La période précoloniale dans la commune de Tibga (province du Gourma - Burkina Faso) à la lumière de l’archéologie
LANKOANDÉ Hamguiri
Institut des Sciences des Sociétés
Burkina Faso
LANKOANDE Hamguiri
Hamguiri.lankoane@yahoo.fr
Introduction
La présente réflexion est une synthèse de l’article scientifique « La commune de Tibga dans la province du Gourma (Burkina Faso) : éléments d’archéologie et perspectives de recherche » publié dans la Revue Burkinabè d’Histoire et d’Archéologie d’Août 2024, N°001, Vol1, E-ISSN : 2756-7435, Site web : https://www.rbha.fr, pp. 1-19.
De nombreuses traces témoins de l’occupation humaine depuis les périodes les plus reculées ont été identifiées dans la commune rurale de Tibga. Il s’agit principalement des sites d’habitat anciens (buttes anthropiques), des sites d’activités techniques (amas de scories de fer, tessons de céramique, puits de teinture), des sites d’activités guerrières (sites de défenses et/ou de refuge) et du domaine funéraire (les nécropoles). Ces preuves matérielles d’activités humaines passées sont encore mal connues aussi bien du monde scientifique que de celui profane. Or leur étude permet de connaître les modes de vie de ces peuples présumés anciens (Kiethéga J-B., 2009 ; Yougbaré O., 1993 ; Ouôba G., 2008 ; Lankoandé H., 2018, 2023). Ce qui contribue à la connaissance de l’histoire globale des groupes humains qui ont marqué leur passage sur les territoires de l’actuel Burkina Faso depuis les périodes les plus anciennes jusqu’à celles les plus récentes. Qu’est-ce qui caractérise les sites archéologiques identifiés dans la zone d’étude ? Quelle peut-être leur contribution à la connaissance de l’histoire précoloniale de la commune de Tibga ? La réponse à cette problématique a nécessité l’exploitation de documents écrits et de données orales et archéologiques.
1. Présentation de la zone d’étude et description des sites identifiés
Il s’agit de la présentation de la commune de Tibga, de la localisation des sites trouvés et de la description de certains d’entre eux.
1.1. Présentation de la zone d’étude et localisation des sites
La commune rurale de Tibga est l’une des six (06) communes qui forment la province du Gourma. Elle est créée conformément aux dispositions de la loi n°055-2004/AN portant Code Général des Collectivités Territoriales au Burkina-Faso en son article 27 . Géographiquement, la commune est limitée au Nord par la commune rurale de Bilanga dans la province de la Gnagna, à l’Ouest par la commune rurale de Gounghin dans le Kouritenga, au Sud par la commune rurale de Diabo et à l’Est par les communes rurales de Diapangou et Yamba. Mais la zone d’étude couvre quatorze (14) des quarante-deux (42) villages que compte la commune de Tibga. Ces villages, qui forment la partie septentrionale de la commune, sont majoritairement peuplés de Gulmanceba et de Zaose. Plusieurs sites archéologiques de natures diverses y ont été identifiés (Voir Carte).
1.2. Typologie et étude descriptive des sites identifiés
Grâce à la prospection et aux informations recueillies auprès des personnes ressources de notre zone d’étude, nous avons pu identifier plusieurs sites archéologiques de natures diverses. Il s’agit entre autres des sites d’habitat (anciens et subactuels), des restes d’activités techniques (production céramique, production artisanale du fer, production de la teinture) et ceux relevant du domaine funéraire (nécropoles). Mais les sites susceptibles de renseigner sur la période précoloniale sont ceux d’habitat anciens, la céramique archéologique, les ateliers de réduction de minerai de fer aux fourneaux à tirage naturel et les nécropoles à jarres.
Les sites d’habitat anciens
Ils sont encore appelés buttes anthropiques et constituent « … des monticules provenant de la destruction d’habitats et de l’accumulation de déchets domestiques » (Thiombiano-Ilboudo F.É., 2010 : 360). Ces sites figurent parmi les plus nombreux de la zone d’étude. Ils s’étendent sur toute la zone d’étude et sont matérialisés par des buttes de grande taille (environ 100 m de largeur) avec des hauteurs qui atteignent parfois 1 m. Ces sites d’habitat anciens se caractérisent en général par la présence d’un certain nombre d’espèces végétales spécifiques. Le même constat est fait ailleurs par Jean-Baptiste Kiethéga lorsqu’il affirme : « Ces buttes aux surfaces dénudées ou portant des peuplements de Balanites aegyptiaca, d’Acacia albida ou encore d’Andansonia digitata, présentent au prospecteur une grande quantité de tessons de céramique et de même de poteries entières bien conservées » (Kiethéga J-B., 2009 : 31). A la surface de ces vastes buttes, se trouvent de grosses jarres (1 m diamètre environ) in situ et enfouies jusqu’au bord. De gros et moyens tessons de céramiques parsèment leurs surfaces sans oublier la présence des blocs de broyeurs et de moellons de latérite. Par ailleurs, certaines d’entre elles contiennent des jarres dont la disposition renvoie probablement à des cercueils exhumés par les intempéries (Fig. N°1).
