Diaspora, patriotisme et unité nationale : Résilience collective pour le retour à la paix au Burkina Faso

Dans l’histoire du Burkina Faso, le 11 décembre 1958 marque un moment particulier, fort, et doit être considéré comme étant la date d’une naissance ; celle de la configuration d’une entité participant de la nature de nombreuses autres entités appelées États, un signifié de la modernité dans le monde à bien des égards. En effet, il eut d’abord, à compter du 1er mars 1919 et par décret publié au Journal Officiel de la République française le 20 mai de la même année, l’établissement d’une colonie nommée Haute-Volta.
Une appellation coutumière des puissances coloniales qui avaient la manie de donner des noms dépourvues d’une réelle identité à des entités auxquelles la nomination avait pourtant, pour objectif, d’identifier comme étant justement des êtres spécifiques.
Ainsi, Centrafrique désignait et désigne toujours un État au centre de l’Afrique, le Gabon issu de ce qui s’apparente fort à une métonymie car il est le résultat d’une transposition de la dénomination d’un vêtement (un manteau, en l’occurrence, qui, en portugais, s’appelait gabão qui donnera le nom au pays) en raison de la ressemblance entre la forme dudit vêtement et celle de l’estuaire formé par le « fleuve Komo » se jetant dans la mer par où arrivèrent les navigateurs portugais pour atteindre le sol de ce qui deviendra le Gabon vers la fin de la seconde moitié du XVe siècle (1472). Filant la métaphore, le Kamerun, devenu Cameroun avec la mise sous mandat britannique et français des colonies allemandes, une conséquence de la fin de la Grande Guerre (1914-1918), trouve son “mythe” fondateur dans un émerveillement de Fernando Pó, qui, en 1472, exprima son sentiment d’étonnement détonnant devant le frétillement d’innombrables crevettes dans le Wouri : Rio dos camarões (la rivière aux crevettes). Gold Coast (Côte-d’Or), pour citer un exemple britannique, qui sera écarté par la faveur de l’un des premiers panafricanistes Kwame Nkrumah dès 1957 ou encore – et comme par rivalité (France et Royaume-Uni ayant failli en venir aux armes, notamment pour le contrôle de la même région qui, déjà, était réputée aurifère) – la Côte-d’Ivoire trouve le “mythe” de son existence dans la nombreuse population des éléphants qui devait offrir à la puissance coloniale concernée, l’occasion de se consoler avec cet autre produit précieux que fut l’ivoire. Une identité de manteau, de crevette, d’or, d’ivoire ou encore de lieu par ailleurs exonymique, peut-elle instaurer un corps politique viable, crédible !
Si ce n’est l’expression d’un mépris justifié par une volonté de domination, comment comprendre que ceux qui arrivent en une terre qui leur est étrangère, s’arrogent le droit de nommer pour identifier des lieux selon leur propre convenance fantaisiste ! Comment imaginer qu’ils puissent ne pas avoir envisagé la possibilité que lesdits lieux puissent avoir possédé des noms malgré l’ignorance qu’ils pouvaient avoir des langues des peuples qui s’y trouvaient !
Mais, ces peuples, étaient-ils, pour le fond et pour eux, des humains ? Pour celui, en revanche, qui légitima les actions de ces navigateurs portugais, c’est-à-dire le Pape Nicolas V (1398-1455), – conformément à l’esprit comme à la lettre de sa Bulle du 8 janvier 1454 – ces peuples n’étaient que des infidèles, « païens, ennemis du Christ […] à réduire [à la] servitude perpétuelle ». Il est donc clair que ces allochtones arrivant ne pouvaient pas accueillir les autochtones dans l’humanité.
Alors, dans un tel contexte, ces dénominations des lieux apparaissaient comme étant d’abord l’affirmation d’une volonté en toute ignorance de tout être pouvant s’y trouver et, conséquemment, des marques de domination ou, encore, des signes du passage des personnes par qui elles étaient advenues comme cela se constate toujours aisément de nos jours. Alors, la toponymie des villes et des pays africains peut contribuer considérablement à dresser le récit de l’histoire de l’expansion européenne en Afrique.
