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Burkina : « Il n’y a pas de développement sans statistiques », selon Dr Mady Ouédraogo, démographe à l’INSD

Publié le lundi 25 novembre 2024 à 22h07min

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Burkina : « Il n’y a pas de développement sans statistiques », selon Dr Mady Ouédraogo, démographe à l’INSD

Du suivi de certains objectifs de développement à la planification éducative ou sanitaire, les statistiques éclairent les décisions pour des actions plus efficaces. Toutefois, au Burkina Faso, l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) rencontre certaines difficultés dans la collecte de données. C’est ce que fait savoir, Dr Mady Ouédraogo, démographe et directeur de la Coordination statistique, de la formation et de la recherche à l’INSD dans l’interview qui suit.

Lefaso.net : Quelle est l’importance de la statistique pour le développement d’un pays comme le Burkina Faso ?

Dr Mady Ouédraogo : Il n’y a pas de développement sans statistiques. Aujourd’hui, quand vous prenez la plupart des pays, même au niveau mondial, il y a des programmes de développement qui sont mis en œuvre grâce à la statistique. Au Burkina, nous avons eu dans les années 2000, le programme des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Actuellement, nous avons les Objectifs du développement durable (ODD) qui courent jusqu’en 2030. Au niveau national, il y a aussi des politiques qui sont développées. Il y a eu la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (SCADD), il y a eu le Plan national de développement sanitaire (PNDS) et aujourd’hui, il y a le Programme national de développement. Pour la production de ces différents documents de stratégie, il faut bien sûr disposer de statistiques assez fiables pour faire un bon diagnostic. Il faut identifier les vrais problèmes avant de pouvoir se projeter, donc la statistique est très utile à ce niveau.

Le deuxième point le plus important de la statistique, c’est le suivi, parce que quand on élabore une politique, il faut faire le suivi-évaluation et qui dit suivi-évaluation parle de données. Et à ce niveau, il faut régulièrement produire des statistiques qui permettent de faire le suivi de la mise en œuvre des stratégies.

Quelles sont les données statistiques qui permettent d’orienter les décisions de développement et les secteurs au Burkina qui bénéficient le plus de données statistiques ?

Pour ce qui concerne les statistiques, aussi bien au Burkina que dans n’importe quel pays du monde, les statistiques dont on a besoin sont assez variées et diversifiées. Nous avons d’abord les statistiques démographiques. Ce sont des données qui parlent de la population du pays car c’est à partir d’elles que l’on peut faire une planification qui est fondée sur des preuves scientifiques et qui permet de mieux allouer les ressources pour entreprendre les actions de développement. Au niveau des statistiques, toujours, on peut noter les statistiques économiques. Il y a beaucoup d’actions qui sont menées pour développer nos économies. Donc, si ces actions ne sont pas menées ou ces politiques ne sont pas menées et suivies, cela pose un problème pour le taux de croissance. Tout pays a besoin de connaître son taux de croissance pour pouvoir d’abord mieux planifier ses actions et améliorer ce taux. A côté aussi, il y a le produit intérieur brut.

Nous avons les statistiques sur l’éducation qui ont un lien avec la population. Tout État a besoin, par exemple, de savoir à la rentrée prochaine, combien d’enfants vont être inscrits au CP1. Ça permet de faire des prévisions sur le nombre d’enseignants à recruter et le nombre de classes à construire. Il y a aussi les statistiques de la santé. Dans une population, si 80% sont malades, alors on ne peut rien espérer en termes de production pour faire avancer le pays. Au Burkina, il y a plusieurs actions qui sont menées dans le domaine de la santé pour faciliter l’atteinte des objectifs du pays, mais également des objectifs du développement durable.

Quand vous prenez la politique de gratuité des soins de santé au profit des enfants et au profit des femmes enceintes, cette stratégie permet d’améliorer le taux de fréquentation des centres de santé. Si je devais dépenser 1 000 francs et on me dit que c’est gratuit, au lieu de rester à la maison, je vais aller, parce que je sais qu’on va me donner gratuitement les médicaments. À côté de cela, il y a d’autres indicateurs, tels que le taux de mortalité, le taux de morbidité, qui nous permettent de regarder de très près nos programmes de santé. D’autres statistiques dans le domaine de l’agriculture et de l’environnement sont importantes pour estimer la production du pays. Au Burkina, nous avons des secteurs clés où l’on estime que l’on a suffisamment de données. Mais naturellement, on ne doit pas s’arrêter là, on doit continuer à travailler pour améliorer. Il faut noter qu’au niveau de l’éducation, il y a un système de collecte de données administratives assez performant qui permet de collecter régulièrement l’information statistique. Du coup, cela permet également de calculer beaucoup d’indicateurs pour accompagner la prise de décision. Après l’éducation, nous avons la santé, l’agriculture et l’élevage.