Les sites et vestiges d’activités techniques
En plus des sites d’habitat anciens, des sites archéologiques témoins de la pratique d’activités socioprofessionnelles ont été également trouvés. Il s’agit surtout des vestiges de la production céramique et ceux relatifs de l’activité métallurgique du fer.
Au titre des vestiges se rapportant à la production céramique au cours de la période précoloniale, on les retrouve principalement sur les sites d’habitat anciens et dans les nécropoles. Les vestiges céramiques de sites d’habitat anciens sont généralement des jarres de grandes dimensions (entre 80 et 140 cm de diamètre) enfouies jusqu’aux lèvres (Fig. N°2). Elles ont des épaisseurs qui atteignent parfois 7 cm. Les tessons sont riches en décors. Les jarres qu’on trouve dans les anciennes nécropoles sont également grandes de taille et de formes ovoïdes. Servant à matérialiser l’emplacement des tombes, les jarres funéraires ne portent pas de décors.
De même, des vestiges témoins de la production traditionnelle du fer se rencontrent un peu partout dans les paysages de notre zone d’étude. Ces traces matérielles sont témoins de deux types de fourneaux dans la zone : des fourneaux à ventilation naturelle et des fourneaux à soufflets . Nous nous intéressons aux premiers qui n’existaient plus à l’avènement de la domination française en 1896. Les ateliers de réduction du minerai de fer ayant connu l’utilisation de ces fourneaux ont été identifiés dans plusieurs villages, notamment à Dianga, à Bokou, à Banlouboara, à Nagbangou. Les caractéristiques principales de ces ateliers sont entre autres la taille impressionnante des amas, la présence d’au moins une base de fourneau, la nature des scories (principalement de gros blocs de scories coulées et spongieuses), la présence des tuyères et surtout l’absence de collecteurs (Fig. N°3).
Les sites du domaine funéraire
Des traces matérielles témoins d’anciennes pratiques funéraires existent également dans notre zone d’étude. Nos entretiens oraux ont permis de découvrir d’anciens sites d’inhumation à même de fournir des renseignements sur la mise en place des populations. En effet, des nécropoles à jarres ont été identifiées à Kaldjoani, à Banlouboara, à Souatou. Dans ce premier village, les jarres, de forme ovoïde, ne contiennent pas de corps. Renversées à partir de l’antichambre, laquelle conduit à la chambre mortuaire, elles servent simplement à matérialiser la tombe (Fig. N°4). A Banlouboara et à Souatou, par contre, les jarres sont presque totalement enfouies. Mais une observation attentive permet de constater qu’il s’agit des deux jarres accolées d’inégales tailles ; la jarre supérieure (celle visible) étant probablement plus petite que celle souterraine. Certaines sont implantées de façon verticale, tandis que d’autres adoptent une position horizontale. Il faudra des fouilles pour mieux apprécier le cercueil.
Les résultats ci-dessus présentés donnent un aperçu du potentiel archéologique de la zone d’étude. Ces données archéologiques constituent des documents précieux pour la connaissance de l’histoire ancienne de la zone.
2. Quelle contribution à la connaissance de l’histoire de la localité ?
Les sites qualifiés d’anciens sont ceux qui sont mal connus des populations actuelles. Leur réalisation est probablement antérieure à l’arrivée des groupes actuels. Il s’agit des sites d’habitat anciens, des ateliers de réduction aux fourneaux à tirage naturel et des anciennes nécropoles. Toutefois, la question des auteurs de certains de ces sites est en débat entre les informateurs. D’une manière générale, la tradition orale attribuent les sites d’habitat anciens aux « gens d’avant » ou « premières gens ». Jean-Baptiste Kiethéga (1993 : 12) les considère comme étant les ancêtres les plus lointains des Burkinabè qui ont laissé des vestiges avant notre ère. Pour les populations actuelles, ce sont des peuples disparus qui ont laissé des vestiges sur les terres qu’elles ont réoccupées sans les avoir connues. Certains informateurs de notre zone d’étude les apparentent aux Kumbetieba (Dogon-Kibse) et aux Koarima (Kurumba-Fulse).
Au sujet des ateliers de réduction dont les fourneaux ont fonctionné par tirage naturel d’air, la tradition orale les attribue tantôt à des Moose, tantôt aux gens d’avant. Mais la thèse de l’appartenance aux gens d’avant l’emporte de loin sur celle des Moose puisqu’aucun informateur ne fait allusion aux structures de réduction par ventilation naturelle.
Quant aux auteurs des sites funéraires, les propos recueillis à Kaldjoani divergent. Si certains informateurs , notamment les membres de la famille royale, les attribuent à leurs ancêtres directs, à savoir les Natama, d’autres, par contre, plaident pour une appartenance kurumba des tombes. La position de la famille royale se fonde sur le fait que la nécropole, ainsi que certains sites de défense dont des fosses se retrouvent non loin d’un autel désigné comme la tombe de l’ancêtre des Natama de Kaldjoani connu sous le nom de Benjoa. A Dianga et à Bokou, cependant, les informateurs indiquent que les auteurs des tombes n’étaient pas des hommes ordinaires, mais des « géants » appelés Koarima (Kurumba ou Fulse chez les Moose).