Nonobstant ces appellations peu dignes, dépourvues d’une réelle portée identitaire n’ayant aucunement de mythes fondateurs, ces entités formées aspiraient, néanmoins, à une autonomie ; aspiration fondée par des luttes par quoi débute l’élaboration, justement, des différents mythes de naissance de ces pays établis comme tels par la volonté d’une altérité, responsable, en conséquence, des différentes frontières limitrophes respectives.
Dans ce contexte, la Haute-Volta – désignation d’une identité du topos, du lieu, celui de la partie haute de la Volta, un fleuve réputé être la “découverte” d’un Européen (Italien, Portugais ?!) du même nom comme si personne ne se trouvait déjà sur les rives du même cours d’eau à son arrivée sur ledit lieu – oui, la Haute-Volta trouve dans sa proclamation comme République, un des premiers faits fondés, justifiés, de son mythe de naissance.
Le processus fut favorisé par les luttes qui obligèrent la France qui, probablement, voulant éviter d’affronter plusieurs conflits éventuels sans pour autant offrir une réelle indépendance à ses colonies, institua la Communauté française à la faveur d’une loi dite « loi-cadre » (n° 56-619) votée le 23 juin 1956 ou encore « loi Gaston DEFFERRE », nom du ministre de la France d’Outre-mer qui la défendit. Cette loi offrit l’autonomie aux colonies mais selon les conditions de la Communauté française, ce qui était dans les faits, une indépendance sans indépendance. Néanmoins, en permettant l’émergence de l’autonomie pour les territoires d’outre-mer, elle donna l’occasion à l’Assemblée territoriale – un fait caractéristique de cette autonomie – de la Haute-Volta d’élire « à la tête du premier gouvernement autonome », Daniel Ouezzin Coulibaly qui, ainsi, à la date du 17 mai 1957, devint le premier président de la Haute-Volta.
Malheureusement, il ne verra pas son pays accéder au statut de République car il meurt le 7 septembre 1958 et dès le 28 septembre, soit seulement trois semaines plus tard, ce pays qu’il a tant défendu et qu’il aurait aimé voir parvenir à l’indépendance, devient – par référendum – membre de la Communauté française. Les événements se seraient-ils ainsi déroulés avec Daniel Ouezzin Coulibaly vivant ?!
Ce qui est certain est que trois mois après le décès du primo président, le 11 décembre de la même année (1958), la Haute-Volta est proclamée République ; une date commémorée en son soixante sixième anniversaire, le samedi 14 décembre 2024 par la diaspora burkinabè en terre française – en raison du 11 décembre de cette même année, jour travaillé en France – au nom d’un État, désormais, appelé, Burkina Faso.
Une appellation, en revanche, bien remplie d’une signification identitaire forte et dont la dénomination, du pays, est très explicite quant au sujet, ici, examiné à savoir le patriotisme impliquant la diaspora dans sa contribution à l’effort du maintien d’une unité nationale, condition pour un retour à la paix dans la patrie des hommes intègres.
De cela découle l’intitulé de la conférence pour laquelle j’ai été sollicité : Diaspora, patriotisme et unité nationale : résilience collective pour le retour de la paix au Burkina Faso. Pour organiser le propos à suivre, je voudrais formuler, ici, des définitions relatives aux notions de diaspora, patriotisme, résilience et paix, énonçant ainsi le cheminement de l’analyse.
Diaspora
En référence aux outils de la langue française, le Dictionnaire historique de la langue française, d’Alain Rey, notamment, ce terme est un emprunt tardif au grec et désigne la « dispersion » avec la référence à son emploi dans la Septante (qui désigne les Soixante-dix ayant traduit l’Ancien Testament de l’hébreu au grec). Relevez, ici, le caractère symbolique et signifiant de ce chiffre, « 70 », qui, dans La Genèse, renvoie au nombre des Anciens d’Israël ayant accompagné Moïse sur le Mont Sinaï (Exode, 24 : 1, 9).
Ainsi dans La Septante, l’autre nom de l’Ancien Testament, diaspora signifie « la dispersion des communautés juives installées hors de Palestine » et, de fait, « hors de ces mêmes communautés » que l’on trouve, en conséquence, dans le monde entier (Dictionnaire : 679).
