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Proverbe du Jour : “Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays.” De John Fitzgerald Kennedy / d’investiture - 20 Janvier 1961

Frantz Fanon : Le penseur, le révolutionnaire et le citoyen du monde

Publié le vendredi 22 novembre 2024 à 21h30min

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Frantz Fanon : Le penseur, le révolutionnaire et le citoyen du monde

Crédit-photo : Paris Librairies

« Chaque fois que la liberté et la dignité de l’homme sont en question, nous sommes tous concernés, blancs, noirs ou jaunes ». C’est à travers cette phrase que le jeune étudiant de 19 ans alors s’engage dans la résistance contre le nazisme en France. Partageant les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité comme tout bon citoyen en France, il découvre qu’il n’est, aux yeux de ses concitoyens français qu’un nègre, un primitif voire un sauvage. Il regrette d’avoir participé à cette guerre et dans une lettre qu’il adresse ses parents en 1944, il leur fait part de ses déconvenues : « J’ai fait une erreur. Rien, absolument rien ne justifie la brusque décision que j’ai prise de me faire le défenseur des intérêts du fermier, que je le défende ou non, il s’en fout. ». Peau noire, masques blancs fut le premier livre qu’il écrivit en 1952 pour décrire cette expérience de déception, un livre qui a posé les jalons de la lutte antiraciste et contre la ségrégation raciale.

La colonisation battait son plein en Afrique et la France s’enlise dans une guerre sanglante avec l’une de ses colonies de peuplement : l’Algérie. Bien que martiniquais, Fanon s’embarque pour l’Algérie et rejoint le Front de libération nationale. Témoin du traitement humiliant réservé aux noirs dans cette guerre, il tire la conclusion, comme Aimé Césaire, qu’entre la colonisation et le nazisme, il y a une différence de degré et non de nature et que l’une et l’autre sont un crime intolérable contre l’humanité. Il luttera de toutes ses forces pour l’indépendance de l’Algérie et devient ambassadeur de ce pays pendant les premières heures de son indépendance.

Un médecin de l’âme

Psychiatre révolutionnaire, Frantz Fanon lutte contre les thèses médicales racistes et colonialistes. Il reproche par exemple à l’ethnologue et psychanalyste Octave Mannoni –auteur de l’ouvrage Psychologie de la colonisation – de voir dans « le complexe d’infériorité quelque chose de préexistant à la colonisation » (P145, Saïd Bouamama). Contrairement à Octave, Fanon estime que ce comportement est dû au mépris que le colon a imposé structurellement au colonisé. Ce mépris plonge le colonisé dans une situation névrotique qui se traduit par une haine de soi. Il remet en cause l’idée que les souffrances psychiques, les névroses du colonisé sont dues à une origine génétique, à un fait naturel. Contre cette psychiatrie coloniale, Fanon forge une nouvelle thérapie pour panser les douleurs des Algériens soumis aux affres de la colonisation. À l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban avec son ami François Tosquelle, il met en place une nouvelle hypothèse psychiatrique attentive à la personnalité de l’individu, ses différences et ses vécus, sa singularité et son identité.

Un penseur de la décolonisation

Fanon dénonce l’aliénation culturelle et entend dépasser la négritude senghorienne qu’il considère comme limitée. Pour lui, la négritude est une étape et non une fin en soi-même. « La négritude est destinée à être dépassée » ( P145, Saïd Bouamama). Si le besoin de la négritude peut se justifier à cause du déni de la valeur Nègre, elle devient enfermement si le colonisé la considère comme une fin en soi. Fanon se méfie de tout essentialisme produit d’une négritude passive et inoffensive. Il veut mener une lutte âpre pour libérer le Noir soumis à la pauvreté matérielle.

