Philippe Zinda Kaboré : Brillant pharmacien, militant anticolonial

Philippe Zinda Kaboré fut l’un des premiers résistant contre l’exploitation coloniale. Plus jeune député à l’Assemblée nationale française, il œuvre pour la reconstitution de la Haute Volta tout en prônant l’unité africaine avec le Rassemblement démocratique africain (RDA). Il décède mystérieusement jeune, à seulement 27 ans. Retour sur la vie de ce héros national oublié, son parcours scolaire et ses années de luttes.
Bebzinda fut le prénom qu’on lui donna à sa naissance, en 1920, dans le village de Imasgo, canton de Konkistenga, cercle de Koudougou. Ce prénom que son père lui donna signifie « les ennemis se préparent, les ennemis sont à nos portes », prénom qui évoque le rôle qui sera le sien dans la vie, annonciateur d’un destin de guerrier qui l’attendait. Très tôt, à l’âge de cinq ans, Philippe Zinda Kaboré fait preuve d’une précocité intellectuelle qui étonne plus d’un et qui obligea son père à le confier à un commis supérieur des services financiers et comptables à Ouagadougou, en la personne de Dimdolobsom. Celui-ci aura du fil à retordre avec le jeune garçon du fait de sa turbulence.
Mais Philippe Zinda Kaboré fait parler de lui à l’école primaire publique de Ouagadougou en affichant une curiosité intellectuelle inouïe et une indépendance d’esprit qui inquiètent ses camarades et surtout ses maîtres. En 1934, il entre brillamment à l’école supérieure de Bingerville et est major de la promotion durant les années qu’il y passa.
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En 1937, il entre à l’école William Ponty sur une liste de suppléants. Le rang qu’il occupa à ce concours fut une grande surprise tant pour ses professeurs que ses camarades de classe. Mais Zinda Kaboré rectifie le tir dès le premier trimestre de l’année scolaire en reprenant sa place habituelle : major de sa classe. En 1942, il sort brillamment de cette école après avoir y achevé sa formation de pharmacien, un métier qui le passionnait. Il continuera ses études plus tard à l’école de médecine de Dakar. S’étant spécialisé dans la branche de la pharmacie, il œuvre à l’administration africaine du service autonome pour trouver des solutions à la maladie du sommeil.
Un amoureux des belles lettres
Philippe Zinda Kaboré, au-delà de la pharmacie, avait de la passion pour les lettres, l’histoire, la philosophie et se révélait excellent poète lorsqu’il écrivait à son ami et frère Dominique Kaboré, son confident de lutte. Dans les lettres qu’ils s’envoient couramment, ils ne parlent pas que de luttes, ils célèbrent l’amitié, la sincérité, l’amour et la vie. : « Nous savons aimer avec la totalité de notre âme, aimer pour aimer, intensément, purement, divinement », écrira-t-il en septembre 1943 à son ami Dominique. Il poursuit dans une autre lettre en ces termes : « Je te sais poète, cher Dominique, et n’ignore pas que tu sais que je suis hyper-sensible, sonore à tout petit écho et de là-bas, tu sais la révolution qui fermente dans mon âme comme dans mon corps, ne faut-il pas que fils spirituel de tant de philosophes que j’adore, je ne vive que d’amour. Tu diras que je suis en convalescence d’émotions vives et corrosives, tu ne connaîtras certes pas que ton cousin que tu sens un peu poète, est doublé de philosophe et qu’il persiste dans le changement… ». Ces lettres écrites de 1943 à 1947 et éditées dans un livre écrit par le fils de Dominique Kaboré, Désiré Kaboré, intitulé Y. Dominique Kaboré, lettres ouvertes : Philippe Zinda Kaboré – sont le témoignage vivant d’une amitié entre deux hommes, de deux compagnons de lutte, teintée de fidélité et de sincérité.
Un anticolonialiste résolu
Sorti fraîchement de sa formation de pharmacien, Philippe Zinda Kaboré fera face à l’arbitraire et aux injustices du système colonial. La première mesure arbitraire contre laquelle il s’est dressé fut son affectation au Dahomey (actuel Benin) alors qu’il désirait servir dans son pays. L’objectif du gouverneur était de l’éloigner de son pays où il leur faisait ombrage. Philippe Zinda Kaboré, comme « un dur à cuire », a fini par faire de telle sorte que le gouverneur revienne sur sa décision à travers son collègue avec qui il a obtenu une permutation à Bobo. Depuis lors, le jeune pharmacien va se dresser contre le travail forcé de ses frères envoyés dans les plantations en Basse Côte d’Ivoire. Il ne manquera aucune occasion pour condamner l’injustice et l’arbitraire que le régime colonial fait subir à ses frères noirs.
Philippe Zinda Kaboré n’avait pas la langue dans sa poche face au système colonial. Le gouverneur Oswald Durant, dans une tournée à Koudougou, l’apprendra à ses dépens. Celui-ci, dans son allocution s’est attaqué au RDA en accusant personnellement Philippe Zinda Kaboré d’être responsable des remous dans la zone. Philippe Zinda irrité, apparu dans la foule et lui donne une réplique cinglante « Allez dire à votre ministre, que les députés africains ne sont pas allés à l’Assemblée française pour acquis de consolider le colonialisme, mais bel et bien pour conquérir la dignité totale de l’homme noir, face à l’arrogance dominatrice de I’homme blanc ».
Du travail forcé aux injustices et arbitraires administratifs en passant par l’instrumentalisation de la tradition par les colons, Philippe Zinda s’en était dressé courageusement pour que ses compatriotes puissent vivre dans la liberté et le bonheur.
Un combattant contre l’ignorance
Zinda Kaboré fit de l’éducation son cheval de bataille car pour lui, c’est la base de tout développement. Il appela ses frères noirs à rechercher la connaissance et à n’avoir aucun complexe face au Blanc. Lors de ses tournées, il ne manque pas l’occasion de sensibiliser les parents d’envoyer leurs enfants à l’école. Dans un discours qu’il écrivit peu de temps avant sa mort et qui devrait être prononcé le 25 mai 1947 lors de la campagne électorale, il y est mentionné clairement : « L’éducation, c’est-à-dire l’instruction et la formation, est la base du progrès social. C’est elle qui ouvre la voie à l’émancipation et au développement ».
Ce discours ne sera pas prononcé car Philippe Zinda Kaboré décède subitement ce 25 mai 1947 alors qu’il s’apprêtait à participer à un meeting du RDA organisé à son honneur.
Lefaso.net
Références :
- DE L’ASSEMBLEE NATIONALE FRANCAISE Des députés de la IVe République, ARCHIVES, ASSEMBLEE I NATIONALE FRANCAISE, DOCUMENTS PARLEMENTAIRES, annexe N° 2236 séances du 5 août 1947.Annexe W°2237 du 5 aout 1947
– ANNALES DE E L’ASSEMBLEE NATIONALE FRANCAISE, Séance du lundi 11 aout 1947
– DESALMAND Paul, Histoire de l’éducation en Côte d’lvoire
Tome 1 des origines à la Conférence de Brazzaville, Abidjan,
CEDA, 1983
– Désiré Kaboré Y. Dominique Kaboré, lettres ouvertes : Philippe Zinda Kaboré, Tome 1,2010.
– Kaboret Alice Tiendrébéogo, Philippe ZINDA KABORET, un héros de la lutte anti-coloniales, 2010.