"Il faut noter qu’au niveau de l’éducation, il y a un système de collecte de données administratives assez performant qui permet de collecter régulièrement l’information statistique"

Avez-vous des exemples concrets de politiques ou d’actions réalisées grâce aux données statistiques ?

Dans le domaine de l’éducation, l’amélioration des résultats scolaires et des taux de réussite aux examens est notable, notamment grâce à des initiatives favorisant l’achèvement des cycles scolaires. La mise en place de cantines scolaires permet de maintenir de nombreux élèves à l’école jusqu’au CM2. Ces efforts augmentent leurs chances de réussir leurs examens, contribuant ainsi à une meilleure insertion dans le système éducatif. Concernant la réduction de la pauvreté, depuis les années 2000, plusieurs stratégies gouvernementales ont été mises en œuvre, notamment avec les filets sociaux avec octroi du cash et/ou aides alimentaires pour accompagner les ménages vulnérables. Ces initiatives visent non seulement à fournir une aide ponctuelle, mais également à autonomiser les bénéficiaires sur le plan financier et alimentaire. Bien que le contexte marqué par une augmentation des Personnes déplacées internes (PDI) limite ces efforts, les évaluations des indicateurs entre 2009 et 2021 montrent des progrès significatifs.

Quels sont les défis que rencontre l’INSD dans la collecte de données statistiques ?

L’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) fait face à plusieurs défis majeurs dans la collecte et la production de données de qualité. L’insécurité constitue un obstacle important, rendant certaines zones inaccessibles. Cela oblige l’institution à exclure des zones de ses enquêtes ou à recourir à des estimations, comme ce fut le cas en 2019 avec l’utilisation de vues aériennes pour estimer les populations dans certaines zones. Par ailleurs, le manque de ressources humaines qualifiées impacte également la qualité des productions statistiques. L’INSD souffre d’une pénurie de statisticiens et de démographes adaptés aux besoins, malgré des efforts récents de recrutement facilités par le Projet d’harmonisation et d’amélioration des statistiques en Afrique de l’Ouest (PHASAO). Cependant, les besoins restent importants pour garantir des productions de qualité. Enfin, les ressources financières insuffisantes constituent un autre défi majeur. Les enquêtes statistiques sont extrêmement coûteuses, à l’exemple de l’enquête en cours sur les entreprises, qui nécessite un budget d’un milliard de francs CFA. Malgré ces contraintes, l’INSD poursuit ses activités avec les moyens disponibles, tout en intensifiant son plaidoyer auprès des autorités pour mobiliser davantage de financements. Ces défis affectent particulièrement des projets de collectes dans des domaines comme la migration, l’assainissement, l’accès à l’eau potable et l’hygiène, qui sont essentiels pour améliorer la santé publique et promouvoir le développement national.

Qu’est ce qui est fait pour sensibiliser les gens à plus d’ouverture aux enquêteurs qui viennent vers eux pour collecter l’information ?

En matière de collecte de données, nous travaillons avec des entreprises, avec les populations et bien d’autres acteurs qui fournissent les données. Et nous n’essayons que faire la synthèse pour faire sortir les statistiques. Effectivement, avec les individus, la difficulté majeure, c’est de leur faire accepter de répondre à nos questions. C’est donc tout un processus qui est mis en place pour faciliter les choses. Nous travaillons à bien former ceux que nous envoyons sur le terrain. Il faut donc bien les former pour qu’ils puissent bien expliquer les objectifs de l’enquête sinon, il y aura beaucoup de réticences sur le terrain. A ce processus, il y a ceux qui doivent suivre le travail sur le terrain, et le travail qui se fait au niveau central de telle sorte que la sensibilisation soit en continu. Pour la sensibilisation, si je prends, par exemple, le cas de l’enquête sur les entreprises que nous sommes en train de mener, le processus a consisté d’abord à faire un lancement au niveau des 13 régions pour informer toutes les entreprises. Et après ça, il y a des sensibilisations que l’on mène aussi au niveau des différentes localités à travers les crieurs publics pour informer les populations. A grande échelle, on utilise les radios ou encore les télévisions pour communiquer. C’est vrai qu’on a aussi la loi statistique qui nous permet de travailler aisément. Et il y a beaucoup de choses qui sont prévues dans la loi pour encourager les populations à répondre, d’autant plus que c’est pour un intérêt national. Mais si vous travaillez avec une population de 10 000, de 27 000 ou même de 100 000 personnes, il faut bien expliquer pour qu’il n’y ait pas de réticences à répondre au questionnaire.

