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Les principales causes du travail des enfants à Bobo Dioulasso

Publié le jeudi 2 janvier 2025 à 15h32min

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Introduction

Ce document est tiré d’un article scientifique que nous avons publié dans la Revue KURUKAN FUGA en Décembre 2024. L’article porte sur le travail des enfants à Bobo Dioulasso.
Le travail des enfants est un phénomène global qui touche des millions d’enfants dans le monde. Selon les chiffres de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) en 2022, 160 millions d’enfants travaillent dans le monde, soit une augmentation de 8,4 millions d’enfants au cours des 4 dernières années. Au Burkina Faso, la question du travail des enfants en milieu urbain est visible dans plusieurs villes dont Bobo Dioulasso, la capitale économique et deuxième plus grande ville du pays après Ouagadougou.

Les enfants y sont souvent contraints de travailler pour subvenir à leurs besoins essentiels. On entend par travail d’enfant, tout type de travail qui peut nuire à la santé physique ou au développement psychomoteur de l’enfant ou compromettre sa scolarisation. Le pays a ratifié les conventions internationales sur le travail des enfants notamment la convention n° 138 sur l’âge minimum d’accès à l’emploi et la convention n° 182 sur les pires formes de travail des enfants. L’âge minimum d’accès à l’emploi a été fixé à 16 ans, avec une dérogation pour les travaux légers pour les enfants âgés de 13 ans révolus.

1. Méthodologie

Après une revue documentaire sur le sujet, des entretiens individuels et en groupe ont été menés avec des enfants travailleurs sur leurs lieux de travail (au service, dans les domiciles où sont employées des filles, au maquis, au restaurant, au sein de l’atelier, au marché, etc.), avec la participation de leurs employeurs communément appelés « patrons ou patronnes ». Leurs parents, ainsi que des acteurs institutionnels (ministère, associations, ONG) ont participé également à l’enquête.

2. Caractéristiques sociodémographiques des enfants enquêtés

Les enfants travailleurs que nous avons rencontrés sont majoritairement âgés de 10 à 14 ans. Ceux qui ont moins de 10 ans représentent 27%. Plus de 93% d’entre eux ont fréquenté soit une école formelle (45,45%) soit une école coranique (47,72%). La plupart de ces enfants ont été contraints d’abandonner l’école en raison de la fermeture de certaines écoles à cause du terrorisme.

3. L’emploi à Bobo Dioulasso : une situation préoccupante

Selon les données de ce Recensement général de la population et de l’Habitat (RGPH) de 2019, la question de l’emploi est préoccupante à Bobo-Dioulasso. Parmi la population en âge de travailler (15 ans et plus), moins de la moitié de cette population est occupée (43,4%). Autrement dit, moins de 5 personnes sur 10 travaillent. La moitié de la population ne travaille pas et 4,7% des actifs sont au chômage. Cela traduit une population bobolaise vulnérable sur le plan économique, potentiellement démunie, économiquement inactive, en proie à plusieurs vices sociaux (INSD, 2022).

Le phénomène des enfants au travail est le résultat d’une combinaison de facteurs structurels, économiques, sociaux et sécuritaires qui mettent en difficulté le bien-être des enfants. La situation sécuritaire marquée par les déplacements forcés des populations dans les centres urbains accentue le phénomène. Selon les résultats d’une étude sur les enfants en situation de déplacements forcés réalisée en 2024 à Ouagadougou et Bobo Dioulasso, 24% d’entre eux exercent couramment des petits métiers comme le commerce/colportage, les travaux manuels (cireur de chaussure, mécanique, menuiserie, vente de produits artisanaux ...), la collecte de matériaux recyclables (batterie, plastique, le carton ou le métal...) et les travaux domestiques (lavage de voitures, le nettoyage des maisons ...) tandis que 76% s’adonne à la mendicité comme occupation (ÎNSS, 2024).

Graphique 1 : Répartition des enfants déplacés selon l’occupation

À Bobo Dioulasso, les enfants sont engagés dans divers types de travail, notamment le commerce informel, la vente de produits sur les marchés, le travail domestique, et même des activités artisanales. Les garçons sont souvent impliqués dans des travaux manuels et des services informels, tandis que les filles sont fréquemment engagées dans des tâches domestiques ou de vente. Ces activités sont généralement non réglementées et exposent les enfants à des conditions de travail précaires.

« Les enfants qui travaillent font plusieurs types de boulots. Les travaux domestiques, le petit commerce, les travaux de manœuvre au grand marché, etc. Comme ils sont dans le besoin, ils ne trient pas. Ils font parfois des travaux dangereux et risqués. Même dans les maquis et les bars-dancing, on retrouve souvent des enfants qui travaillent là-bas » (Agent de l’Action sociale, Bobo Dioulasso).

