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Sites archéologiques et conflits sociaux : cas des sites métallurgiques du fer des communes de Diapangou, Diabo et Tibga

Publié le dimanche 27 octobre 2024 à 17h08min

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Sites archéologiques et conflits sociaux : cas des sites métallurgiques du fer des communes de Diapangou, Diabo et Tibga

Introduction
La présente réflexion est tirée de l’article scientifique « LANKOANDÉ Hamguiri, L’appropriation des sites paléométallurgiques du fer, une source de conflits fonciers dans le Gulmu, Revue LES CAHIERS DE L’ACAREF (Académie Africaine de Recherches et d’Etudes Francophones), Vol. 6 No 18/Août 2024, TOME 3, ISSN 2790- 0371 (Print), pp. 230-247.

L’archéologie est la discipline scientifique qui cherche à reconstituer l’histoire de l’humanité à partir de l’étude des traces matérielles laissées par les hommes. Au Burkina Faso, ces preuves matérielles sont de plus en plus exploitées par certains groupes sociaux pour défendre leur légitimité vis-à-vis des autres groupes d’une même communauté. Cette situation est sujette à conflits entre ces différents groupes sociaux autour d’un certain nombre de centres d’intérêt, notamment le foncier, la primauté dans l’occupation du milieu. Dans les communes rurales de Diabo, Diapangou et Tibga (province du Gourma-Burkina Faso), les débats autour de la paternité des anciens sites métallurgiques du fer sont en passe de générer des conflits entre les populations. Cette contradiction dans les débats est consécutive au désir de s’approprier le foncier, notamment les terres cultivables qui manquent du fait de la démographie galopante depuis ces dernières décennies. Le présent travail aborde la controverse animée par des personnes ressources autour de la paternité des sites métallurgiques du fer, analyse les fondements de ces contradictions à la lumière de l’analyse des données du terrain. Les sources convoquées pour l’analyse de ce sujet sont les documents écrits, la tradition orale et les datations radiocarbones.

I. La paternité des sites métallurgiques en débat

De nombreuses traces de la production ancienne du fer ont été identifiées dans les communes de Diabo, Diapangou et Tibga. Il s’agit des lieux d’extraction de la matière première appelée « minerai de fer », des lieux de sa transformation pour obtenir le métal brut (ateliers de réduction du minerai de fer) et des lieux de transformation du métal brut en objets fonctionnels (forge). Mais la paternité de ces anciens sites est disputée entre le groupe des forgerons et celui des non forgerons.

1. La position des forgerons

La plupart des familles forgeronnes, c’est-à-dire les producteurs et transformateurs de fer traditionnel, de la zone d’étude réclament la paternité des anciens sites de la production ancienne du fer trouvé dans le paysage. En effet, au cours des entretiens oraux auprès des familles forgeronnes dont les Dayamba, les informations recueillies s’accordent pour attribuer tous les ateliers de réduction, sans exception, aux forgerons actuels. Pour ces informateurs, les sites de production du fer qu’on trouve dans le paysage des villages sont les manifestations matérielles de l’activité métallurgique du fer laissées par leurs ancêtres directs au cours du temps. C’est dans cet ordre d’idées que Nobila DAYAMBA, pour ne citer que lui, déclare ceci : « Partout où vous trouverez des traces de la production du fer, sachez que nos ancêtres directs y ont séjourné. Toutes ces localités constituent des lieux de passage de nos ancêtres avant les villages actuels. Tous ces lieux appartiennent à nous les forgerons ». Ce langage tenu quasiment dans les villages enquêtés traduit bien une intention affichée des forgerons de s’approprier tous les sites métallurgiques. Toutefois, les autres couches sociales ne partagent pas forcément ce point de vue des familles forgeronnes.

2. La thèse des non forgerons

Les informateurs non forgerons, au contraire, sont sceptiques quant à la paternité de tous les sites métallurgiques aux forgerons actuels. Au cours des entretiens, nombreux sont ceux qui rejettent une quelconque propriété des sites de production, notamment les plus anciens aux Dayamba. Á ce propos, Yacouba TANDAMBA souligne ceci :
« Aucun forgeron actuel ne peut prétendre connaître les auteurs de ces vestiges métallurgiques. Tout le monde ici est venu trouver ces traces de production du fer. C’est pour les « gens d’avant ». C’étaient des hommes extraordinaires par la taille et la corpulence. Il fallait être assez vigoureux pour pouvoir exercer le métier de la production du fer ».

