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Burkina/Corruption : La protection des lanceurs d’alerte au cœur d’un panel

Publié le mercredi 11 décembre 2024 à 21h30min

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Burkina/Corruption : La protection des lanceurs d’alerte au cœur d’un panel

Le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) a organisé, ce mardi 10 décembre 2024 à Ouagadougou, un panel dans le cadre de la 19e édition des Journées nationales du refus de la corruption (JNRC). Sous le thème central « Protégeons les lanceurs d’alerte pour une lutte efficace contre la corruption et les crimes économiques », cette rencontre a permis d’explorer le rôle crucial des lanceurs d’alerte dans la gouvernance transparente et la protection de l’intérêt général. Ce panel se tient au moment où se déroule le procès sur le détournement de fonds publics au ministère en charge de l’Action humanitaire, ayant causé un préjudice de plus de trois milliards de francs CFA à l’État burkinabè.

Pour donner le ton aux échanges, le substitut du procureur général près la Cour d’appel de Bobo-Dioulasso, Diakalya Traoré, personne ressource du REN-LAC, a présenté une communication inaugurale sur le thème : « Place des lanceurs d’alerte dans la lutte contre la corruption ». Dans son exposé, il a souligné que les lanceurs d’alerte jouent un rôle déterminant en révélant des pratiques illégales ou préjudiciables à l’intérêt général, mais qu’ils restent souvent vulnérables face à des représailles.

Des exemples édifiants

Dans sa communication, Diakalya Traoré a structuré son exposé en deux grandes parties distinctes. La première partie met en évidence la marginalisation des lanceurs d’alerte dans le système de lutte contre la corruption au Burkina Faso. Ces acteurs, bien qu’essentiels, sont souvent ignorés ou insuffisamment protégés, ce qui limite leur contribution à la lutte contre les pratiques corruptrices. La seconde partie, en revanche, présente les lanceurs d’alerte comme des figures incontournables, conformément aux exigences des standards internationaux, pour garantir l’efficacité et l’intégrité des systèmes de gouvernance.

« Si la personne corrompue dénonce les faits aux autorités compétentes avant que les poursuites ne soient engagées, la loi demande au juge de ne plus la sanctionner », Diakalya Traoré, spécialiste dans la répression des infractions économiques et financières.

Pour renforcer son argumentation, le substitut du procureur a insisté sur la nécessité d’un cadre juridique et institutionnel favorable à la dénonciation. Il a notamment souligné la confusion entretenue entre les termes « dénonciateur » et « lanceur d’alerte » dans certaines législations, comme celles du Rwanda et du Ghana. Selon lui, si le dénonciateur peut être considéré comme l’ancêtre du lanceur d’alerte, ce dernier a un rôle beaucoup plus large et stratégique. Tandis que le dénonciateur informe les autorités compétentes d’une infraction dont il a eu connaissance, le lanceur d’alerte agit souvent pour défendre l’intérêt général en exposant des faits graves qui pourraient autrement rester dans l’ombre.

« Dénoncez immédiatement sinon vous pouvez être sanctionné »

En matière de protection, Diakalya Traoré a rappelé les dispositions du droit burkinabè. L’article 242-9 du code de procédure pénale exige des autorités constituées et fonctionnaires qu’ils dénoncent immédiatement tout crime ou délit connu dans l’exercice de leurs fonctions. De plus, le code pénal prévoit des sanctions pour la non-dénonciation d’infractions. Toutefois, dénoncer des actes de corruption ou des crimes économiques expose souvent à des représailles, ce qui a conduit à l’introduction, en 2015, de mécanismes de protection, notamment l’autorisation de dénoncer anonymement dans certains cas.

« Le ministère de la Justice, en collaboration avec l’ASCE-LC et le REN-LAC, a élaboré l’avant-projet de loi portant protection des lanceurs d’alerte au Burkina Faso », Marie Ouédraogo, représentante du ministère de la Justice.

Cet avant-projet de loi, renchérit la représentante du ministère de la Justice, Marie Ouédraogo, a pour objectif d’apporter une protection juridique aux lanceurs d’alerte vivant au Burkina Faso, ainsi que ceux résidant hors du pays. Madame Ouédraogo affirme que l’avant-projet de loi en question, définit le lanceur d’alerte comme toute personne appartenant à une organisation, une structure ou un service à caractère public ou privé. Celle-ci signale tout fait anormal à l’autorité hiérarchique interne, ou aux autorités judiciaires ou administratives ayant mandat de lutte contre la corruption.

Dans la pratique, Diakalya Traoré a noté que les officiers de police judiciaire respectent généralement l’anonymat des dénonciateurs. Par exemple, les procès-verbaux mentionnent des expressions comme « personne digne de foi » pour éviter d’exposer l’identité du dénonciateur. De plus, des dispositions juridiques garantissent que les lanceurs d’alerte ne peuvent être licenciés ou sanctionnés pour avoir rapporté des faits de corruption à leur employeur ou aux autorités compétentes. Ces protections sont essentielles pour encourager les dénonciateurs et assurer la transparence dans les administrations.

