Burkina/Soutenance de mémoire : Lucien Kambou analyse le discours médiatique en contexte de crises sécuritaires

Lucien Kambou a soutenu avec succès son mémoire de master recherche en sciences de l’information et de la communication, à l’Université Joseph Ki-Zerbo (UJKZ), ce vendredi 20 décembre 2024, à Ouagadougou. Son travail est intitulé « Analyse du discours des télévisions Oméga TV et Impact TV sur les crises sécuritaires ». Il a été présenté devant un jury composé de Dr Régis Dimitri Balima, directeur de mémoire, Dr Marcel Bagaré, co-directeur de mémoire, Dr Émile Pierre Bazyomo, président du jury, et Dr Lacina Kaboré, directeur de l’Institut panafricain d’étude et de recherche sur les médias, l’information et la communication (IPERMIC). À l’issue de cette soutenance, le jury a attribué à son étude la note de 15/20.
Dans son mémoire, Lucien Kambou s’est penché sur une problématique cruciale, la pratique journalistique dans un contexte marqué par l’insécurité et les attaques terroristes au Burkina Faso. Les crises sécuritaires actuelles, selon lui, posent un défi considérable aux médias, qui doivent informer tout en respectant des impératifs de sécurité nationale et d’éthique journalistique.
À travers l’examen des discours médiatiques d’Oméga TV et d’Impact TV sur la période du 23 au 28 février 2024, l’impétrant a exploré comment ces médias adaptent leur traitement de l’information face à des restrictions imposées par les autorités. Ces dernières, souligne-t-il, considèrent souvent que « parler des attaques terroristes, c’est faire la communication des groupes armés terroristes ».
Évolution des pratiques journalistiques en contexte de crise
Lucien Kambou a structuré son analyse autour de deux volets principaux. D’abord, l’étude révèle que les médias burkinabè ont profondément modifié leurs pratiques pour s’ajuster à la situation sécuritaire. Cette adaptation s’est traduite par une dépendance accrue aux sources officielles, telles que les communiqués du gouvernement et des Forces de défense et de sécurité (FDS). Ces derniers sont devenus des sources privilégiées pour diffuser des informations axées sur les succès des forces combattantes. « Censure et autocensure sont donc les maîtres mots quand il s’agit d’aborder les questions sécuritaires », a-t-il indiqué.
Problèmes de formation et défis éthiques
Le mémoire met également en lumière une faiblesse structurelle dans le paysage médiatique burkinabè, à savoir le manque de formation des journalistes face aux exigences du reportage en situation de crise sécuritaire. Du point de vue de Lucien Kambou, beaucoup de professionnels n’ont pas reçu d’instructions spécifiques sur la couverture des conflits ou sur les techniques de reportage en contexte de tension. « Les règles éthiques et déontologiques sont sérieusement menacées », a dépeint monsieur Kambou.
Un travail salué par le jury
Les membres du jury ont favorablement accueilli les conclusions de cette étude, soulignant la pertinence du sujet dans le contexte actuel du Burkina Faso. Ils ont particulièrement apprécié les efforts de production et d’investigation de Lucien Kambou, notant la richesse de sa bibliographie et sa revue de littérature, ainsi qu’une bonne présentation du document.
Entre les faits et l’espoir
Selon Lucien Kambou, la télévision privée commerciale Oméga TV et la télévision privée confessionnelle Impact TV accordent une attention particulière à l’information sécuritaire, bien que chacune le fasse en fonction de sa ligne éditoriale. À Oméga TV, l’information sécuritaire est traitée avec un focus sur les faits, conformément à son slogan, « l’information en temps réel », ce qui se traduit par une couverture immédiate des événements, comme les attaques survenues à Natiaboani et Essakane-Village. En revanche, Impact TV privilégie une approche axée sur « l’espérance », visant à renforcer le moral des populations et des forces combattantes, en mettant en avant des messages d’espoir.
La responsabilité sociale et les compétences du journaliste
Monsieur Kambou estime que la responsabilité sociale du journaliste s’impose comme un impératif, surtout dans le contexte délicat des crises sécuritaires au Burkina Faso. Cette responsabilité ne peut être pleinement assumée sans des compétences supplémentaires, acquises à travers des formations régulières spécifiques au traitement de l’information sécuritaire. Ces formations doivent fournir aux journalistes les outils nécessaires pour naviguer entre les exigences des règles éthiques et déontologiques, et les réalités du terrain.
Informer sans renforcer la stratégie des terroristes
Lucien Kambou souligne que la question de l’impact de la couverture médiatique des attaques des groupes armés sur la lutte contre le terrorisme revêt une importance capitale. Selon lui, les terroristes visent avant tout à semer la peur et l’insécurité au sein de l’opinion publique, un objectif que la médiatisation peut, parfois, involontairement renforcer. Pour appuyer son analyse, il cite Stéphane Berthomet, auteur et expert en sécurité, en terrorisme et en radicalisation, qui affirme : « Le terroriste veut que beaucoup de gens meurent, et le journaliste veut que beaucoup de gens le sachent ».
Cependant, Lucien Kambou insiste sur le fait qu’informer sur les incidents sécuritaires demeure indispensable, à condition que cela soit fait avec discernement. Le traitement de l’information doit viser non seulement à respecter le droit des citoyens à être informés, mais également à renforcer leur résilience face aux défis sécuritaires. Pour ce faire, il est crucial que le contenu diffusé évite de servir les intérêts des groupes armés et se concentre sur l’éducation et la sensibilisation du public. Cette approche réfléchie pourrait contribuer à limiter l’impact psychologique recherché par les terroristes, tout en préservant l’éthique journalistique.
Vers une collaboration nationale pour des médias responsables
Pour relever ce défi, l’impétrant soutient qu’il serait judicieux de créer des cadres d’échanges entre les autorités politiques, militaires et les médias. Ces dialogues permettraient de clarifier les « lignes rouges » évoquées par le gouvernement et souvent perçues comme floues par les journalistes. Reconnaître mutuellement les rôles de chacun (politique, militaire et journaliste), et les exercer pleinement est capital pour préserver l’unité nationale. Afin de donner davantage du crédit à ses idées, monsieur Kambou rappelle cette citation biblique : « Un royaume divisé contre lui-même ne peut subsister ». Il suggère par conséquent, qu’une collaboration harmonieuse entre ces différents acteurs renforcerait l’impact positif des médias dans la lutte contre le terrorisme et contribuerait à un dénouement favorable au profit du Burkina Faso.
Hamed Nanéma
Lefaso.net