Envisagé ainsi, le terme diaspora désigne un ensemble de personnes appartenant initialement à un même territoire, partageant une même identité culturelle et ayant quitté sa terre d’origine pour se retrouver dans divers territoires de différents pays du monde. Les individus qui naitront des personnes arrivées dans les différents territoires étrangers seront pris dans l’appartenance culturelle de leurs ascendants, tout en ayant également les déterminants culturels de la terre d’accueil.
Ces ascendants constitués d’abord par la génération des parents sont désignés paweto en moore (l’un des idiomes burkinabè), c’est-à-dire ceux qui sont restés, demeurés en brousse, espace sauvage non maitrisé qui apparaît comme le lieu de tous les dangers donc de tous les risques possibles. Elle s’oppose à l’espace domestique, connu et maitrisé que le Moaga nomme bayίίrί (maison du père).
Les descendants des paweto, en raison de la transmission, relève d’une appartenance originelle et historique, celle de leurs parents qu’ils ne maîtrisent pas toujours et nécessairement. Par ailleurs, ils sont également de leur appartenance contemporaine et immédiate dans un territoire qui est celui de leur naissance mais qui apparaît pourtant comme étant le signe d’une étrangeté.
Dans cette orientation, tout membre d’une diaspora donnée est toujours un sujet à l’appartenance identitaire plurielle de sorte qu’il est toujours un sujet ouvert, c’est-à-dire prêt –, ou pour le moins, préparé – à l’ouverture. En cela, il peut également être perçu – et c’est bien souvent le cas – comme étant un être paradoxal, c’est-à-dire celui qui est à la fois un individu d’ici et d’ailleurs un natif et un étranger, un allochtone et un autochtone, un bayίίrί et un paweoogo . C’est bien ce qui fait sa richesse et sa pauvreté à la fois, sa plénitude et son déclin. Son statut dépend alors de la position dans laquelle il se trouve et de ses choix en fonction des moments, des lieux et des faits.
Ces considérations qui font de la diaspora un ensemble de personnes qui, au-delà de l’appartenance culturelle comportant une dimension éthique, offrent aux mêmes personnes l’occasion d’une appartenance citoyenne plurielle également.
Dans l’effectivité de cette appartenance citoyenne, les individus sont, pour le moins, souvent binationaux. Alors, la citoyenneté vient consacrer ces mêmes individus dans une autre appartenance désignée comme étant la maison du père, contenu sémantique du terme Faso et relativement à ce qui se joue en cette journée du 14 décembre, substitution du 11 décembre comme indiqué ci-dessus. Une maison du père qui peut également être entendue doublement et dont l’affirmation de l’appartenance du sujet à cette maison du père est nommé patriotisme.
Ce terme, toujours dans l’entendement français, est une « attitude affective et morale d’attachement affectif à la patrie » (Dictionnaire : 1655). L’individu qui exprime cette attitude est dit être patriote, c’est-à-dire une « personne qui aime sa patrie et la sert avec dévouement (Ibid. : 1789). En 1789, en France, par exemple, cette définition caractérisa le patriote comme étant celui qui « est voué à la Révolution » qui, s’opposant à l’aristocratie, devint désormais « la cause morale et politique » de la Patrie-France.
C’est alors que le patriote apparaît comme étant le « citoyen armé qui défend la patrie », c’est-à-dire la terre, le territoire du père. Alors, le patriote est « toute personne défendant l’idée de patrie, voire de nation » entendue comme terre commune, demeure commune, habitat commun, à un groupe d’individus ; une appartenance collective reconnue comme telle par chacun des membres du groupe. Alors, la patrie est cette maison commune laissée par les pères successifs aux générations successives et dont chacune a la responsabilité de défendre la pérennité.
Cette défense de la maison commune fut et est toujours la philosophie du combat de toutes les luttes notamment de libération des peuples qui, à compter d’un moment donné, ont été d’une manière ou d’une autre soumis. Aujourd’hui, de nombreux peuples sont rangés dans ce qui s’appelle, désormais, le Sud global, un topos ayant pour dénominateur commun, une soumission historiquement déterminée du nom de colonialité.
