Perceptions des producteurs d’ignames sur les pratiques alternatives de production
Yabile Florence OUATTARA, attaché de recherche à l’institut des Sciences des Sociétés / Centre National de Recherche Scientifique et Technologique (INSS/CNRST), yabileflo@yahoo.fr
Résumé
Cet article de vulgarisation est tiré de l’article scientifique « Logiques des producteurs d’igname face aux nouvelles techniques de gestion de la fertilité des terres à Léo (Burkina- Faso) », publié dans la Revue Africaine d’Anthropologie (Nyansa-Pô) et Développement, no 34, pp : 192-208, ISSN : 1819-0642. Le présent article expose les perceptions des producteurs d’igname lorsqu’ils ont été confrontés à la pratique des connaissances hybrides co-construites de production issues de l’intervention d’un projet de recherche et d’appui au développement de la filière igname.
Mots clés : igname, perception, producteur, pratiques, connaissances alternatives
Introduction
L’igname est une culture séculaire (J. Belem, 1998) au Burkina Faso. Elle ne se cultive pas de façon consécutive sur une même parcelle. Elle est produite soit en culture pure, soit en association culturale, soit en rotation culturale où elle vient en tête de rotation. Son système de culture est tel qu’elle caractérise l’igname de consommatrice d’espace physique (E.N Kohio, et al., 2017). Cette consommation d’espace contribuerait à la dégradation des ressources de l’environnement (S. Some, O. Kam, et O. Ouedraogo, 1995) avec pour conséquence une baisse de l’autosuffisance alimentaire et des revenus des ménages agricoles.
De plus, au Burkina Faso les producteurs d’igname bénéficient que faiblement des actions des politiques agricoles l’igname ne figure pas dans la liste des filières porteuses qui peuvent contribuer à l’atteinte de l’objectif stratégique de renforcement de la professionnalisation des acteurs des filières dans le pilier trois du plan d’action pour la stabilisation et le développement de la transition (PA-SD, 2023). Selon P. Dugué, D. Nana et P-Y. Le Gal, (2015) ces contraintes diverses associées aux pratiques culturales courantes justifient le fait que les producteurs d’igname soient confrontés au défi majeur du maintien de la productivité des systèmes de production à base d’igname sans changements techniques et donc au maintien de la fertilité des sols.
Les parties prenantes du système igname et plus particulièrement les acteurs d’appui au développement de la filière igname ont pris conscience de la nécessité de trouver des solutions à ces diverses contraintes d’où l’intervention du projet YAMSYS. Ledit projet est intitulé « Déterminants biophysiques, institutionnels et économiques de l’utilisation durable des sols dans les systèmes de production d’igname pour l’amélioration de la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest ». Pour YAMSYS, la gestion intégrée de la fertilité des sols (GIFS) constitue un recours privilégié pour aboutir à des systèmes de production plus performants et durables (T. Fairhurst, 2015).
Pour ce faire le projet YAMSYS est intervenu à travers la co-construction de deux artefacts afin d’améliorer la capacité à innover des parties prenantes du système igname et plus particulièrement celle des producteurs d’igname. Ces artéfacts sont d’ordre technologiques autour des pratiques de GIFS et d’ordre organisationnel à travers la plateforme d’innovation pour la circulation des informations et instaurer des interactions tant horizontale que verticale.
Le projet s’inscrit dans le cas d’apprentissage collectif puisqu’il cherche à construire des connaissances à appliquer et transformer en savoirs et compétences des connaissances. (A. Toillier et al., 2018). La mise en pratique de ces connaissances s’est confrontée au contexte d’action, et aux conditions historiques et sociales des producteurs et la manière dont ils transforment ces connaissances alternatives conformément à leur perception. Quels sont les perceptions des producteurs sur les pratiques alternatives co-construites ? Les lignes qui suivent, présentent les différentes perceptions mise en exergue par les praticiens à Léo dans la culture de l’igname.
Méthodologie
L’étude a été réalisée dans cinq villages de la commune rurale de Léo. Léo est géographiquement situé dans la région du Centre-Ouest du Burkina Faso. Léo est dans la zone agro-climatique de type soudano-sahélien et reçoit entre les isohyètes 900 et 1100 millimètres d’eau par an (E. Kohio et al., 2007, Q. Lejeune et F. Saeed, 2019). Seules les communautés anciennement installées à savoir les Nuni et les Sissala produisent l’igname. Les villages de Nadion, Hélé, Onliassan, Outoulou, et Bénaverou ont été choisis du fait de leur accessibilité.
Les expérimentations des connaissances techniques alternatives ont été conduites dans des champs écoles mis en place dans chacun des villages d’une part, dans les champs individuels de vingt producteurs par village qui ont été sélectionnés d’autre part. L’expérimentation a été conduite de 2017 à 2019 avec environ 100 producteurs expérimentateurs. Cependant les travaux ont porté sur 87 producteurs.
Ces producteurs ont été soumis à des entretiens compréhensifs semi-directifs. Afin de croiser les informations collectées des observations directes ont été effectuées. Les thématiques relatives aux différentes étapes de l’itinéraire technique de la culture de l’igname ont constitué le corpus du guide d’entretien et de la grille d’observation. Les données de terrain ont suivi les étapes d’une analyse mixte où les analyses statistiques descriptive ont concernés les données quantitatives. L’analyse du discours pour les données qualitatives. Cette approche a permis de relever les perceptions des producteurs sur les techniques alternatives de production de l’igname.