Ces individus extraordinaires sont également signalés par des auteurs où ils sont présentés comme une famille de « géants » ayant occupé les différentes régions du continent avant l’arrivée des « hommes ». Ces « géants » sont signalés dans le Dallol Bosso, le Dallol Mauri, dans le pays dagomba et dans le Moogo comme des peuples métallurgistes. Les « géants » cités dans les deux Dallol, étaient capables, d’après Boubé GADO (1985 cité par V. SEDOGO, 2008, p. 93), de transporter des charges énormes. Leurs ossements avaient des proportions considérables et leurs dabas étaient cinq fois plus grandes que les outils des hommes ordinaires actuels. Valère D. Nacielé SOMÉ (1996 cité par V. SEDOGO, 2008, p. 93) présente aussi les premiers habitants de Dagbano (pays dagomba), les Adites, comme des géants d’aspect horrible. Abondant dans le même sens, Vincent SEDOGO rapporte que Wargoangda et Nindaogo, deux ancêtres éponymes des Nînsi de la région de Wubrtenga appartenaient à la tribu des géants.

Dans le Gulmu, la mémoire collective retient des Koarima comme relevant du grand groupe des « gens d’avant » et particulièrement des « géants ». Cette perception s’illustre même à travers l’intonation du mot koarimo qui traduirait le gigantisme de ces individus. Aussi, existe-il dans l’extrême nord du Gulmu, une espèce de chiens connue sous le nom de koarimboaga (lit. Chien kurumba). La particularité de ces chiens est leur grande taille. Nous ne perdons pas de vue que les habitants du Nord-Gulmu notamment, ceux de Kuala sont désignés abusivement par ceux du Sud-Gulmu comme des Koarima.

De ce qui précède, il est certain que des groupes plus anciens parmi lesquels des métallurgistes ont occupé les territoires du Gulmu actuel avant l’établissement des populations présentes. Parmi celles-ci figurent les Dayamba, principaux métallurgistes de la région. C’est donc dire que c’est dans un esprit d’appropriation que les forgerons actuels s’attribuent la paternité de tous les sites métallurgiques du fer se trouvant dans leur environnement.

II. Les fondements de la contradiction

Les sites archéologiques en général et ceux relatifs à la production traditionnelle du fer ne servent plus seulement à renseigner le passé de l’homme. Certains groupes sociaux les utilisent de plus en plus comme des « pièces à conviction » pour assouvir des intérêts sociaux et économiques.

1. Une quête de légitimité

A la volonté affichée des familles forgeronnes d’approprier les anciens sites de la production du fer, se greffe une lutte d’affirmation et de légitimation de leur identité au sein des autres groupes sociaux. Réclamer la paternité des sites archéologiques, notamment les plus anciens supposent une certaine ancienneté dans le milieu. Or, le statut d’ancien occupant confère une certaine légitimité vis-à-vis des autres couches sociales, en l’occurrence les nouveaux arrivants. Par ailleurs, cette position sociale est source de respect, de considération et parfois même de crainte de la part des groupes allochtones. Aussi, les décisions de grande importance sont le plus souvent discutées avec les anciens occupants avant de parvenir aux autres couches. De ce point de vue, la présence d’un site métallurgique dans une localité donnée est la marquée déposée du forgeron dont il peut se servir pour justifier sa primauté dans le milieu, toute chose qui accentue davantage sa légitimité au sein des autres groupes de la communauté.

