Effet de la diversité de postures des chercheurs sur l’utilisation de connaissances alternatives
Yabile Florence OUATTARA, attaché de recherche à l’institut des Sciences des Sociétés / Centre National de Recherche Scientifique et Technologique (INSS/CNRST)
Résumé
Cet article de vulgarisation est tiré de l’article scientifique « Recherche participative pour développer la filière de l’igname au Burkina Faso : Enrôlement des acteurs et place des chercheurs du projet YAMSYS » publié dans la Revue Africaine de Recherche Interdisciplinaire no 67, pp : 163-201, ISSN : 3006-080X. Il présente des rôles innovants qui émergent dans la fonction des chercheurs afin de susciter l’utilisation des connaissances alternatives co-construites dans les activités d’appui au développement de la filière igname.
Mots clés : igname, rôles innovant, chercheur, utilisation
Introduction
Le système ignames au Burkina Faso et plus particulièrement le système de culture de l’igname est confronté à des difficultés tant techniques, sociales et institutionnelle. Le système de culture non consécutive sur une même parcelle fait que cette culture est caractérisée très consommatrice d’espace. Ce conduit à des dégradations de l’environnement physique. En retour cela entraine une baisse des rendements de culture et du revenu des producteurs. Une telle situation dévoile les défis de gestion de l’environnement et de productivité auxquels le producteur est confronté. Pour y répondre les chercheurs d’un projet de recherche inter et transdisciplinaire YAMSYS est intervenu à travers une approche participative pour co-construire des connaissances alternatives.
Les mécanismes de renforcement des capacités à innover des acteurs dans les filières agricoles connaissent des évolutions de paradigme (DJ. Spielman et al., 2009). Le chercheur doit de plus en plus changer sa posture en fonction des étapes du cycle de vie du projet lors de son opérationnalisation afin d’enrôler les producteurs, les transformer en des responsables de leur propre développement du fait de leur engagement dans l’utilisation des connaissances (A. Toillier et al., 2018). C’est ce qui a motivé l’intervention du projet YAMSYS. Les chercheurs durant les étapes du cycle de vie du projet ont développé des situations d’apprentissage diverses à partir des arènes d’échanges initiés. Quels rôles les chercheurs de ce projet ont joué afin de susciter l’utilisation des connaissances alternatives ?
Méthodologie
Notre méthodologie a consisté à l’élaboration d’une grille d’observation des différents espaces d’échanges entre les chercheurs et les acteurs mobilisés comme bénéficiaires dudit projet. Puis des entretiens ont été conduits auprès des acteurs en confrontation. Les données transcrites et le corpus obtenu a fait objet d’analyse de discours afin de mettre en exergue les rôles des chercheurs au cours des mécanismes mis en œuvre pour le renforcement des capacités à innover des producteurs.
Résultats
Le projet YAMSYS est créé par un consortium de chercheurs, d’enseignants-chercheurs, d’acteurs institutionnels et deux institutions du CGIAR (ICRAF, IITA) de la Suisse (ETH, FiBL), du Nigéria (IITA), du Bénin (UAC), de la Côte d’Ivoire (CSRS, UFHB) et du Burkina Faso (INERA, IDR-UNB). Le projet est intervenu au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Il a été financé par la Coopération Suisse. Le projet s’intitule Déterminants biophysiques, institutionnels et économiques de l’utilisation durable des sols dans les systèmes de production d’igname pour l’amélioration de la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest ». L’approche partenariale mise en œuvre par le projet a été opérationnalisée à partir des paquets techniques agronomiques et deux outils organisationnels que sont les plateformes d’innovation et les cadres de concertations.
L’analyse des espaces de confrontation entre chercheurs et bénéficiaires mobilisés montre que lors de la co-construction de l’objet de la recherche il eut des moments d’adhésion des acteurs et des moments de désaccord. L’objet de recherche est l’ensemble des éléments sur lesquels les chercheurs ont fondés leur réflexion lors de la construction de la problématique de recherche. Cet objet d’apprentissage a été défini par les chercheurs suite à l’analyse des contraintes et des opportunités de la filière igname dans les zones d’intervention du projet. Il est compris au sens large à savoir : les informations qui doivent mobilisées, des savoirs explicités qui seront développées, les actions pratiques à mettre en œuvre et les comportements et attitudes existants chez les producteurs à transformer ou à soutenir.
Les confrontations discursives se sont déroulées sur quatre espaces distincts. Elles ont permis de mettre en exergue les rôles que les chercheurs du projet YAMSYS ont dû assumer afin d’atteindre les objectifs du projet et les objectifs spécifiques de ses quatre composantes. Les chercheurs ont pris conscience qu’ils n’étaient pas les seuls à détenir des connaissances dans la culture de l’igname d’une part et d’autre part qu’ils doivent également développer des capacités réflexives et adaptatives afin de créer un environnement propice de travail. Ainsi trois grandes fonctions ont été observées chez les chercheurs auprès des différentes catégories d’acteurs intervenant dans le projet.