4. La précarité comme cause principale du travail des enfants

Les résultats de l’étude montrent que les causes du travail des enfants en milieu urbain sont multiples et interconnectées. L’insuffisance des ressources économiques et le chômage des adultes sont des facteurs économiques déterminants. Les enfants sont souvent perçus comme une ressource économique nécessaire pour subvenir aux besoins de la famille, surtout dans les ménages urbains pauvres. La population de Bobo Dioulasso est vulnérable sur le plan économique, et potentiellement démunie car la moitié de la population ne travaille pas et 4,7% des actifs sont au chômage (RGPH, 2022). Ce qui explique que la première raison qui pousse les enfants au travail à Bobo Dioulasso est la question de survie. Près de 68% des enfants déclarent être dans la rue pour subvenir à leurs besoins (INSS, 2024). Ils sont de ce fait exposés à toutes les formes de travail susceptibles de leur procurer des revenus (SAWADOGO, 2023). Les propos de Nadège, 13 ans, employé en qualité de servante dans un maquis au secteur 11 de Bobo Dioulasso, confirme cette réalité :

« Je devais continuer à aller à l’école mais à la rentrée scolaire, ma maman dit qu’elle ne pourra pas s’occuper des charges de mes études. Elle dit d’attendre l’année prochaine. Mon papa a abandonné ma maman ; c’est elle qui se débrouille pour s’occuper de nous. Je suis donc venu pour travailler dans ce restaurant pour avoir quelque chose (de l’argent). Ma maman est d’accord pour que je travaille ici. A la fin du mois, le patron donne 12500 à ma mère. Parfois, certains clients me donnent 200F ou 500F » (Nadège, 13 ans, Bobo Dioulasso)

5. Le rôle capital des acteurs de protection

Plusieurs acteurs de la société civile, les ONG, les structures publiques et les communautés jouent un rôle crucial dans la lutte contre le travail des enfants. Depuis 2007, il a été créé au sein du Ministère en charge de l’Action Sociale, une Direction de la Protection et de la Lutte contre les Violences sur les Enfants (DLPVE). Les autorités ont adopté en conseil des ministres du 22 Avril 2009, un décret sur la détermination de la liste des travaux dangereux interdits aux enfants. Ce décret s’inscrit comme une suite logique pour les pays qui ont ratifié la Convention N°182. Les articles 2 et 3 de ce décret font un regroupement sectoriel de ces travaux dangereux. Douze secteurs sont ainsi identifiés.

Ce sont : l’agriculture, l’élevage, la pêche, l’agroforesterie et la chasse, l’industrie, les mines, carrières et sites d’orpaillages, les bâtiments et travaux publics, le secteur informel, l’artisanat, les arts et spectacles, le transport, le secteur de la santé humaine et animale. La mise en œuvre des initiatives gouvernementales est souvent entravée par le manque de ressources comme le dit ce cadre de la Direction provinciale du ministère en charge de l’action humanitaire :

« C’est notre mission de protéger les enfants, surtout ceux et celles dont les conditions de vie sont difficiles. Les enfants qui sont au travail malgré eux en font partie ; ils ne travaillent pas par plaisir ; ce sont les difficultés économiques dans leurs familles qui les obligent à aller travailler. Certains même font des travaux dangereux interdits par la loi. Notre mission c’est donc de protéger ces enfants en soutenant les familles afin que les besoins essentiels de ces enfants soient satisfaits. Dans certaines situations, ce sont les parents eux-mêmes qui envoient les enfants travailler parce qu’ils n’arrivent pas à subvenir à leurs besoins ».

Conclusion

Le travail des enfants en milieu urbain au Burkina Faso est une réalité complexe. Cette étude a examiné la situation à Bobo Dioulasso. Les ménages à faibles revenus sont plus exposés au phénomène qui se complique avec le déplacement forcé de nombreuses familles dans la ville du fait du terrorisme. Un renforcement des systèmes éducatifs, une meilleure régulation du travail informel et une prise en charge sociale des familles pauvres pourraient permettre de réduire significativement le travail des enfants en milieu urbain dans le pays

1. GNESSI Siaka, Sociologue, INSS/CNRST, gnessisiaka@gmail.com

2. SAWADOGO Honorine P., Sociologue, INSS/CNRST, houedraogosaw@gmail.com

Références bibliographiques

GNESSI, S., SAWADOGO, H P. (2024). « LES DÉTERMINANTS DU TRAVAIL DES ENFANTS EN MILIEU URBAIN À BOBO DIOULASSO (BURKINA FASO) » Kurukan Fuga, 3(12), 375–388. https://doi.org/10.62197/DAPX3014.

INSD, (2022), Cinquième Recensement Général de la Population et de l’Habitation, (RGPH,). Monographie de la Commune de Bobo Dioulasso, Ouagadougou, BF.

OIT, 2023, Bulletin d’information, en ligne, https://www.ilo.org/fr/publications/bulletin-dinformations-janvier-2023, consulté le 10 décembre 2024

SAWADOGO, Honorine P., « L’approvisionnement vivrier de Ouagadougou : récits de femmes à l’épreuve des mesures contre la Covid-19 ». Afrique contemporaine, 2023, vol. 275, no 1, p. 57-73.

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