Valorisation faunique au Burkina : L’Office national des aires protégées s’imprègne des difficultés de la ferme de Wedbila
La conservation et la valorisation de la faune représentent des enjeux majeurs, tant pour l’éducation environnementale que pour le développement économique durable. C’est dans cette optique que l’Office national des aires protégées (OFINAP) a organisé une tournée avec ses partenaires, les 6 et 7 décembre 2024. Cette mission a permis de mettre en lumière des initiatives remarquables en faveur de la conservation et de l’éducation environnementale. La ferme de démonstration de l’élevage de faune de Wedbila, en effet, est l’un des modèles exemplaires d’élevage faunique qui attire chercheurs et passionnés de la nature, malgré les défis qu’elle rencontre.
La ferme de démonstration de l’élevage de faune de Wedbila, située à l’entrée de la région du Centre-Sud, dans la province du Bazèga, s’étend sur une superficie totale d’environ 70 hectares. Dès leur arrivée, à 9h, les autorités du ministère de l’Environnement, de l’eau et de l’assainissement ont découvert un espace doté d’une certaine richesse faunique exceptionnelle. Son exploitation se limite à seulement 15 hectares, en raison du manque de moyens.
Cet écrin de biodiversité offre un aperçu captivant de la cohabitation harmonieuse entre les espèces animales locales et les infrastructures humaines conçues. De vastes enclos bien entretenus abritent diverses espèces telles que des gazelles dorcas, des porcs-épics, des phacochères et même des autruches à cou rouge, témoignant d’un savoir-faire impressionnant dans l’élevage de la faune locale et exotique. Au-delà de son rôle de préservation, la ferme est un laboratoire éducatif et économique.
Un modèle d’économie faunique et d’éducation
Selon le colonel Dieudonné Yaméogo, directeur de la faune et des ressources cynégétiques, le couple de gazelles dorcas, une espèce sahelo-sahélienne venue du Niger, coûte environ un million de francs CFA et se reproduit plusieurs fois par an. Depuis sa création au début des années 2000, la ferme a déjà vendu près de 350 porcs-épics et plus de 50 antilopes et phacochères. Ces ventes ont permis la création d’autres fermes d’élevage, tout en participant à l’éducation environnementale des jeunes à travers des visites régulières.
« Nous recevons de nombreuses écoles, de la maternelle au secondaire, pour sensibiliser les jeunes à l’importance de la conservation de la faune », confie Clark Lungren. Malgré cet engouement, il déplore le poids des charges financières. « Nos recettes couvrent seulement 25 % des dépenses annuelles. Tout le reste est subventionné par notre association, le Centre pour le développement de la production faunique », explique-t-il.
Des défis financiers et une ambition sans limite
Avec des frais de fonctionnement oscillant entre 1,5 et 2 millions de francs CFA par mois, la ferme peine à atteindre un équilibre financier. La crise sanitaire de covid-19 a aggravé la situation, contraignant Clark Lungren à vendre une partie de son cheptel. « En 2025, nous espérons atteindre 20 000 visiteurs pour couvrir 50 % de nos dépenses », projette le promoteur.
Clark Lungren s’inquiète également d’une taxe communautaire prévue à compter de janvier 2025, qui viendrait alourdir les charges de fonctionnement de la ferme. « Croyant que nous faisons fortune, on veut nous imposer une taxe communautaire à partir du mois de janvier. Cela vient non seulement alourdir nos charges, mais va représenter une augmentation de 20 % du coût des visites des enfants qui constituent la majorité de nos visiteurs », déplore-t-il. Une augmentation qui risque de rendre les activités éducatives moins accessibles à de nombreux élèves et familles.
Pour aller plus loin, M. Lungren envisage de recharger son cheptel afin de vendre au moins 20 antilopes par an et réaliser des investissements stratégiques. Parmi ses priorités figurent la construction d’une clôture d’un coût estimé à environ 22 millions de francs CFA pour permettre aux autruches de s’épanouir en semi-liberté. À cela s’ajoutent l’établissement de fiches techniques pour chaque espèce et la finalisation d’un hôtel destiné à accueillir les visiteurs dans de meilleures conditions.
Plaidoyer pour une meilleure gestion faunique
Pour soutenir le développement des fermes d’élevage, Clark Lungren recommande la mise en place de licences pour les braconniers sélectionnés et formés, ainsi que pour les agents de vente d’animaux. « Chaque jour, des animaux meurent faute de compétences en matière de transport de ces bêtes. Il est urgent de professionnaliser ce secteur », insiste-t-il. Cette visite a permis de démontrer comment l’élevage faunique peut contribuer à la conservation de la biodiversité tout en générant des revenus pour les populations locales.
Un espoir pour l’avenir
Le chargé de mission du ministre de l’Environnement, Dr Ollo Théophile Dibloni, qui a conduit cette tournée, a souligné l’importance de la visite de la ferme de Clark Lungren, un passionné et pionnier de la conservation faunique au Burkina Faso. Selon lui, cette initiative permet de montrer aux populations qu’il est possible d’élever la faune et d’en faire un outil de préservation. L’élevage de la faune contribue à atténuer la problématique des espèces en voie de disparition en permettant leur réintroduction dans la nature après les avoir élevées.
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Clark Lungren, dont l’initiative emploie une quarantaine de Burkinabè de manière directe et indirecte, réfute l’idée que l’absence de lions dans sa ferme soit liée à leur dangerosité supposée. Selon lui, la présence de lions dans divers zoos montre qu’ils peuvent coexister avec les visiteurs dans un cadre sécurisé. Il insiste sur le fait que le véritable frein réside dans les coûts élevés associés à leur entretien. Pour Clark Lungren, cette situation met en lumière les défis financiers que pose l’élevage de faune, notamment lorsqu’il s’agit de grands carnivores.
Avec un brin d’humour, il détaille les besoins spécifiques d’un lion, qui nécessite en moyenne 5 kg de viande par jour, soit 10 kg pour un couple. « Cela équivaut à 300 kg par mois et 3 600 kg par an, pour un coût de 7 à 8 millions de francs CFA », explique-t-il, en invitant à un soutien financier pour franchir ce cap. Ce plaidoyer illustre à la fois les ambitions du promoteur et les défis colossaux de gestion et de financement auxquels il fait face, tout en lançant un appel à la solidarité pour concrétiser ce projet.
La première journée de la tournée s’est achevée à une vingtaine de kilomètres de la ferme de Clark Lungren, sur la route nationale n°5, par la présentation officielle d’un panneau d’indication du Parc national de Pô, également appelé Kaboré Tambi. Ce moment symbolique s’est déroulé en présence d’une délégation de la veille citoyenne de la région, mettant en avant l’importance de sensibiliser les populations locales et les usagers de la route aux règles strictes qui régissent ce parc.
Sur le panneau, des interdictions claires sont énoncées : chasse, pacage, feux de brousse, coupe de bois et collecte d’agrégats y sont strictement prohibés, rappelant les engagements nécessaires pour la préservation de cet espace naturel protégé.
Le panneau en question a été installé dans le cadre du Projet de gestion intégrée et durable du paysage de l’aire protégée du complexe Pô-Nazinga-Sissili (PONASI), financé par le Programme des nations unies pour le développement (PNUD). Cette initiative vise à renforcer les mesures de conservation de la biodiversité tout en impliquant les communautés locales dans la gestion durable des ressources naturelles. Ce projet s’inscrit également dans une démarche éducative, en sensibilisant les riverains aux enjeux de protection et en promouvant une exploitation raisonnée et respectueuse des écosystèmes environnants.
Hamed Nanéma
Lefaso.net