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Philippe Zinda Kaboré : Entre démocratie et chefferie traditionnelle

Publié le lundi 23 décembre 2024 à 22h00min

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Philippe Zinda Kaboré : Entre démocratie et chefferie traditionnelle

Philippe Zinda Kaboré ne fut pas simplement un militant anti-colonial. Fils d’un chef traditionnel, il avait pourtant des rapports tendus avec la chefferie traditionnelle. Partisan d’une démocratie réelle, le jeune pharmacien brillant qu’il était avait pour ambition de « démocratiser la chefferie traditionnelle » devant les notables mossis qui, eux, tenaient mordicus à leur féodalité. Certains attribuent sa mort mystérieuse aux idées de liberté et de démocratie qu’il défendait non pas seulement contre le colonialisme, mais surtout contre la chefferie traditionnelle. Retour sur la vision politique de Philippe Zinda Kaboré.

Un antiféodal assumé

Philippe Zinda Kaboré n’avait pas sa langue dans sa poche devant ses frères et ses parents sur leur manière de gérer la société. Témoin du traitement humiliant que certains chefs réservent à leurs sujets et surtout de la destitution injuste de son père qui était chef de Konkistenga, il œuvre inlassablement pour mettre fin à la féodalité. Pour lui l’ère de la chefferie est révolue, car les Mossis comme tous les peuples ont soif de liberté et démocratie : « Ces temps derniers, j’en voulais au pays Mossi de n’avoir pas su être égal à lui-même. Nos conducteurs coutumiers sont d’un autre siècle. Il faut, si nous voulons que vive le pays, les reléguer dans les linceuls rouges où dorment les Dieux morts. J’ai signifié cela Au Morho-Naba, de vive voix comme par écrit. Dans cette période politique démocratique, le bloc Mossi fait triste figure avec son paternalisme périmé et son critère de naissance. » Écrit-il le 14 juin 1946 à son ami Dominique Kaboré pour lui signifier sa colère et sa révolte contre la chefferie Mossi.

A l’endroit de ses frères notables, Philippe Zinda Kaboré est on ne peut plus clair et intransigeant lorsqu’il affirme : « Descendez de vos chevaux et marchez avec le peuple ». Lors d’une réunion dans le palais Moogho sur sa position complexe par rapport à la reconstitution de la Haute Volta et son panafricanisme avec le RDA, il charge ses frères notables devant Joseph Conombo en ces termes : « Tes chefs sont têtus mais guère intelligents. Nous sommes trois députés pour la Côte d’Ivoire toute entière. Comment veulent-ils que moi, je me désolidarise des deux autres pour prendre une telle position. Seulement parce que je suis un Moaga et de surcroît Nabiga ? » Pour Philippe Zinda Kaboré, il n’est pas question de sacrifier la solidarité africaine, la libération de l’Afrique noire sur l’autel d’un nationalisme moaga. Bien qu’il fût un prince, il trouvait que le seul combat qui vaille d’être mené, c’est la libération de l’homme quel qu’il soit : « Il n’y a rien qui différencie le Mossi du Bobofing, le Bambara de l’Agni, pour qu’on veuille les dissocier. Tous sont des exploités, tous veulent s’émanciper avec le même degré d’ardeur, qu’on le veuille ou non, ces idées d’émancipation filtreront à travers ces remparts, si étanches soient-ils. Qu’on le veuille ou non, ceux qui souffrent des mêmes maux, se rechercheront et finiront par se retrouver pour mener le même combat libérateur avec la même force et la même foi », dit-il.

Une politique de liberté

Le combat politique de Philippe Zinda fut celui de l’auto-détermination, de l’affranchissement de l’humain de tous les jougs qui pèsent sur lui, du joug colonial à celui de la féodalité en passant par l’obscurantisme. Comme Frantz Fanon, il lutta pour la libération totale de la personne humaine. Pour lui, les Mossis ont droit à la liberté d’expression et d’opinion comme tous les autres peuples, car cette liberté est inscrite dans la nature même de l’homme et est la condition de son devenir humain. Il déclare ceci à l’endroit de ses frères notables : « Nous ne voulons pas que notre pays, après avoir été le réservoir de manœuvres à tout faire des colonialistes de naguère, devienne maintenant le fief chéri de ceux d’aujourd’hui. Intellectuels Mossi, mes frères qui avez le courage de secouer le joug de ce paternalisme honteux, fonctionnaires, agents de commerce et d’industrie, mes frères, qui avez le privilège de manger souvent à votre faim, pensez à cette masse Mossi d’où vous êtes sortis ; pensez à vos pères et mères, à tous vos parents dont l’opinion reste muselée. Pensez qu’ils font partie de cette humanité et que, par conséquent, ils ont droit au respect dû à l’homme en tant qu’individu et, comme espèce. Eux aussi ont droit à la liberté de pensée et d’expression. Eux aussi, longtemps asservis, veulent enfin dire non, parce qu’ ils veulent désormais porter leurs pas, dans le chemin de la libération de la personne humaine ! »