Dans cette catégorisation, le peuple burkinabè est un exemple qui, depuis bien longtemps déjà, lutte pour sa libération et qui, de ce fait, possède des patriotes qui, par leur comportement, expriment évidemment leur patriotisme, outre ce que leur confère d’office individuellement et collectivement, la sémantique du nom du pays à compter du 4 août 1984 (j’y reviendrai).
Depuis 2015, en raison de l’irruption de la guerre dite asymétrique appelée terrorisme djihadiste, par ailleurs, l’expression du patriotisme doit être envisagée comme une obligation éthique pour tout individu reconnaissant son appartenance au Burkina Faso ; c’est, du reste, une exigence de la Constitution burkinabè commandant à tout Burkinabè de défendre le territoire dès lors qu’il est menacé. Avant cette irruption le patriotisme en tant qu’attitude pouvait ne pas s’exprimer sans que pour autant l’individu en soi dépourvu.
À compter de cette guerre, l’expression du patriotisme devient une exigence morale dont sa moindre expression n’est autre que celle du sentiment d’être concerné par ce qui se joue dans sa patrie et qui menace l’être de cette maison commune, de cette terre commune bayίίrί, faso, sãyίŕ, pour ne citer que ces trois exemples d’énonciations particulières de l’unité-patrie-Burkina dont l’existence est celle de nombreuses personnes comme marque de la continuité du bien, comme du lien, paternel. En conséquence, le citoyen armé ci-dessus envisagé est bien évidemment celui qui porte la kalachnikov et qui transpire à grosses gouttes dans la fournaise sèche du Sahel, du Nord et du Centre-Nord, qui affronte la chaleur humide et donc suffocante de l’Est et de l’Ouest du Burkina Faso mais non uniquement.
Le patriote armé est également l’individu qui apporte une contribution de toute nature à la défense de l’habitat collectif. L’engagement volontaire de nombre de Burkinabè (VDP) est un aspect considérable de ce combat pour la préservation de cette maison commune.
L’attention que des individus ou des groupes d’individus ou encore des personnes morales, accordent discrètement aux déplacés internes est une attitude qui participe de ce combat. Ce à quoi, nous sommes occupés en ce jour commémoratif de la proclamation de la République de Haute-Volta, et étant en des endroits divers et éloignés les uns des autres est bien également l’expression du combat pour la préservation de cette maison commune.
Cela implique le fait que toute personne non-burkinabè participant ou assistant à la conférence, est susceptible de partager, en amitié, cette appartenance commune. N’est-ce pas ce que fit Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, en allant se battre du côté des combattants de ce qui deviendra les États-Unis d’Amérique, geste à l’origine de l’amitié franco-américaine ! Avant d’agir ainsi, il fallait, au préalable, y avoir pensé. Alors, l’arme de chacune des personnes burkinabè participant et assistant à cette rencontre est probablement l’une des armes les plus redoutables qu’est l’Idée.
C’est pourquoi l’une des batailles à mener maintenant est celle de l’union, un concept à dimension théorique considérable dont l’applicabilité commence par l’agir ensemble, l’agir collectif malgré des difficultés voire parfois des désaccords, des discordes. Il convient, en effet, de veiller à ce que les désaccords, lorsqu’ils surviennent, soient l’occasion d’une réflexion qui permet d’aller plus loin et non pas celle de la désunion.
Cela signifie que le désaccord suppose d’être envisagé et reçu comme étant un moment d’expression de divergences de perspectives dans la conception des actions, moment qui doit permettre à chaque parti de percevoir ce qui relève de son manque qui, dès lors, lui permettra de compléter, en comblant, sa perspective afin que le collectif puisse aller plus loin et dans la même direction avec l’objectif d’atteindre le but commun.
Cela s’appelle la quête du meilleur qui se nourrit inévitablement de la critique bienveillante. Alors, la critique n’est pas nécessairement une affirmation du négatif ni même la chanson du positif, voire encore moins l’allégeance sans discernement, non-accompagnée de raison, qui est nécessairement contre-productive.
La critique est cette remarque avisée et bienveillante, explicite et argumentée qui expose les failles d’un système, d’un dispositif dans l’évidente perspective d’une amélioration. La critique, nécessairement objective, ne s’enorgueillit pas de son succès ; elle garde son humilité, cherchant même à ne pas se montrer.