Les « géants » sont également signalés dans le Dallol Mauri et à Bosso en République du Niger par Boubé Gado (cité par Vincent Sedogo, 2008 : 93). Il rapporte que ceux-ci étaient capables de transporter des charges énormes. Leurs ossements avaient des proportions considérables et leurs dabas étaient cinq fois plus grandes que celles des hommes ordinaires actuels. Au sujet des Kurumba, Hamidou Diallo (2015 : 99-100) fait remarquer ceci : Par ailleurs, les premiers royaumes du Nord-Gulmu à savoir Kuala et Niaba dans la partie sud du Liptako auraient été fondés grâce une cohabitation de bonne intelligence entre Gulmanceba et Kurumba (Y.G. Madiéga, 1982 : 115). A la lumière de ce qui précède, l’hypothèse d’une paternité kurumba des nécropoles est très plausible.
Conclusion
Tout compte fait, nous retenons que la zone consacrée à la présente étude fut le théâtre d’un flux important de plusieurs groupes humains venus probablement d’horizons divers et à des périodes différentes. Cette forte mobilité humaine se traduit par l’abondance et la diversité des sites archéologiques existants. Certains de ces sites existent depuis l’époque précoloniale. Il s’agit entre autres des sites d’habitat anciens, des sites d’inhumation anciens, des sites de la production céramique, des sites de la métallurgie ancienne du fer. Des études plus approfondies, notamment des fouilles doivent être entreprises en vue de mieux les connaître. De même, leur étude doit être confrontée avec celle des sites subactuels, c’est-à-dire ceux réalisés par les ancêtres directs des occupants actuels de la zone d’étude, afin d’évaluer les liens de continuité et de rupture entre les différents groupes sociaux qui ont séjourné dans cette partie du Burkina Faso.
Éléments de sources orales et bibliographie
- Bibliographie
Burkina-Code-2004-collectivités-territoriales-MAJ-2018.pdf consulté le 15/03/2022 sur https://www.droit-afrique.com
DIALLO Hamidou, « Naissance et évolution des pouvoirs peuls au Sahel burkinabé (Jelgooji, Liptaako et du Yaaga) du XVIIIe à la fin du XIXe siècle », in Hamidou DIALLO et Moussa Willy BANTENGA (dir…), 2015, Le Burkina Faso : Passe et present, Ouagadougou, Presses Universitaires de Ouagadougou, p. 97-113.
KIETHÉGA Jean-Baptiste, 1993, « La mise en place des peuples du Burkina Faso », in Découverte du Burkina Faso, t1, Paris, SEPIA ADDB, pp. 9-29.
LANKOANDÉ Hamguiri, 2024, La commune de Tibga dans la province du Gourma (Burkina Faso) : éléments d’archéologie et perspectives de recherche in Revue Burkinabè d’Histoire et d’Archéologie, Août 2024, N°001, Vol1, E-ISSN : 2756-7435, Site web : https://www.rbha.fr, pp. 1-19.
LANKOANDÉ Hamguiri, 2023, Recherches paléométallurgiques du fer dans les communes de Diabo, de Diapangou et de Tibga (Province du Gourma-Burkina Faso) : approches archéologique, technologique et historique, Thèse de Doctorat unique, Université Joseph KIZERBO, ÉD/LESCHO, LAHAT, 469 p.
LANKOANDÉ Hamguiri, 2018, Les vestiges de l’occupation humaine de Dianga et environnants (province du Gourma) des origines a la conquête coloniale : approche archéologique et historique, Mémoire de Master, UO1PJKZ, Département d’Histoire et Archéologie, LAHAT, 247 p.
MADIÉGA Yénouyaba Georges, 1982, Contribution à l’histoire précoloniale du Gulmu (Haute Volta), Wiesbaden, Franz Steiner Verlag, GMBH, 260 p.
OUOBA Geneviève, 2008, Art funéraire a Diabo en pays zaoga (province du Gourma), MM, UO, Département d’Histoire et Archéologie, 154 p.
SEDOGO Vincent, 2008, Approche historique de Bulsa, un ku-rit-tenga du Moogo (Namentenga-Burkina Faso) des origines a 1896, DIST-CNRST, 414 p.
THIOMBIANO/ILBOUDO Foniyama Élise, 2010, Les vestiges de l’occupation humaine ancienne dans le Gulmu : des origines a la période coloniale ; cas de Kuare et de Namoungou, Thèse de doctorat unique, UO, Département d’Histoire et Archéologie, 664 p.
YOUGBARÉ Oumarou, 1993, Le pays zoaga méridional : Archéologie et tradition orale dans l’approche du peuplement, MM, UO, FLASHS, 214 p.