2. Un enjeu foncier

Au Burkina Faso, la situation foncière en milieu rural se caractérise par de nombreux conflits dont les plus fréquents sont ceux qui opposent les éleveurs aux agriculteurs et les migrants aux autochtones (M. ZONGO, 2009 : 119). Ces conflits s’observent également entre les clans familiaux, désormais en situation de course effrénée vers les terres cultivables. A la revendication des sites métallurgiques du fer par les familles forgeronnes, se greffe une intention d’appropriation des terres cultivables disponibles dans l’environnement immédiat de ces sites. Cela est perceptible à travers cette affirmation de Sylvain B. DAYAMBA : « La présence d’ateliers de réduction dans une zone est la preuve que nos ancêtres directs y produisaient le fer. C’est pourquoi les terres cultivables environnantes sont exploitées par les familles forgeronnes actuelles. Nous héritons de ces terres depuis les ancêtres ». Comme on peut bien le constater à travers ce passage, Monsieur Sylvain B. DAYAMBA estime que les sites de la production ancienne sont des indices qui permettent aux familles forgeronnes de reconnaître et de s’approprier leur patrimoine foncier. Ce comportement est valable chez la grande majorité des forgerons interviewés sur la question de la propriété des sites métallurgiques du fer trouvés dans le ressort territorial de leurs villages. Cette attitude explique le désir effréné d’occuper les plus grandes superficies des terres cultivables par les forgerons des villages comme Komangou, Bandiabgou (commune de Diapangou) Sandwabo, Koulpissi (commune de Diabo). Cela n’est pas toujours sans incidence sur la cohabitation des populations. Toutefois, les données scientifiques ne plaident pas en faveur de la position des familles forgeronnes de la zone d’étude en ce qui concerne la paternité de certains sites de la production ancienne du fer.

III. L’analyse scientifique des données

L’analyse de la littérature écrite et orale sur le processus de la mise en place des populations de la zone d’étude, ainsi que les résultats des datations radiocarbones réalisées sur des échantillons de charbon issus de la fouille des anciens fourneaux de réduction du minerai de fer, permet de faire une lecture objective sur la problématique de la paternité des sites de la production ancienne du fer trouvés dans la commune de Diapangou.

1. La mise en place des forgerons actuels

Les sources orales donnent deux origines aux familles forgeronnes de la zone d’étude : une origine gulmance et une origine moaaga. Ils ont cependant un patronyme commun : Dayamba. Les forgerons d’origine gulmance sont de deux groupes, à savoir les Dayamba venus de Madjoari dans la province de Kompienga actuelle et les Dayamba venus de Piéla dans celle de la Gnagna actuelle. On les rencontre principalement dans la commune de Diapangou. Quant aux forgerons d’origine moaaga, les informations recueillies indiquent la commune actuelle de Saaba dans la province du Kadiogo comme localité de départ. S’attribuant un ancêtre commun lointain, ces forgerons se rencontrent dans les communes de Diabo et Tibga.

Par rapport à la chronologie, toutes les sources s’accordent et indiquent que l’arrivée des forgerons actuels dans la région est consécutive à la formation des chefferies de type centralisé. En d’autres termes, ces forgerons sont arrivés dans la région à l’appel des Gulmanceba-burcimba dont l’arrivée au Gulmu est située par les sources historiques au XVe siècle AD (Y.G. MADIÉGA, 1982, p. 71). Les fondations des royaumes de Diabo (entre 1540 et 1570 d’après O. YOUGBARÉ, 1992, p. 25-27), Diapangou (1750 d’après S. IDANI, 1991 : 11) et Tibga (après 1736 selon Y.G. MADIÉGA, 1982, p. 175) étant relativement récentes, on peut objectivement situer l’arrivée des forgerons Dayamba dans leurs sites actuels entre le milieu du XVIe et le début du XVIIIe siècle AD.

2. Les résultats des datations radiocarbones

Dans le but de déterminer les périodes de production du fer dont les déchets sont visibles dans le paysage, trois échantillons de charbon ont été datés au Poznan Radiocarbon Laboratory (Laboratoire Polonais de Radiocarbone), Fondation de l’Université A. Mickiewicz de Pologne. Deux (02) des trois échantillons proviennent de fourneaux à tirage naturel tandis que le troisième échantillon est issu d’un fourneau à ventilation forcée.

