Burkina/Littérature : « On ne peut pas être fermé aux livres et espérer se développer », Thierry Millogo, directeur général des Editions et de la librairie Mercury
Bien que confronté à de nombreuses difficultés, notamment la piraterie, l’absence d’une réelle culture de lecture, le secteur du livre au Burkina Faso connaît un certain développement depuis quelques années. Dans cette interview qu’il nous a accordé, Thierry Millogo, directeur général des Editions et de la librairie Mercury et également auteur, revient sur ces difficultés et propose des pistes de solutions pour en venir à bout et inciter les populations à la lecture. Lisez plutôt !
Lefaso.net : Quand est-ce que sont nés la librairie et les Editions Mercury ?
Thierry Millogo : La librairie Mercury existe depuis 2002. Elle a 22 ans d’existence et depuis tout ce temps, elle a travaillé à mettre à la disposition des Burkinabè des œuvres de qualité, qui peuvent contribuer au développement non seulement de l’homme, mais aussi du pays dans la globalité. Parce qu’on ne peut pas être fermé aux livres et espérer se développer. D’ailleurs tous les pays sérieux qui veulent se développer, travaillent sur tout ce qui est écrit, en publiant leurs perspectives et projections et lisent aussi les performances des autres, l’histoire des autres. Quelqu’un qui ne lit pas aura du mal à se construire en tant qu’être ou en tant que contributeur dans un pays.
En un peu plus de 20 ans d’existence, quelle lecture faites-vous de l’évolution de la littérature au Burkina Faso ?
Il faut reconnaître que la littérature a connu une grande évolution en 20 ans. Quand vous regardez au niveau du nombre de titres qu’on a, on en a énormément aujourd’hui, ce qui n’était pas le cas, il y a quelques années. Au niveau de la publication des œuvres, quand vous regardez les statistiques de la Bibliothèque nationale, le niveau de production des œuvres au Burkina a pratiquement triplé. On est passé de 200, 500 et aujourd’hui on se retrouve à 5 000 publications par an, ce qui est très bien.
Pour un pays qui vient de loin, c’est une belle performance. Il faut qu’on continue de travailler là-dessus. Evidemment quand on commence à écrire, au début, il y a un peu de balbutiement. Au fur et à mesure qu’on avance, les gens se perfectionnent, les auteurs écrivent mieux, les maisons d’édition présentent mieux leurs ouvrages. Donc quand vous regardez la qualité des ouvrages depuis cette époque à maintenant, vous allez vous rendre compte qu’il y a une grande amélioration de la qualité parce que les acteurs à partir de l’expérience et de l’évolution technologie, ont des outils aujourd’hui qui permettent de sortir de très bons ouvrages.
Quand vous regardez les ouvrages des maisons d’édition, de la librairie Mercury et des Editions Mercury, vous allez vous rendre compte qu’il y a de la matière. Il y a de la matière sur la forme physique et même dans le contenu, il y a aussi de la matière. Parce que de plus en plus, on est attentif aux contenus, à ce que les gens publient. Ce que les gens publient est regardé par un groupe d’experts qu’on a, avant que l’ouvrage ne sorte. On ne permet pas aux gens de faire des publications approximatives chez nous.
Chez vous peut-être il n’y a pas de publications approximatives, mais est-ce que globalement vous êtes satisfait du contenu des livres burkinabè, notamment les fictions, le style d’écriture… ?
C’est clair que pour quelqu’un qui lit déjà, qui connaît un peu ce qui est fait ailleurs, si vous voulez faire une comparaison, ça va poser problème. On s’essaie à des fictions alors qu’on n’est pas très bien là-dessus. Je suis d’accord qu’il y a des problèmes sur le contenu, c’est pourquoi, les auteurs doivent apprendre à être eux-mêmes. Pourquoi vouloir aller écrire sur quelque chose qu’on ne maîtrise pas, sur quelque chose dont on n’a pas les outils ?
Si on écrit sur notre histoire, sur notre vécu, sur l’évolution de notre société, sur les choses qui se passent dans notre société, je crois que ça peut être intéressant. Même les fictions, pour les écrire, il faut être énormément cultivé. Une fiction, c’est quelque chose qui n’est pas forcément réelle, qui est imaginaire alors que l’imaginaire ne prend pas sa source dans la réalité, ça pose problème. Donc si vous n’êtes pas dans une dynamique de recherche approfondie, ça sera très difficile.
Par contre, il y a des choses sur lesquelles les jeunes écrivent très bien aujourd’hui. Ils ont compris qu’il faut écrire sur l’actualité, sur la vie dans nos quartiers, dans notre pays, dans notre région. Les gens se sentent plus intéressés à ça, il y a de belles histoires. Mais s’aventurer sur des choses qu’on ne maîtrise pas peut poser problème.
