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Tchad : Un scénario à l’ivoirienne ?

Publié le vendredi 14 avril 2006 à 04h36min

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Idriss Déby Itno

Des rebelles du FUC (Front uni pour le changement), si l’on en croit les informations qui nous sont parvenues, seraient aux portes de N’Djamena. Cela n’est guère étonnant. Depuis quelques mois en effet, le Tchad est en ébullition.

Désertions dans l’armée, en grande partie composée d’éléments de l’ethnie du président ; tripatouillage de la Constitution pour permettre à Idriss Deby Itno de prolonger à vie son mandat, rompant ainsi de façon flagrante avec le consensus qui s’était dégagé entre les différents protagonistes ; querelle sur fond de rupture de contrat pétrolier entre le Tchad et la Banque mondiale ; inexistence de dialogue entre le pouvoir et l’opposition face à l’absence de toute perspective d’alternance ; frustration d’une population qui voit s’éloigner son espoir de profiter de la manne pétrolière ; rapports exécrables avec son puissant voisin, le Soudan ; convoitises des pétro-profiteurs.

Tout est donc réuni pour transformer le Tchad en une poudrière militaro-ethno-stratégico-religieuse. Belle occasion pour la France, qui entretient déjà une base militaire dans ce vaste pays désertique et stratégique subitement intéressant par ses nouvelles réserves pétrolières, de s’y incruster davantage. Après donc la période (de triste mémoire) de la colonisation française et de ses "bienfaits", voici venue celle de la recolonisation (militaire).

Si au 18e siècle, officiellement, des soucis de civiliser des peuples sauvages ont justifié la première, la seconde obéit aujourd’hui (officiellement aussi) à des considérations sécuritaires. Aussi, dès l’annonce des mouvements de troupes rebelles vers la capitale, la France a-t-elle mis en alerte ses 1 200 hommes stationnés sur le terrain dans le cadre de l’opération "Epervier", tout en dépêchant 150 autres militaires basés à Libreville au Gabon.

S’achemine-t-on vers un scénario à l’ivoirienne ? Ecornée par ses nombreuses déconvenues politiques intérieures (révoltes banlieusardes, déchaînement des élèves, étudiants syndicats et partis d’opposition contre le CPE), la France espère redorer son blason en brandissant les accords militaires conclus entre les deux pays comme trophée.

Au nom de la sécurité de ses ressortissants vivant au Tchad, la France vole au secours du Tchad, plutôt de Idriss Deby Itno. Officiellement, ces accords en matière de défense ne peuvent s’appliquer qu’en cas d’agression extérieure. Prétexte facilement trouvé quand on sait que le Tchad n’est pas en odeur de sainteté avec certains de ses voisins, notamment le Soudan, de la frontière duquel seraient parties certaines attaques. Toujours est-il que les autorités militaires françaises prétendent que leur mission, actuellement, se limite au renseignement.

Pourtant elle n’a pas hésité à effectuer des tirs de sommation sur la colonne rebelle. Renseignement au profit de qui ? Tout laisse croire que de tels renseignements sont exclusivement destinés à l’armée tchadienne. Une armée squelettique, clanique, presque familiale ; en fait, une garde prétorienne choyée et exclusivement chargée de protéger les privilégiés du régime. La vraie armée, ou celle qu’il convient d’appeler ainsi, est formée de sans-culottes qui ne se sentent pas concernés par la survie du pouvoir de Idriss Deby Itno.

En réalité, ce qui se passe actuellement au Tachad était prévisible car il y a bien longtemps que ce pays a besoin tout simplement de démocratie. Depuis son indépendance, il n’a fait qu’assister à la ronde des putschistes. L’on est donc tenté de dire que qui tue par l’épée, meurt par l’épée. Jusqu’à présent, le président tchadien, comme tant d’autres en Afrique, a toujours bénéficié de complicités extérieures qui égrènent le même refrain : le recours à la force pour renverser un régime légal.

Quand on ajoute à cela la rhétorique indigeste de Chirac, selon laquelle la démocratie est un luxe pour l’Afrique, on comprend pourquoi le président du Tchad peut compter sur le parapluie de la France chiraquienne pour exercer sa dictature sur le peuple tchadien. Les Tchadiens peuvent donc continuer à broyer leur impatience de voir le changement. La France qui prétend ravir la palme de la connaissance de l’âme africaine à l’Afrique du Sud se moque de la revendication démocratique des Africains. La reculade face à la fronde de ses propres citoyens ne saurait s’opérer lorsque des Africains crient leur ras-le-bol.

Avant tout, un baril de pétrole est, en termes de profits, plus rentable que la survie des Tchadiens. C’est en faisant ces mêmes calculs et en se moquant des aspirations au changement de l’immense majorité des Ivoiriens, que la France était intervenue pour sauver un régime à la légitimité contestée, et avec lequel beaucoup voulaient en découdre. Résultat, la France s’est non seulement embourbée en Côte d’Ivoire, mais, pire, elle a créé dans ce pays un large sentiment antifrançais. Et pourtant, les hommes politiques français, qui ont toujours les yeux rivés sur les sondages pour virer à 180 degrés, n’ignorent pas que la nouvelle Constitution tchadienne promulguée à l’issue du dernier référendum n’avait recueilli que 22% de oui contre 67% de non.

Quelle que soit l’issue de la partie qui se joue actuellement au Tchad, le régime du président Idriss Deby Itno sortira plus fragilisé que jamais. Car, la plus grande imprudence qu’un pouvoir puisse commettre consiste à compter sur la lassitude et le fatalisme des citoyens. Pour l’instant, le président tchadien, coupé de ses compatriotes et n’écoutant que ses courtisans qui retournent rapidement leur veste, peut compter sur ses protecteurs français. Mais ceux-ci peuvent-ils continuer à porter indéfiniment le fardeau de son incurie ? L’histoire , proche ou lointaine, nous le dira.

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