Résultats
La confection du lit de plantation
Les producteurs ont une bonne connaissance de la physiologie végétale de l’igname. Dans le cadre de la préparation du lit de plantation selon la nouvelle pratique, il est préconisé que ce lit soit confectionné entre les mois d’avril et mai. Il doit également comporter des buttes de petites tailles soit 10 000 buttes sur un hectare avec un espacement de 25 mètre au carré. Par contre dans les pratiques anciennes, le lit de plantation est majoritairement confectionné dans le mois de novembre et comporte environ 4000 buttes de grosses tailles. Selon les producteurs d’igname le nombre de buttes est fonction de la disponibilité de la main d’œuvre et leur taille est arrimée non seulement à la taille de tubercules recherchés à la récolte mais surtout au capital symbolique a accumulé. Plus les tubercules sont de grosse taille plus le producteurs est perçus par ses pairs comme un bon producteur. De plus au regard des résultats d’expérimentation des buttes de petites tailles, les producteurs les perçoivent comme des buttes destinées à la culture de la patate douce d’où leur appellation de buttes de patate. De plus les buttes plus ou moins serrées servent de moyen pour freiner la déperdition de l’eau des pluies. Pour ne pas perdre le prestige social tant convoité les buttes sont désormais de taille moyenne.
Perception sur la sélection des semences et plantation
Après la confection du lit de culture survient l’étape de plantation des boutures. YAMSYS préconise le tri afin d’éliminer les tubercules endommagés, puis le fractionnement des tubercules en des morceaux de 200 grammes, puis le traitement phytosanitaire dans un mélange de cendre et du macozèbe (fongicide) et enfin la plantation des semenceaux en respectant une disposition non profonde dans la btte. Comme précédemment, la taille du semenceaux s’allie à celle de la taille de la butte pour produire de gros tubercules. Ces gros tubercules sont plus source de revenu car plus prisés par les consommateurs. De plus, cette pratique a été perçue comme un moyen pour réintroduire certaines variétés d’igname prisée par les consommateurs et les transformatrices comme la variété sankapiè et l’arbacoua, de l’espèce D. rotoundata. Cependant le traitement avec le fongicide et à la cendre est perçu comme une technique qui rallonge la durée de la plantation au regard de l’ensemble des spéculations programmées par l’exploitant agricole.
Dans l’optique d’une meilleure gestion des travaux agricoles et au regard de la seule saison pluvieuse, la plantation qui se pratiquait, entre le mois de décembre et de février voire le mois de mars en saison sèche, est désormais accordée sur l’arrivée de la pluie. Par conséquent la charge d’installation des cultures augmente chez le producteur.
En somme, les producteurs estiment avoir saisi un des goulots d’étranglement de la culture de l’igname et mesurer ainsi l’écart entre cette pratique alternative et leur pratiques courante existante.
La production des semenceaux et leur usage
YAMSYS a également formé les producteurs à la production de semences saines. L’appropriation de cette pratique permettra de réduire les déplacements des producteurs vers des pays voisins comme le Ghana à la recherche de semences. Les producteurs relatent que le taux de germination de ces semences reste très faible. Il eut une grande satisfaction des producteurs face à ce renforcement de capacité puisque ces producteurs de la filière sont rarement subventionnés en matériel végétal. Par conséquent, il eut des producteurs d’igname qui sont devenus des producteurs semenciers dans la commune de Léo. Selon la perception des producteurs, au regard des nouveaux gains économiques qu’ils tirent de la production des semences, le projet a permis de comprendre un aspect du fonctionnement de la culture de l’igname.
Perception sur le processus d’entretien des cultures
Dans le mécanisme d’entretien des cultures d’igname, Le projet préconise l’épandage de la fumure minérale suivi de la remonter de la terre sur les buttes et l’usage de la fumure organo-minérale. À cela il adjoigne une pratique améliorée de tuteurage qui réduirait de 25% la coupe des arbres. Les producteurs comprennent que cette pratique d’épandage de l’engrais consomme moins d’énergie physique et est plus rapide que l’apport par poquet qu’ils pratiquaient.
Par contre, pour le tuteurage amélioré, sa difficile réplicabilité, les contraintes temporelles et financières ont été fortement présentes dans leur représentation sociale. Pour ce faire les producteurs ont plus manifesté des comportements résistants à son intégration dans leur pratique. Aussi, cette pratique semble plus distante par rapport à leur antérieurs et se trouve alors confronté à leur esprit conservateur des pratiques de tuteurages endogènes.
Conclusion
L’analyse du processus de perception des pratiques alternatives chez les producteurs d’igname a permis de mettre en lumière un ensemble de positions saillantes. Les techniques alternatives mises à la disposition des producteurs d’igname sont perçues différemment chez les producteurs. Ils les perçoivent en fonction des bénéfices tangibles et intangibles recherchés. En général, les producteurs perçoivent de manière satisfaisante les techniques alternatives du projet YAMSYS. Ils mettent en relation les biens fondés des pratiques alternatives sur les gains sociaux et économiques. La quasi-totalité des pratiques alternatives les perçoit à leur juste valeur par rapport à l’ensemble de connaissances endogènes préexistantes dans leur communauté à savoir : la préparation du lit de plantation, la production de semences saines, et la pratique d’épandage des engrais minéraux. Autrement, l’intervention de YAMSYS a révélé les adaptations qu’il faut faire et les éléments dont il faut tenir comptent pour espérer une meilleure productivité de l’igname.
Référence bibliographique
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OUATTARA, Y. F., KOLAWOLÉ, F., ADJIN, LINARD GIAN, N., et MONGBO, R., 2022, « Logiques des producteurs d’igname face aux nouvelles techniques de gestion de la fertilité des terres à Léo (Burkina- Faso) », Revue Africaine d’Anthropologie (Nyansa-Pô) et Développement, 34, pp. 192-208.
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