Etats-Unis/Election de Donald Trump : « Il est probable qu’il y ait des coupes budgétaires dans l’aide au développement international »
Journaliste, écrivain, consultant en relations internationales et spécialiste en communication, Omar Zombré est un Burkinabè actuellement en séjour aux Etats-Unis d’Amérique, dans le cadre d’une formation professionnelle. A travers les lignes qui suivent, il analyse les implications que la victoire de Donald Trump à la présidentielle pourrait avoir sur les relations entre les Etats-unis d’Amérique et l’Afrique.
Après sa victoire écrasante 60% des suffrages exprimés par le collège électorale 312 pour les Républicains contre 226 pour les Démocrates ce 5 novembre, Donald Trump va prendre ses quartiers dans le bureau ovale dans quelques semaines, plus exactement en janvier. L’ossature de son administration n’est pas encore totalement connue, mais elle préfigure déjà un rôle éminemment important pour le milliardaire Elon Musk. Avec ce dernier comme soutien, le Parti républicain semble avoir opéré une véritable razzia électorale cette année, ne laissant aucune chance aux démocrates.
Ces derniers se contenteront de donner de la voix au Sénat tout comme à la Chambre des représentants lorsqu’il s’agira du budget, mais sans véritablement pouvoir barrer la route à Trump, à moins d’un faux pas de ce dernier pendant sa gestion. Celui qui avait un doute sur la transparence du système électoral de son pays aura les mains libres pour diriger les USA. Même si son premier mandat en 2016-2020 a été tumultueux, il aura eu la COVID-19 comme excuse. Cette fois-ci, les échecs et les réussites seront exclusivement les siens et ceux de son parti politique. Avoir la pleine possession du gouvernement en démocratie constitue pour les républicains un honneur et un grand défi, tant les attentes sont grandes et nombreuses. Make America Great Again !
L’homme, connu pour ses frasques lyriques et ses sorties politiques, réserve sans doute des surprises dans les quatre ans de gestion à venir. Donald Trump est qualifié de collaborateur difficile, n’écoutant que son instinct de businessman. Et en business, seuls les intérêts comptent, même si, parfois, pragmatisme économique et idéologie ne font pas bon ménage.
À quoi le continent africain, et surtout le Sahel, doit-il s’attendre ? Mystère et boule de gomme !
L’Afrique : une diversité de voix qui limite son influence géopolitique :
Le continent africain est en lui-même un véritable scandale géologique, tant les richesses naturelles sont stratosphériques mais très valorisées à travers une maitrise de la chaine de production de la matière au produit. Les ressources naturelles telles que l’or, le diamant, le pétrole, le gaz, le bois, les métaux rares sont exportés en brut tandis que les terres arables d’une richesse inouïe sont en sous-exploitation. Le continent possède également des cours d’eau poissonneux et une main-d’œuvre abondante au point d’être parfois problématique en raison de taux de chômage élevés des jeunes en âge de travailler sur l’ensemble du continent 12,7 % en 2022, selon l’OIT. Avec ses 1,373 milliard d’habitants, l’Afrique a le potentiel pour s’imposer sur la scène mondiale. Les projections de l’AFD estiment que la population africaine pourrait doubler d’ici 2050 pour atteindre 2,4 milliards, ce qui en ferait une superpuissance démographique.
Cependant, une forte croissance démographique non maîtrisée peut se transformer en faiblesse plutôt qu’en atout. De plus, le continent est composé de 54 États reconnus aux voix et priorités souvent divergentes. Cette pluralité d’intérêts et d’objectifs freine l’unité nécessaire pour exploiter pleinement son potentiel et renforcer sa position géopolitique. Et à ce propos, la Maison Blanche affirmait dans une note publié le 8 août 2022 : « nous avons conscience du fait que le potentiel de l’Afrique restera remis en question tant que des conflits meurtriers diviseront les sociétés, que la corruption entravera le progrès économique, que l’insécurité alimentaire amplifiera le risque de famine et de malnutrition et que l’on réprimera les droits de l’homme et l’expression démocratique ».