Quelles sont vos suggestions pour que les données statistiques soient mieux utilisées dans les projets de développement au Burkina Faso ?

L’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) identifie des priorités stratégiques pour maximiser l’impact des statistiques sur le développement national. Ces priorités s’articulent autour de la sensibilisation, de la formation, de la mobilisation de ressources et de l’innovation technologique. Tout d’abord, il faut une sensibilisation accrue des acteurs publics, privés et associatifs. Les statistiques ne doivent pas seulement servir à élaborer des programmes, mais aussi à en assurer un suivi rigoureux. Pourtant, de nombreux acteurs sous-estiment leur importance ou ne savent pas comment les utiliser efficacement. L’INSD mène des campagnes de sensibilisation régulières et continuera à promouvoir l’intégration systématique des statistiques dans les projets, les politiques publiques et les initiatives de développement.

Selon Dr Mady Ouédraogo, trop de projets sont rejetés en raison de l’absence d’un cadre clair de suivi et d’évaluation basé sur des indicateurs statistiques fiables

Ensuite, la formation des utilisateurs des données est un impératif. Dans divers secteurs, des acteurs produisent ou utilisent des statistiques sans avoir une maîtrise suffisante de leur interprétation, ce qui peut conduire à des erreurs dans les décisions. L’INSD plaide pour des efforts accrus afin de renforcer les capacités des parties prenantes, notamment par des ateliers, des formations spécialisées et un accompagnement technique. L’objectif est d’assurer une lecture correcte et une exploitation optimale des données pour en tirer des conclusions utiles et pertinentes. Par ailleurs, il faut souligner l’importance de mobiliser les ressources financières et humaines nécessaires à la production de données de qualité. Produire des statistiques fiables, notamment pour couvrir les lacunes dans le suivi des Objectifs de développement durable (ODD), nécessite des moyens importants. Beaucoup d’indicateurs essentiels restent non renseignés faute de données disponibles.

Pour combler ces lacunes, l’INSD travaille avec le gouvernement et les partenaires techniques et financiers pour obtenir les ressources nécessaires, en prévoyant des enquêtes spécifiques. Il y a un travail à faire en matière d’accessibilité des données statistiques. Bien que l’institut ait mis en place plusieurs plateformes de diffusion, comme le site du Conseil national de la statistique et ceux des ministères sectoriels, ces ressources sont souvent sous-exploitées. Nous invitons les utilisateurs, qu’ils soient issus de l’administration, des ONG ou du secteur privé, à explorer ces outils pour accéder aux informations nécessaires. Une meilleure visibilité et une vulgarisation des données disponibles sont essentielles pour répondre aux besoins des utilisateurs. Un autre aspect déterminant est l’intégration systématique de la dimension statistique dès la conception des projets de développement. Trop de projets sont rejetés en raison de l’absence d’un cadre clair de suivi et d’évaluation basé sur des indicateurs statistiques fiables. Cette lacune empêche de dresser un état des lieux crédible ou d’évaluer l’impact des interventions. L’INSD plaide pour que chaque projet prenne en compte les statistiques dès sa phase initiale, garantissant ainsi un pilotage et une évaluation plus efficaces.

Qu’avez-vous à ajouter ?

Ce que je voudrais ajouter, c’est que l’INSD, au-delà de réaliser le recensement général de la population tous les dix ans, conduit plusieurs opérations statistiques de grande envergure. Cela nous permet de fournir de nombreux indicateurs pour le Burkina Faso. En dehors de ces enquêtes, il existe de nombreuses solutions courantes, comme les notes de conjoncture, les tableaux de bord économiques et démographiques, ainsi que diverses publications. J’invite les utilisateurs à visiter notre site web, où ils trouveront, j’en suis sûr, de nombreuses statistiques répondant à leurs interrogations. Par exemple, lors de l’élaboration du Schéma régional d’aménagement du territoire dans les années 2016-2017 par l’UEMOA, chaque pays devait fournir des statistiques pour renseigner les indicateurs. En tant que point focal pour le Burkina Faso, j’avais simplement partagé des liens vers deux sites Web où toutes les données nécessaires étaient disponibles. Cela montre que nous produisons suffisamment de statistiques et qu’elles sont accessibles. J’encourage donc les utilisateurs à les consulter et à les utiliser. Si une donnée n’est pas trouvée sur notre site, il est toujours possible de la solliciter directement auprès de l’INSD. Nous sommes une structure publique, et tout ce que nous produisons est également public. Enfin, nous invitons le grand public à consommer davantage ces données, car elles permettent d’éclairer les processus de décision, d’ajuster les stratégies et, in fine, d’obtenir les meilleurs résultats possibles pour le développement du pays.

Farida Thiombiano
Lefaso.net

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