Alors, elle est souvent publiée, c’est-à-dire portée à la connaissance du public par les autres et non pas par son auteur. Une telle position est celle du combat défensif du patriote dont l’intension est la quête de la satisfaction de l’intérêt général dans la réalisation de quoi il trouve le sien particulier qui, nécessairement éloigné de tout profit égotique, coïncide avec le commun. C’est proprement cela le patriotisme qui a toujours été un fonds culturel de l’être burkinabè et qui permit à Thomas Sankara, et à ses camarades de la Révolution, de parvenir à donner à un territoire, un nom, Burkina Faso, reflet de l’attitude de ses habitants. Chacun, chacune, l’aura compris ; tout Burkinabè est un patriote et donc un individu intègre. Cela implique qu’il n’est pas possible d’être burkinabè autrement.
En conséquence, l’individu dont l’être éthique ne répond pas à cette qualification exigeante, s’exclut, de fait, de l’appartenance burkinabè. Et puisque l’expérience empirique vérifie difficilement cette position comme principe, fondement de l’être-patriote et que l’on ne choisit pas non plus sa famille et, par conséquent, son pays de naissance, c’est donc naturellement à chacun avec sa propre conscience jusqu’à ce que les institutions, instruites de sa conduite, se chargent de lui comme en témoigne l’actualité judiciaire de ce mois de décembre 2024 au Burkina Faso.
Le point crucial du patriotisme réside bien dans la dimension morale comme exigence éthique qui guide le comportement du patriote. Être patriote est, alors, un mode d’existence qui marque tout individu et qui, ainsi, participe de son être.
En conséquence, il peut paraître fondé de soutenir l’idée selon laquelle le patriotisme est une valeur qui s’acquiert ; le sujet ne naissant donc pas patriote mais le devenant.
Cette position qu’il convient de nuancer, implique une action telle celle de l’éducation. Pour conforter la pertinence de la nuance à tenir, je distingue, ici, l’éducation de l’instruction même si, aujourd’hui, ces deux notions, aux contextes d’application pourtant différenciés, ont été appliquées en un seul contexte, celui de l’école au détriment de la famille qui aurait dû être réservée à l’éducation. Si la famille et l’école sont complémentaires dans la formation du sujet-citoyen, la fusion de l’instruction et de l’éducation – ayant abouti à la promotion de la notion d’éducation ; notion signifiant, désormais, dans les faits et les pratiques comme dans le concept, éducation et instruction à la fois – est un choix qui a brouillé les voies et, pour cette raison, est, au moins en partie, responsable de certains cas d’échecs dans la formation du citoyen.
Alors, le patriotisme étant une valeur éminemment morale, relève d’abord de la responsabilité familiale et, de ce point de vue, il est ce qui gît en chaque sujet et que la famille, dans sa responsabilité de formation des sujets dans la sphère privée, éveille. Il en est ainsi parce que cette valeur qui préside à l’intérêt général doit toujours être transmise de génération en génération, précisément parce que c’est une valeur morale qui s’appréhende comme de l’inné, c’est-à-dire un principe a priori de l’attachement au bien commun.
Cette valeur du devoir contient le respect de l’autorité qui commence avec celui des parents et ascendants, acteurs de l’édification de l’espace commun qui doit perdurer. En cela le patriotisme comme valeur du devoir est un patrimoine (patrimonium : héritage, bien du père) qui ne peut alors qu’être transmis par le père et c’est aussi pour cela qu’il s’origine par, et dans, le respect des parents comme autorité.
Le sujet possédant l’habitude du respect des parents est préparé au respect de toute autre autorité notamment celle de l’État et dont la conséquence est la construction du bien général car le fils qui reçoit le bien du père par transmission n’en bénéficie pas tout seul même lorsqu’il est enfant unique. Il le reçoit pour toute la communauté familiale avec la perspective de le fructifier afin de le transmettre, à son tour, à sa descendance et avec une volonté de sa perpétuation infiniment.
Alors, le fils est relié aux ascendants et aux ancêtres ainsi qu’à ses propres descendants. Maintenir la continuité de cette lignée au-delà de la différence temporelle (passé, présent, future) est un devoir qui ne doit pas faillir. Fort de cette exigence éthique, le sujet a l’obligation de défendre âprement la maison du père dès lors qu’elle est menacée. Alors, dans la situation de combat, il est exigé de lui, une action de résistance car toute lutte suppose de la difficulté, voire des menaces graves obligeant le déploiement d’une résistance appropriée, adéquate et donc capable de contrer toute disparition.