Lors des séances de restitutions des résultats auprès des bailleurs de fonds, des acteurs institutionnels comme le politique, les chercheurs se sont inscrits dans la fonction d’un communicateur afin de susciter l’adhésion de ces acteurs et leur démontrer l’intérêt de leurs actions de recherche sur le développement des maillons de la chaîne de valeur de l’Igname. Ils ont été des facilitateurs d’innovation auprès des producteurs afin d’accroître le pouvoir de décision de ces derniers et susciter des changements de pratiques et de perception dans la production de l’igname sur leur parcelle de production (E. Vall et al., 2016). Les résultats probants ont affecté positivement la réflexivité des producteurs sur leurs choix dans la culture de l’igname en termes de ressources agricoles et des attitudes a adoptées au cours de la campagne agricole. Les chercheurs ont été des acteurs intermédiaires afin de faciliter la proximité d’action entre les producteurs et les vulgarisateurs ou entre les producteurs et les acteurs des institutions financières afin d’accroître l’accessibilité aux ressources de production autrefois inexistantes. Ce statut de « colle » endossé par le chercheur affecte la perception des producteurs et renforcent leur confiance accordée aux chercheurs. Enfin, les chercheurs ont été des négociants et des co-apprenants (A. Toillier, 2018) dans le système igname au cours des expérimentations des connaissances hybrides co-construites avec les producteurs et l’analyses des résultats issus de ces expérimentations.
Ces fonctions de négociateur et de co-apprentissage sont nées des situations de désaccord dans le dispositif d’apprentissage et de diffusion. Les expérimentations in situ ont contribué à accroître la qualité du capital humain du système igname du fait du rôle régalien de producteur de connaissances scientifiques des chercheurs et enseignants-chercheurs. Puisque les étudiants ingénieurs et les doctorants ont non seulement travaillé auprès des détenteurs des connaissances endogènes. Ils les ont identifié et facilité leurs prises en charge par les chercheurs lors de la co-construction de connaissances alternatives et dans le mécanisme d’appui au développement de la filière igname.
Ces différentes fonctions endossées par les chercheurs en fonction des étapes du projet démontrent que la posture du chercheur est évolutive et constituent des sources de création de fonctions émergentes. Ils ne sont plus uniquement des producteurs de connaissances scientifiques mais peuvent être des courtiers de la connaissance, des acteurs stratégiques capables d’influencer les prises de décisions tant chez le décideur politique, le bailleur de fond que chez le bénéficiaire des connaissances alternatives. De ce fait, les fonctions émergentes des chercheurs contribuent à renforcer le mécanisme d’enrôlement des producteurs d’une part, la création de connaissances hybrides et l’utilisation de ces connaissances hybrides. Les fonctions émergentes des chercheurs facilité également l’apparition des maillons manquant dans la chaîne de valeur de l’igname, tel que le maillon de producteur semencier. Elles ont également contribué à instaurer la confiance entre des acteurs autrefois distants et améliorer la qualité et la quantité de leurs interactions dans le système.
Autrement les nouvelles fonctions des chercheurs les place comme des leviers d’action dans le système igname et donc incontournable pour le développement de la filière igname (J. Jacobi et al., 2022) bien qu’ils ne soient pas les seuls détenteurs de connaissances.
En somme ces fonctions innovantes et émergeantes observés dans le rôle des chercheurs peuvent être considérées comme des sources stratégiques prometteuses qui soutiennent l’enrôlement des producteurs d’igname d’une part et l’utilisation efficiente des connaissances alternatives dans le système igname d’autre part.
Conclusion
Les chercheurs ont endossés des fonctions multiples qui leur ont permis de relever des défis et résoudre des enjeux majeurs du système igname. Les fonctions émergeantes des chercheurs leurs ont permis de contribuer au renforcement de capacité à innover des producteurs du système igname.
Ces fonctions additionnelles des chercheurs sous-tendent des connaissances hybrides sources de développement durable de la filière (J. Jacobi et al., 2022). De plus, la capacité adaptative des chercheurs facilite trois ensemble d’action à savoir : (i) l’acceptation des connaissances co-construites par les producteurs ; (ii) l’instauration de la confiance entre producteur et chercheurs ou entre producteurs et acteurs d’appui au développement comme les vulgarisateurs, et/ou les acteurs des institutions financière et (iii) l’amélioration des conditions d’intéressement des producteurs. Tout cet ensemble contribue à accroître l’enrôlement des acteurs et influence positivement le développement de la filière igname du fait d’une forte adhésion des producteurs à l’utilisation des connaissances alternatives.
Référence bibliographique
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