Si l’unité africaine était une réalité, le continent serait au cœur de la politique extérieure américaine. Malheureusement, les voix du continent sont disparates, et leurs échos s’évanouissent rapidement dans le brouhaha des clivages et querelles intestines entre pays ou à l’échelle sous-régionale. De l’est à l’ouest et du nord au sud, les pays africains n’ont pas les mêmes priorités et encore moins une politique extérieure unifiée. Cela fragilise davantage sa puissance et la perception qu’en ont les États-Unis et le reste du monde.
Économie et relations bilatérales :
L’économie est le moteur de la politique de Donald Trump pour ces 4 prochaines années. C’est en grande partie sur la relance économique que s’est bâti sa campagne électorale. L’Afrique est un continent qui compte malgré ses divisions internes. D’ailleurs ses prédécesseurs avaient un programme, un projet américain pour l’Afrique. En termes économiques, deux types d’intérêts orientent la politique américaine en Afrique à savoir la volonté de sécuriser l’accès à des ressources importantes dont les matières premières et hydrocarbures et la recherche d’une plus grande ouverture des économies africaines, aux investissements et aux produits américains, selon un rapport de l’Observatoire de la politique de défense américaine, publié en 2017.
C’est une lapalissade de dire que le continent regorge de ressources naturelles convoitées par toutes les industries du monde, surtout celles de la technologie de dernière génération (armes sophistiquées, véhicules de transports, etc.). L’Afrique pourrait ainsi davantage intéresser le locataire de la Maison-Blanche.
Celui qui n’arrivait pas à prononcer le nom de la Namibie et situait mal ce pays sur la carte du monde en 2016 pourrait chercher à intensifier les partenariats économiques en ciblant des pays africains stratégiques, tout en espérant barrer la route aux autres compétiteurs mondiaux sur le continent. Des pays comme le Nigeria, pour ses réserves gazières et pétrolières et sa population de plus de 234 millions, ou la Côte d’Ivoire, pour ses matières premières (cacao, hévéa, or, gaz, pétrole), pourraient voir débarquer Donald Trump au cours d’une tournée en Afrique ou ses lieutenants les plus loyaux. Une telle approche renforcerait le commerce bilatéral tout en promouvant des accords favorisant les intérêts américains.
Si une tournée de ce type a lieu, les enjeux seront alors doubles : il s’agirait de renforcer le partenariat bilatéral entre ces pays et surtout de raffermir la position américaine dans la région ouest-africaine, qui connaît des troubles et une velléité d’expansion de l’influence russe vers le golfe de Guinée.
Le pétrole fait partie des ressources économiques importantes pour plusieurs pays d’Afrique. Les pays producteurs de pétrole en Afrique doivent se préparer à un chambardement dès les deux premières années du mandat de Trump. Le prix du pétrole pourrait connaître une fluctuation importante. Trump pourrait accélérer l’exploitation des réserves pétrolières aux États-Unis dans plusieurs Etats dont la Louisiane, le Texas, y compris le gaz de schiste, ce qui pourrait provoquer une chute des cours avant un réajustement selon l’offre et la demande. Sous l’ère Trump 2016 à 2020, l’exploitation du pétrole américain a connu des augmentations annuelles d’environ 2 à 8 %, après 2018, selon le site Connaissance des énergies dans sa publication d’octobre 2024. Toujours selon le site spécialisé dans les énergies, la production de gaz de schiste américaine est passée de 1 293 milliards de m³ en 2007 à 27 985 milliards de m³ en 2021.
Par ailleurs, les réserves estimées ont également connu une hausse spectaculaire, évoluant de 23 304 milliards de m³ en 2007 à 393 779 milliards de m³ en 2021, soit une augmentation d’environ 1 590 %. En 2022, un sondage de l’Institut de sondage public du Muhlenberg College, réalisé en Pennsylvanie un swing State, principal État producteur d’hydrocarbures de schiste a révélé que 86 % des sondés considéraient cette exploitation comme bénéfique pour l’économie. Cette industrie extractive, qui emploie plus de 120 000 personnes dans cet État qui oscillait entre démocrates et républicains, a été un atout majeur pour Donald Trump lors de la campagne électorale. Il a su adresser un discours séduisant à cette population, réussissant à s’attirer leur soutien et à devancer largement les démocrates.