Ainsi, selon le degré de l’intensité du ou des combat(s), la résistance se conçoit parfois en termes de résilience et c’est actuellement le cas au Burkina Faso.
Après bientôt dix (10) ans d’un état de guerre dans lequel l’ennemi n’est pas clairement identifié (il n’est connu que conceptuellement jusqu’à l’instant où des éléments ennemis, matériellement observés et reconnus comme tels, sont arrêtés ou « neutralisés » pour emprunter une expression officielle), les dégâts sont nombreux et les traumatismes également avec des degrés bien évidemment divers les uns des autres. Rien que le nombre des déplacés internes, outre les conséquences individuelles et collectives de ces exodes forcés, constitue une occasion de traumatisme qui suppose une résilience appropriée pour espérer une reconstruction d’un tissu social viable. Dans ces circonstances, la résilience qui dérive du verbe résilier tient bien sa place. En effet, résilier, terme issu du latin, signifie « sauter en arrière, rebondir, rejaillir, se retirer ».
En jeu linguistique de décomposition du mot, le préfixe re donne le sens de « retour », du « recul » dans une action et le suffixe « silire » donne le sens de « salire », toujours en latin puis saltare en italien, termes qui veulent dire dans chacune des deux langues (de la même source latine, du reste), « sauter » en français. En physique, le terme résilient désigne la « résistance élevée aux chocs » faisant écho à la « résistance des corps solides ». Ainsi, à la fin du XXe siècle (1990) les deux termes résilient et résilience ont été, dans des « contextes politique et psychologique, diffusés », notamment par Boris Cyrulnik, pour désigner, dès lors, la capacité de l’individu à surmonter l’adversité, en particulier les chocs traumatiques, politiques et/ou socio-économiques (Dictionnaire : 2031-2032).
Ainsi, et conformément à la première occurrence étymologique du mot, la résilience désigne la « capabilité » dont dispose un individu à revenir en arrière, non pas de manière spatiale ni temporelle, mais de façon intellectuelle, spirituelle et morale à son état d’avant le traumatisme quel qu’il soit. Il s’agit donc de la possibilité, pour l’individu, de s’élever en se dressant pour se porter psychiquement à son état antérieur précédant le traumatisme. Au terme du processus, tout se donne à constater comme si l’événement traumatique n’était pas advenu. D’où la formule commune bien connue : « repartir de zéro ». Le disque dure est donc ainsi reformaté et prêt à enregistrer d’autres données qui y seront gravées à nouveau.
Cependant, dans la réalité comme dans la vérité des faits, c’est, pour le sujet, faire de l’expérience traumatique une leçon censée le propulser en avant et éviter ainsi qu’il ne sombre dans la détresse, voire la déchéance, absolue et irréversible. Cette résilience, comme résistance, est possible à la faveur de la pulsion de vie, une puissante donnée psychique présente en chaque individu et constituant en lui la source profonde de sa capabilité.
Cette pulsion, par sa puissance, contribue à l’action effective de l’individu qui, par sa conduite patriotique, pense évidemment à soi-même mais également à l’autre. C’est pourquoi la résilience n’est pas la résistance égoïste, voire égotique qui ne s’occuperait que du sort singulier de soi-même.
La résilience profonde est la résistance à l’adversité qui panse les plaies du corps social procurant, ainsi, un mieux être à l’autre et notamment à la collectivité, un commun d’autant mieux collectif que chacune des singularités est prise dans la même adversité. C’est bien ce que vit le Burkina Faso et les Burkinabè depuis 2015.
Alors, chacun, chacune, aura perçu et compris, je l’espère, tout au long du cheminement sémantique de ces définitions, le lien établi entre les différentes notions et qui, ainsi, justifie la pertinence du sujet, Diaspora, patriotisme et unité nationale : résilience collective pour le retour à la paix au Burkina Faso, que j’ai exploré à travers l’examen des notions en exposant, pour chacune, son acception générale avec une application au cas du Burkina Faso.