Á la lecture de ce tableau, les dates radiocarbones situent les fourneaux à tirage naturel entre le VIe et le XIIIe avant Jésus Christ, tandis que le fourneau à soufflets est daté entre le XVIe et le XXe de notre ère. On s’aperçoit donc clairement que les dates radiocarbones obtenues sur les fourneaux à ventilation naturelle, notamment entre le VIe –XIIIe siècle AD, sont largement antérieures à l’arrivée des ancêtres des métallurgistes actuels dans la zone que la tradition orale situe entre le XVIe et XVIIIe siècle de notre ère (O. YOUGBARÉ, 1992, pp. 25-27). Seul, le fourneau à tirage forcé est contemporain des forgerons actuels, comme la défend la tradition orale. On peut alors dire sans se tromper que les ancêtres des métallurgistes actuels ne sont pas les auteurs des fourneaux à ventilation naturelle présents dans notre zone d’étude. Ces vestiges étaient déjà présents à l’arrivée des ancêtres des forgerons actuels.

Conclusion

L’étude a montré que les sites de la production ancienne du fer en général et les ateliers de réduction du minerai de fer en particulier sont considérés par les forgerons actuels comme étant les anciens lieux de travail de leurs ancêtres directs. Cette attitude des forgerons des communes de Diabo, Diapangou et Tibga, condamnée par les familles non forgeronnes, répond à un désir d’appropriation des espaces cultivables, d’affirmation et de légitimation de leur identité. Ces contradictions autour des anciens sites de la production artisanale du fer sont en passe de générer des conflits entre les couches sociales. Toutefois, les résultats des datations radiocarbones sur les fourneaux, les données sur l’histoire des métallurgistes actuels et les informations ethnographiques sur la production traditionnelle du fer permettent de comprendre que certains sites (fourneaux à tirage naturel) sont antérieurs à l’arrivée des forgerons actuels. Par conséquent, l’appropriation, par les forgerons actuels, de toutes les terres contenant des sites métallurgiques est illicite. La présente étude se veut ainsi une esquisse de solution aux conflits fonciers qui minent notre pays, le Burkina Faso et particulièrement les communes de Diabo, Diapangou et Tibga dans la province du Gourma.

Éléments de sources orales et de Bibliographie

A. Liste des informateurs

LANKOANDÉ Hamguiri
Institut des Sciences des Sociétés
Burkina Faso
Hamguiri.lankoane@yahoo.fr


B. Bibliographie
IDANI Salifou (1991), La société gulmance de Diapangou et la conquête coloniale, Mémoire de Maîtrise, Département d’Histoire et Archéologie, Université de Ouagadougou, 136 p.
LANKOANDÉ Hamguiri, (2024), L’appropriation des sites paléométallurgiques du fer, une source de conflits fonciers dans le Gulmu, Revue LES CAHIERS DE L’ACAREF (Académie Africaine de Recherches et d’Etudes Francophones), Vol. 6 No 18/Août 2024, TOME 3, ISSN 2790- 0371 (Print), pp. 230-247.
LANKOANDÉ Hamguiri (2023), Recherches paléométallurgiques du fer dans les communes de Diabo, de Diapangou et de Tibga (Province du Gourma-Burkina Faso) : approches archéologique, technologique et historique, Thèse de doctorat unique, ED/LESHCO/LAHAT, Université Joseph KI-ZERBO, 469 p.
MADIÉGA Yénouyaba Georges (1982), Contribution à l’histoire précoloniale du Gulmu (Haute Volta), Wiesbaden, Franz Steiner Verlag, GMBH, 260 p.
ZONGO Mahamadou, (2009), « Terre d’État, loi des ancêtres ? Les conflits fonciers et leurs procédures de règlement dans l’ouest du Burkina Faso » in CAHIERS DU CERLESHS TOME XXIV, N° 33, pp. 119-145. https://orfao.uemoa.int/sites/default/files/2022-11/Terre%20d%27Etat%20loi%20des%20ancetres.%20Zongo.pdf
SEDOGO Vincent (2008), Approche historique de Bulsa, un ku-rit-tenga du Moogo (Namentenga-Burkina Faso) des origines à 1896, DIST-CNRST, 414 p.
YOUGBARÉ Oumarou (1992), Le pays zaoga méridional : Archéologie et tradition orale dans l’approche du peuplement, Mémoire de Maîtrise, FLASHS, Université de Ouagadougou, 214 p.

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