Afin d’étayer ses propos, le magistrat a cité le cas de producteurs d’eaux préemballées. « L’employé peut savoir que l’eau n’est pas potable pour avoir été infestée, mais ce dernier va craindre d’être licencié pour avoir porté l’information aux autorités judiciaires. Les employés font souvent ce genre de révélation après avoir été licenciés », a-t-il expliqué. Cette crainte de représailles freine la dénonciation des faits répréhensibles, compromettant ainsi les efforts pour instaurer un environnement de travail sain et une gestion éthique des entreprises.

« Nous disposons désormais d’un numéro vert pour les dénonciations : 80 00 11 22 », Sagado Nacanabo, secrétaire exécutif du REN-LAC.

Préserver l’intérêt général

Protéger ces citoyens courageux devient alors indispensable, et monsieur Traoré s’est appuyé sur la convention N°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour illustrer son importance. Cette convention dispose que « lorsqu’un travailleur dénonce des faits illégaux ou illicites dans le cadre de l’entreprise, l’employeur ne doit pas le sanctionner ». Car la finalité de l’alerte est de préserver l’intérêt général.

Enfin, conformément aux standards internationaux, le substitut du procureur a souligné le rôle crucial des lanceurs d’alerte dans la lutte contre la corruption et les crimes économiques. Leur action permet non seulement de prévenir et de détecter les actes de corruption, mais aussi de confisquer les biens blanchis au profit du Trésor public et de corriger les dysfonctionnements administratifs. Ils agissent comme des sentinelles, attirant l’attention des autorités compétentes sur des dangers sécuritaires, humanitaires ou environnementaux. En ce sens, leur protection est une condition sine qua non pour une gouvernance efficace et éthique.

« Je suis fondé à croire que ceux qui ont assassiné Norbert Zongo, s’ils avaient accès à ses sources, les auraient éliminées en premier », Boukari Ouoba, journaliste au journal Le Reporter.

« Celui qui dénonce peut être marginalisé »

Au cours du panel, les sous-thèmes développés ont tous été enrichissants. La représentante du ministère de la Justice, Marie Ouédraogo, a mis en relief une exclusion. « Il est exclu les faits, informations ou documents, quels que soient leurs formes ou leurs supports, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical, le secret des délibérations judiciaires, le secret des relations entre un avocat et son client », a-t-elle signalé.

Le secrétaire exécutif du REN-LAC, Sagado Nacanabo, quant à lui, a évoqué les défis opérationnels dans la lutte contre la corruption. « Celui qui dénonce-là, on peut le marginaliser malgré les mesures de protection. On peut même le sanctionner, l’affecter, ou intenter à son intégrité physique. Il y a un agent public qui exerce dans le secteur de la santé. Ce dernier ne pouvait plus travailler dans la sérénité, après qu’il a été soupçonné par sa hiérarchie d’avoir dénoncé quelque chose au REN-LAC. En dépit de nos tentatives pour que ses supérieurs ne s’en prennent pas à lui, il a été affecté ailleurs. Une autre situation concerne un agent de l’éducation dans la localité de Kombissiri. Cet agent a également été affecté par son directeur provincial qui craignait que l’on porte atteinte à son intégrité physique. Celui-ci avait dénoncé des faits anormaux entre la direction du collège concerné et le bureau de l’association des parents d’élèves. Parce qu’il y avait de l’argent qui transitait par des cotisations qui n’étaient pas légales », a-t-il confié.

À son tour, le journaliste Boukari Ouoba, du journal Le Reporter, a partagé des expériences sur le rôle des médias dans la révélation des scandales liés aux crimes économiques, en revenant sur l’affaire WikilLeaks et le scandale du Watergate. Ces contributions ont enrichi les débats et souligné la complémentarité des acteurs dans ce combat commun.

Les échanges ont permis de souligner l’urgence de renforcer les mécanismes de signalement, tout en garantissant l’anonymat et la sécurité des dénonciateurs. En l’absence de telles garanties, la lutte contre la corruption et les crimes économiques demeure incomplète.

Aperçu des participants au panel du REN-LAC dans le cadre de la 19e édition des Journées nationales du refus de la corruption.

Un appel à l’action pour des réformes

La 19e édition des Journées nationales du refus de la corruption s’inscrit dans une dynamique de plaidoyer en faveur de réformes concrètes pour consolider la lutte contre la corruption. Le REN-LAC ambitionne, à travers cette thématique, d’interpeller les autorités burkinabè sur l’urgence d’adopter des lois protectrices pour les lanceurs d’alerte, à l’image de nombreux pays qui ont intégré ces dispositions dans leur arsenal juridique.
Ce panel a marqué un pas décisif vers une prise de conscience collective sur l’importance de sécuriser les lanceurs d’alerte. Une chose est certaine, le REN-LAC reste mobilisé pour faire de la lutte contre la corruption une priorité nationale, avec la collaboration active de toutes les parties prenantes.

Hamed Nanéma
Lefaso.net

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