Alors, je m’autorise, ici, à suspendre le propos par cette synthèse :
Comme je l’ai montré, la diaspora – par sa nature au moins bicéphale (extérieure/intérieure) – participe de l’ici et de l’ailleurs. Dans le cas du Burkina Faso, tous les individus se réclamant dudit pays et qui sont à l’extérieur (les paweto dont certains deviennent, parfois, des kowsweto) ne sont pas moins des citoyens burkinabè et, par conséquent, des patriotes.
En cette perspective, ils sont de cette nation burkinabè malgré leur extériorité puisque le seul fait de se reconnaître être de ce pays, les inscrit dans la patrie. Or, comment serait-il possible qu’un membre de la patrie ne soit pas un patriote ? Comment être de la maison commune, être de cette maison du père sans être du père ?
La conséquence est claire et évidente : dès lors qu’un individu est issu de la maison du père, il est patriote et, de fait, participe de l’unité nationale. L’unité comme telle, commence par l’union qui, elle-même trouve sa source dans la famille. Dans l’union, il y a la connexion de chacun des membres à l’autorité familiale représentée par les parents et ascendants qui, par leur être, justifient et fondent les liens entre tous les autres éléments du groupe.
Par ailleurs, si l’expression du patriotisme est une obligation morale, comme exigence éthique notamment en temps de guerre, l’unité nationale est sacrée et l’effort à consentir consiste à la préserver car, l’adhésion, de fait, à la patrie est une adhésion à l’unité nationale inséparable de la maison du père. Prendre conscience de cette imbrication entre patrie et unité nationale est un premier pas vers le maintien de soi dans la collectivité.
Autrement, l’individu s’exclut lui-même de cet habitat paternel. Cette disposition éthique consubstantielle à la patrie qui institue, de fait, l’adhésion à l’unité nationale est le fait le plus important pour le sujet car son vécu personnel de cette disposition éthique, conditionne l’action pratique qui ne se résumerait qu’à l’accomplissement d’un geste et toujours selon la capabilité spécifique de chaque sujet.
Pétri et sculpté dans la vase de la patrie, le Paweoogo comme le Bayίίrί, dès lors qu’il reconnaît sa qualité de Burkinabè, participe de cette unité nationale comme communauté solidaire si bien que la résilience face à l’adversité s’exprime dans le même moule du collectif, condition, à l’effectivité de la concorde, de la tranquillité, c’est-à-dire la paix, qui ne peut que régner dans les rapports entre les individus, entre concitoyens que sont les patriotes ou, plus exactement, les compatriotes nécessairement.
Autrement, pour que cesse l’état de guerre au Burkina Faso, il est nécessaire de se battre pour l’instauration – que dis-je ! pour le maintien – de la cohésion entre les membres de la maison commune comme maison du père. Que toutes les parties de cette maison soient chacune analogue aux parties du corps humain. En effet, la solidarité des parties du corps humain est consubstantielle à l’existence dudit corps. Si une seule partie venait à manquer, le corps perdrait son intégrité et ne serait plus, dès lors, le corps humain car il serait tronqué parce que troublé. C’est la condition sine qua none de la paix, notamment dans l’actuel Burkina Faso.
Je vous remercie pour votre attention avec l’espoir qu’elle sera prolongée au-delà de cet entretien et que les compatriotes qui se sont entretenus avec moi, exerceront chacun, chacune, son patriotisme à travers la critique selon la sémantique ci-dessus esquissée.
Namwinfang Roger Somé,
La première version de ce texte a été prononcée comme conférence le 14 décembre 2024 à Marseille et par Visio conférence depuis Strasbourg dans le cadre de la commémoration du 11 décembre 1958, une commémoration organisée par le délégué CSBE de la Région 6 (selon le découpage du territoire français effectué par l’administration burkinabè dans le contexte de l’instauration du conseil supérieur des Burkinabè de l’étranger (CSBE) devenu Haut conseil des Burkinabè de l’extérieur (HCBE)), Antoine YOUGBARE, et les associations de la même Région.
https://mjp.univ-perp.fr/constit/bf1919.htm#1919. Consulté, le 13 décembre 2024 ; MASSA, Gabriel et MADIEGA, Georges Yénouyaba (sous la direction de), 1995. La Haute-Volta coloniale. Témoignages, recherches, regards, Karthala, Paris : 17.