Un intellectuel engagé

Bien que n’adhérant pas au Parti communiste français, Fanon s’inspire inlassablement de Karl Marx. Il considère que la lutte contre la colonisation doit être pratique, et devrait aller au-delà des idées et des discours. Reprenant une phrase de Marx, Fanon appelle à l’action : « il ne s’agit pas de connaître le monde mais de le transformer ». Il milite activement pour l’indépendance de l’Algérie. Face à l’oppression des colonisateurs, il appelle à toute forme d’action pouvant aboutir à la violence. Pour sortir de la domination de l’oppresseur, il faut détruire son système. La violence est d’abord, selon Fanon, le propre du système colonial. C’est une violence totale, systémique, diffusé, permanente, globale » (P148, Saïd Bouamama). Dans l’allocution de Fanon à la conférence d’Accra sur la paix et la sécurité en avril 1960 intitulée « pourquoi nous employons la violence », son intervention débute par ce rappel à priori : « le régime colonial est un régime instauré par la violence. C’est toujours par la violence que le régime colonial s’est implanté ». Pour Fanon cette violence multiforme « vécue sur le plan de l’âme mais aussi sur celui des muscles, du sang » ne peut que produire « la naissance d’une violence intérieure chez le peuple colonisé » (P150, Saïd Bouamama). « Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence », nous dit Fanon. La nécessité de la violence intervient face l’oppression du colonisateur. Pour lui, « la violence est aussi libératrice au sens où elle libère le colonisé de son complexe d’infériorité, de la violence destructrice contre lui-même et contre les siens » (P 51, Saïd Bouamama).

Un homme de son époque

Mais, Il faut noter que Fanon ne fait pas la promotion de la violence en tout temps et en tout lieu. Il préconise la violence dans des situations où la violence est imposée par le colonisateur. C’était le cas en Algérie comme dans de nombreuses colonies de peuplement. Il n’y a pas pour Fanon une décision binaire entre violence et lutte pacifique. Il y a simplement le résultat des circonstances concrètes et variables dans le temps. Dans une lettre d’hommage à Frantz Fanon, le grand poète Aimé Césaire écrivait dans ce sens : « sa violence était, sans paradoxe, celle du non-violent, je veux dire la violence de la justice, de la pureté, de l’intransigeance. Il faut qu’on le comprenne : sa révolte était éthique, et sa démarche de générosité. Il n’adhérait pas à une cause. Il se donnait. Tout entier. Sans réticence. Sans partage. Il y a chez lui l’absolu de la passion ».

Un citoyen du monde

Frantz Fanon, est né le 20 juillet 1925 à Fort-de-France dans la Martinique et est décédé le 6 décembre 1961 à Bethesda, aux États Unis. Bien que citoyen français, Il se considère comme algérien et s’engage dans la lutte pour l’unité africaine. « Nous sommes des Algériens, bannissons de notre terre tout racisme, toute forme d’oppression et travaillons pour l’homme, pour l’épanouissement de l’homme et pour l’enrichissement de l’humanité », écrit-il. Il rencontrera dans son élan panafricaniste Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba autres figures majeures du panafricanisme…

Le combat de Frantz Fanon est un combat pour la liberté, la dignité et la libération totale de l’homme noir mais aussi et surtout « tous ceux qui ont mal à quelque part », comme le disait Thomas Sankara.

La liberté chez Fanon est une liberté ouverte attentive des différences et prête à composer avec n’importe quelle voix du monde. Une liberté qui porte en son sein le désir de créer, de se surpasser et d’inventer. Pour Fanon un homme libre est un homme qui n’est pas déterminé par un héritage, par un passé. « Je ne suis pas esclave de l’esclavage qui déshumanisa mes pères. Je dois me rappeler à tout instant que le véritable saut consiste à introduire l’invention dans l’existence », Écrit Fanon. L’existence loin d’être une donnée, un héritage que l’on colporterait de ses ancêtres est une responsabilité, une libération du potentiel humain, une capacité à inventer et à créer.

Bertrand Wendkouni Ouédraogo (collaborateur)
Lefaso.net

Références :
- Pour la révolution africaine. Écrits politiques, Paris, La Découverte, coll. « Re-découverte », 2001 (1re éd. : Maspero, 1964).
 2. « Introduction », L’An V de la révolution algérienne, in Œuvres, op. cit., p. 269.
 Les Damnés de la terre, in Œuvres, op. cit., postface de Mohammed Harbi à l’édition de 2002, p. 678.
 Saïd Bouamama , Figures de la révolution africaine : De Kenyatta à Sankara, © Éditions La Découverte, Paris, 2014, 2017.
 Frantz Fanon par les textes de l’époque. Les petits matins, 2012 31 rue Faidherbe, 75011 Paris www.lespetitsmatins.fr
 « Lettre de Frantz Fanon à ses parents » (12 avril 1945), Sud/Nord 1, n° 22, 2007
 FANON, F. « Hier, aujourd’hui et demain », Trait d’Union, 6 mars 1953, Archives Frantz Fanon, Ime

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