sans demander notre avis. Soit. Que l’on me fasse changer de nationalité au gré des événements, passe encore. Mais que l’on me dénie le droit le plus élémentaire attaché à cette nouvelle nationalité, c’est-à-dire aller à l’école, est une bêtise…. Je me couche Voltaïque un soir, et le lendemain, je me réveille Soudanais, sans savoir comment, et pas à part entière. J’étais malheureux ».
Le petit Sangoulé de retour à Tougan, explique à son oncle la scène de leur renvoi : « je décris à mon oncle Bembélé la scène qui a conduit à l’aberrante et stupide décision qui nous mettre à la porte de l’école, sans même nous avoir délivré un simple certificat de scolarité, faisant ainsi de nous des non-êtres. On ne possède aucun document, aucun papier, prouvant que nous avons, un jour, mis les pieds à l’école des Blancs. » L’oncle Dembélé convainquit le petit Sangoulé d’aller faire de la menuiserie et décida de le confier à son ami Oumar Tall. Apprenti menuisier, Sangoulé Lamizana n’a pas renoncé à l’école et continue de suivre des cours de soir grâce à son maître de cours élémentaire de Dédougou, Mahamane Touré, qui venait d’être affecté opportunément à Tougan. C’est ainsi qu’il prépara son examen de fin d’études primaires et l’obtint l’année suivante.
Le commandement comme mode opératoire de la gouvernance coloniale
Dans l’Afrique coloniale française, le pouvoir se déployait non pas à travers la discussion, le débat et le droit, mais il s’opérait sous la forme d’humiliations, de tortures, de travail forcé, de coups et blessures, de violences, de servitude et de domination de toutes sortes ; un mode opératoire qu’Achille Mbembe a désigné sous le nom de « commandement », « de souveraineté coloniale » dont la conséquence est que « le colonisé ne peut être envisagé que comme la propriété et la chose du pouvoir ».
A Dianra, tout comme à Tougan, à Dédougou, tout comme à Ouahigouya et à Ouagadougou, l’on aperçoit ce mode opératoire du pouvoir en colonie à travers le récit de Sangoulé Lamizana : à travers l’attitude d’un inspecteur zélé qui, à cause de son pouvoir, renvoie de l’école sans aucun prétexte valable des enfants dont le triste sort est de s’être réveillés pour trouver que leur pays est divisé et partagé entre ses voisins. Ainsi « Monsieur Frédéric Assomption, impunément, de par son bon vouloir, met un coup d’arrêt à la carrière d’une trentaine de jeunes africains et compromet leur avenir. Comme çà, sans raison valable, c’est triste et vil. » Et ceci n’est rien par rapport aux autres formes de violences que subissent les colonisés.
La négrophobie en colonie
A côté de cette violence qui caractérise le régime colonial en Haute Volta de l’époque, s’illustre une autre forme de violence, plus terrible en ce qu’elle est négation de soi, haine autodestructrice, un mépris incontesté du Noir et entre les Noirs. Cette forme de violence, le philosophe Jacques Nanéma l’a désigné sous le nom de négrophobie qui « s’exprime chez les Noirs entre eux quand, dans leur imaginaire en attente de décolonisation impérative ou dans leur comportement quotidien, ils manifestent pour eux-mêmes un mépris incompréhensible, dans un climat d’autoflagellation destructrice ». Il souligne que dans l’Afrique postcoloniale, « les Noirs eux-mêmes participent à cette dynamique négative mise en œuvre pour les réduire (à néant. »
Mais à Dianra, cette négrophobie s’exprimait sous le visage hideux de Peuko qui, pour avoir été nommé chargé de mission du chef de canton s’arrogeait le droit sur toutes les populations de la localité. Peuko, ce personnage cynique est connu à Dianra pour « sa méchanceté, sa cruauté et ses brimades ». N’eut été l’intervention de Dembélé, l’oncle de Lamizana il aurait forcé un vieux à creuser un trou jusqu’à l’épuisement.
Mais le cas Peuko n’est qu’un cas épisodique devant l’ignoble boulot dont se targuent ces chargés de mission. Un vieux se lâche en ces termes : « Tu as raison Dembélé. Ce que le Blanc lui-même ne fait pas, ces va-nu-pieds se le permettent. Tous ces chargés de mission et autres conseillers occultes s’arrogent des droits inimaginables et rendent la vie impossible aux populations. C’est ainsi que d’autorité, ils se sont accaparés cinq poules et deux coqs appartenant à Tessan, cette année même ». Ainsi « Pendant la colonisation, sous le regard bienveillant du colonisateur blanc, certains auxiliaires africains avaient un comportement inhumain et indigne. Les brimades, les souffrances et autres humiliations étaient le lot quotidien des populations, surtout celles des campagnes, jusqu’en 1946, date de l’abolition des travaux forcés dans les colonies.
Parmi ces auxiliaires, figurent les courtisans zélés qui pullulent dans la cour des chefs de canton. Il y a aussi l’interprète, véritable bras droit du commandant de cercle. Bras séculier du commandant. Ensuite, il y a les gardes de cercle qui sont ceux que le commandant envoie en mission auprès des chefs de canton pour la transmission des ordres à exécuter, la collecte des impôts, la réfection des routes, etc. La chéchia rouge qu’ils portent, le mousqueton en bandoulière, la cravache à la main, le cheval richement harnaché, la cruauté dont ils ne se départissent jamais font qu’ils sont craints », relate Sangoulé Lamizana.
Wendkouni Bertrand Ouedraogo
Référence
– Sangoulé Lamizana, Souvenirs d’enfance à Dianra In Burkina Faso, cent ans d’histoire 1895-1995, éditions Karthala 2003, p 216.
– Cheikh Hamidou Kane, L’Aventure ambiguë, Julliard, 1961 ISBN 978-2-264-3693-3, P 14
– Achille Mbembe, De la postcolonie, essais sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Editions la Découverte, 2020, P.120
– Jacques Nanéma, l’Afrique entre négrophobie et développement : du désarroi identitaire à la renaissance, in 50 ans après, quelle indépendance pour l’Afrique ? Éditions Philippe Rey, Paris 2010. P454