« sorte de manteau […] fait d’un gros tissu de laine avec un capuchon, généralement porté au-dessus des habits » utilisé par une population côtière, notamment de « la région d’Aveiro », Cf. MBAMBA MITAMBA, Oswald. Les usages contemporains des totems au Gabon (population nzèbi), thèse de doctorat soutenue à l’université de Lorraine, le 28 mars 2018 : 161 ; RAPONDA WALKER, « Toponymie de l’Estuaire du Gabon et de ses environs », in Bulletin de l’Institut de recherches scientifiques au Congo, Tome 2, n°2, Volume 2, Congo & Congo Brazzaville, ORSTOM, 1963 : 87-122.
« Histoire du Cameroun » : https://www.cameroun-plus.com/index.php?p_nid=32080. Consulté, le 13/12/2024.
Dans la Bulle Romanus Pontifex, il est, en effet, écrit : « Nous […] concédons au Roi Alphonse et à ses successeurs, entre autres choses, la pleine et entière faculté d’attaquer, de rechercher, de capturer, de vaincre, de soumettre tous les Sarrasins [Africains] et les Païens et les autres ennemis (du Christ) où qu’ils se trouvent […] et de réduire leurs personnes en servitude perpétuelle (illorumque personnas in perpetuam servitudinem redigendi) et de s’attribuer, pour lui-même et ses successeurs, les Royaumes, Duchés, Comtés, Principautés, Domaines, possessions et biens, et de les convertir à leur usage et à leur profit et que, ayant sécurisé cette faculté, le dit Roi Alphonse, ou par son autorité, l’Infante sus-nommée, ont acquis justement et légalement et possèdent et ont fait l’acquisition de ces îles, terres, ports et mers et que ceux-ci appartiennent de plein droit au dit Roi Alphonse, à ses héritiers et successeurs. ». Cf. https://bokundoli.org/doc/bulle-papale-romanus-pontifex/. Consulté, le 26/12/2024.
https://mjp.univ-perp.fr/france/loi1956-619.htm. Consulté, le 13/12/2024.
https://mjp.univ-perp.fr/constit/bf1919.htm. Consulté, le 23/12/2024.
Dans Le Deutéronome, 32 : 8, il est dit que « le Très-Haut […] fixa les limites des peuples d’après le nombre des enfants d’Israël ». Ce nombre pourrait bien être celui des lignées issues de la descendance de Noé desquelles « sont sorties les nations qui se sont répandues sur la terre après le déluge » (Genèse 10 : 32, traduction Louis second). Il est donc probable que ce nombre soit encore le chiffre 70 comme perpétuation des lignées jusqu’au moins à la sortie d’Égypte du peuple d’Israël.
« Tout Burkinabè a le devoir de concourir à la défense et au maintien de l’intégrité territoriale », Article 10 de La Constitution du Burkina Faso, du 11 juin 1991, version de 2015, consolidée en 2019. Cf. https://mjp.univ-perp.fr/constit/bf2015.htm. Consulté le 25/12/2024.
AMARTYA Sen, L’idée de justice, Flammarion, Paris, 2010. Traduit de l’anglais par Paul Chemla avec la collaboration d’Éloi Laurent. Titre original : The Idea of justice, Éditions Penguin Books Ltd, Londres, 2009.
En moore, le paweoogo, lorsqu’il est de retour dans son village ou sa ville natal(e), il est souvent désigné comme étant un kowsweoogo, c’est-à-dire celui qui a duré en brousse et qui, pour cette raison et étant revenu dans son espace originel, est parfois en déphasage avec certains faits, pratiques et/ou contextes. N’étant plus en brousse car revenu auprès des siens qui, souvent ne le connaissent pas et que lui ne les connaît pas non plus, il est étranger dans sa propre familiarité. C’est précisément ce mode d’être qui est explicité et justifié par la dénomination kowsweoogo (celui qui a duré en brousse ; une formule qui implique le retour de l’émigré de longue date et induit, ainsi, une catégorisation des différents mouvements et modes d’être des individus pris dans la migration).