Démocratiser la chefferie

Philippe Zinda Kaboré avait pour ambition de démocratiser la chefferie, voire la moderniser. Comme son ami Dominique Kaboré, ils ne demandaient pas la suppression pure et simple de la chefferie, mais leur combat était qu’elle s’adapte à la modernité politique qui se traduit symboliquement dans cette affirmation : one man one voice ». Son ami Dominique s’explique en ces termes : « Nous ne sommes pas des insensés et nous ne demandons pas pour cela la disparition de nos chefs de province, de canton et de village. Nous désirons simplement que leur nomination, comme leur façon d’administrer leurs hommes, soient empreintes de démocratie, c’est-à-dire exemptes de l’arbitraire administratif que nous avons tant déploré et dont nous avons tant souffert ».

Le 29 avril 1946, il précise la ligne politique concernant la chefferie traditionnelle dans le nouveau parti qu’il voulait mettre en place en ces termes : « Bien entendu, nous mettrons du modernisme dans les chefferies : capacitaires sans distinction de famille. Vote (comme d’ailleurs dans les temps anciens). Le mythe est la succession héréditaire. L’hérédité, comme moyen d’accéder au trône, est un mythe. La chefferie doit être « capacitaire », c’est-à-dire basée sur la capacité à gouverner. Elle doit également reposer sur un vote démocratique. Les conditions du vote : sans distinction de famille. ».

Le choix de Philippe Zinda est clair, la démocratie et elle seule peut permettre aux peuples de s’émanciper des jougs qu’on lui impose : « La démocratie est la seule voie, selon nous, parce qu’elle seule peut conduire à une vraie synthèse des aspirations des peuples. Il suffit pour cela d’appliquer honnêtement la constitution : Le problème n’est pas complexe. Qu’on ne voie donc pas dans la démocratie un mal pour nous ; qu’on nous la donne sans peur et sans regrets parce qu’elle ne nous est pas si étrangère et qu’on n’aille pas jusqu’à dire que cette démocratie nous conduirait à des abus regrettables ou à l’assimilation indigeste que nous avons déjà, systématiquement rejetée. Que l’on voit plutôt dans la démocratie que nous réclamons, un moyen pour nous plutôt, d’évoluer véritablement dans le cadre de nos institutions avec, par moment, les réformes adéquates. C’est pour cela que nous demandons que les Mossis aussi bénéficient de plus de démocratie. C’est pour cela que nous désirerons qu’ils puissent enfin s’exprimer librement, non pas toujours par le truchement de leurs chefs traditionnels, mais que tous les actes de leur vie quotidienne s’accomplissent librement et consciemment ».

Même si le combat semble dur et lassant, Philippe Zinda Kaboré ne désespère pas et appelle ses frères à plus d’engagement et de militantisme : « Chers frères, prenons courage. Dans cette glorieuse bataille qui donne le présent et où s’affrontent le passé et l’avenir, le jeune Rassemblement africain prend résolument parti pour l’avenir, pour la démocratie ; il prend parti pour une démocratie réelle, élargie, rénovée, concrète et vivante, faisant corps avec le peuple, c’est-à-dire pour la démocratie nouvelle dont, par leurs efforts et leurs souffrances, des milliers de tirailleurs combattants, de martyrs de Vichy, ont « sculpté le lumineux visa ».

Philippe Zinda Kaboré fut un combattant infatigable de la démocratie et de la libération des peuples dominés. A travers le RDA, il a milité activement pour la liberté des siens.

Wendkouni Bertrand Ouédraogo

Référence
- Alice Tiendrébéogo/Kaboré, Philippe Zinda Kaboré, un héros de la lutte anti-coloniale, 2010
 LCONOMBO Joseph Issoufou, Acteur de mon temps, Un voltaïque dans le XXe, siècle, I ’Harmattan
 KABORE Désiré, Y DOMINIQUE KABORE, lettres ouvertes : PHILIPPE ZINDA KABORET, premier député de Haute Volta au Parlement français, 1941-1947, auteur auto-édité, Ouagadougou, 2010,

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