Mais je suis certain qu’il y a un travail qui est fait pour amener les auteurs et les écrivains à un meilleur niveau. Il faut de la formation. Il faudrait que le ministère en charge de la culture puisse s’intéresser aux livres à travers un mécanisme de formation en écriture, en différents aspects et compartiments du livre. Ça va être très important pour qu’on puisse assoir une monographie, une bibliographie solide dans notre pays. Déjà le livre contribue dans le PIB culture entre 8 et 10%, ce qui n’est pas négligeable, donc il est temps que le ministère de la Culture regarde comment mettre en place un vrai fonds de soutien parce que la culture, c’est le socle de tout ce que nous faisons. Le livre reste l’élément par lequel on transcrit cette culture. Je crois qu’il faut investir, mettre un peu d’argent là-dedans pour qu’on puisse conserver et préserver un certain nombre de choses. Il ne faut pas qu’on continue de dire qu’en Afrique un vieux qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. On peut sauver la bibliothèque.
Vous êtes promoteur d’une maison d’édition, quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés en tant qu’éditeur ?
La grande difficulté intemporelle, c’est la non lecture. Quand les gens ne lisent pas, vous avez beau produire, il n’y a pas d’effet. Puisqu’ils ne lisent pas, ils n’achètent pas. Vous produisez finalement pour des gens qui ne lisent pas. C’est le vraiment le gros souci. Ça commence à changer, mais il y a encore du chemin. Aujourd’hui avec le numérique, les livres sont souvent piratés et retrouvés dans les groupes WhatsApp. Beaucoup se retranchent derrière les réseaux sociaux pour avoir des fichiers PDF, donc l’autre gros souci, c’est la piraterie. Sur les réseaux, vous voyez des gens qui publient, ils ne se cachent plus. Pour le moment, ils s’attaquent aux auteurs étrangers, mais si on ne dit rien, ça va arriver chez nous. Les livres qui sont au programme vont être piratés et ça va être dommage pour l’économie du livre.
Donc le gros problème, c’est que les gens ne lisent pas et le deuxième problème, c’est la piraterie. Ce qui est lu est piraté et vendu sur les marchés au vu et au su de tout le monde, aucun pouvoir public ne bouge ni ne réagit. Ces livres passent quelque part pour rentrer, donc il faut que les acteurs de la douane, les forces de l’ordre fassent aussi leur travail, si non on va tuer le secteur du livre et ce sera dommage pour nous tous.
Le coût des ouvrages n’est plus relativement élevé aujourd’hui ; les coûts de certains ouvrages techniques sont élevés, ce qui est normal, mais acheter un ouvrage pour quelqu’un qui veut réussir ne doit plus être un problème aujourd’hui. Il faut se sacrifier.
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En tant que professionnel, à votre avis que faut-il faire pour inciter les gens à lire ?
Déjà les parents ne sont pas de bons exemples pour amener leurs enfants à lire. Normalement, il faut sensibiliser les enfants. S’ils lisent, c’est eux qui vont grandir avec cette culture du livre et de la lecture. Mais le drame, c’est que les parents ne lisent pas. Comment un parent qui ne lit pas peut dire à son enfant de lire ? Comment un parent qui, lorsqu’il rentre à la maison n’a que son téléphone sur lequel il navigue la nuit, peut vouloir donner des leçons à son enfant ?
Non, ça ne peut pas marcher. Je suis d’accord qu’il y a un effort de sensibilisation à faire, un effort d’accès aux livres, mais il faut que les gens s’organisent. Il faut que dans les écoles, on crée des clubs de lecture pour déjà promouvoir le livre là-bas. Il faut que les écoles soient responsables, à mon sens. C’est vrai qu’on dit aux parents, mais si l’école met les conditions pour contraindre les enfants à lire, ça peut améliorer les choses. L’autre élément, c’est que les pouvoirs publics y mettent plus de ressources, parce qu’il s’agit du futur de notre pays. Je pense qu’il faut accepter d’investir un peu pour que ce futur soit un futur de qualité. Et pour avoir un futur de qualité, il faut des gens cultivés, qui lisent, qui réfléchissent.
On va revenir à votre maison d’édition, combien de livres éditez-vous par an ?
Depuis l’année passée, on est passé autour de 40 ou 50 livres, mais cette année on risque de terminer l’année avec environ 100 livres édités. Il y a beaucoup d’auteurs qu’on rejette parce que la qualité n’y est pas et aujourd’hui, un livre peut se présenter de plusieurs façons. Il y a le format papier et il y a le format numérique. Quand vous faites un format numérique, c’est déjà un livre qui peut avoir son marché, qui peut être lu. Il y a beaucoup de choses qu’on fait en numérique, mais qui ne sont pas commercialisées pour le moment. Cette année, exceptionnellement, on va terminer l’année autour de 100 livres.
Nous sommes au terme de notre entretien, avez-vous un dernier mot ?
Je voudrais remercier le fondateur de Lefaso.net pour notre partenariat et que ce partenariat puisse consolider son ancrage auprès des Burkinabè et en rapprochant aussi les livres de son lectorat. Je souhaite que Lefaso.net qui est une entreprise citoyenne continue à travailler pour le bonheur des Burkinabè.
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Entretien réalisé par Justine Bonkoungou
Lefaso.net