La production de pétrole issue de la fragmentation hydraulique est très coûteuse, et une augmentation des cours mondiaux pourrait rendre ce produit compétitif et placer les États-Unis dans une position confortable.
De plus, Trump pourrait monnayer le maintien du soutien américain à l’OTAN en contrepartie de l’achat de ses produits pétroliers et gaziers. L’Europe reste dépendante en partie du pétrole et du gaz russes malgré les nombreuses sanctions internationales sur ces produits. Si cela se produisait, la Russie n’aurait d’autre choix que de concurrencer les pays africains producteurs de pétrole sur le marché africain ou sur ce qui restera du marché mondial des hydrocarbures.
Il est indéniable que le mandat de Trump s’annonce palpitant et sans doute plein de rebondissements.
En Afrique centrale comme en Afrique australe, les États-Unis pourraient couper la route aux Chinois en matière de minéraux stratégiques, comme les terres rares et d’autres ressources entrant dans la fabrication de technologies de pointe.
Donald Trump pourrait donc mettre en marche sa machine pour accélérer la sécurisation de l’accès aux matières minérales stratégiques essentielles pour les États-Unis. Le Congo, l’Angola et d’autres pays se retrouveraient alors au cœur du jeu d’intérêts des puissances mondiales, notamment la Chine et les États-Unis. Le rôle de Trump serait donc d’éviter le quasi-monopole de ces matières pour les Chinois, dans une perspective de guerre économique. Au cours des deux dernières décennies, la Chine a été à l’origine de 80 à 95 % de la production mondiale de terres rares, un groupe de 17 métaux devenus des éléments-clés de progrès technologiques révolutionnaires dans les domaines de l’énergie, des TIC, des dispositifs médicaux ou encore de la défense, selon le Policy Center for the New South. D’ici 2029, l’Afrique produira environ 9 % des terres rares mondiales, ce qui est suffisant pour que les États-Unis s’intéressent davantage aux pays africains. Les États-Unis ne produisent que 4% du lithium, 13% du cobalt, 0% du nickel et 0% du graphite nécessaires pour répondre à la demande actuelle de son industrie de véhicules électriques, selon le think-tank Carnegie Endowment for International Peace. Selon un rapport exploité par l’Agence Ecofin, le pays de l’Oncle Sam dépend à hauteur de 50 à 100% des importations en provenance de Chine pour plus de dix des cinquante minéraux actuellement identifiés comme critiques par le gouvernement américain.
Si les Américains n’arrivent pas à sécuriser cet accès aux 9 % de minéraux stratégiques en Afrique dans une perspective de bras de fer entre chinois et américains alors la Chine contrôlera l’entièreté du trafic et imposera ses conditions aux autres. Les États-Unis n’auront plus qu’à se rabattre sur l’Europe et le Canada, mais avec les normes environnementales exigées, il est peu probable que cela soit une partie de plaisir.
Les Africains auront donc les moyens de faire pression sur Washington si les relations entre Xi et Trump se détériorent. En attendant que cela arrive, les Etats producteurs de ces minéraux rares pourraient créer une ligue pour défendre au mieux leurs intérêts.
Sécurité et influence militaire :
En 2019, sous l’administration Trump, les États-Unis avaient manifesté leur volonté de se retirer partiellement de l’Afrique pour se concentrer sur d’autres fronts, notamment en Asie. Pour Washington, le prochain défi sécuritaire semble se situer en mer de Chine. Pourtant, les défis sécuritaires en Afrique restent récurrents, et le terrorisme demeure une menace prégnante dans le Sahel, avec une tendance à se propager vers le golfe de Guinée. Il faut également se rappeler que c’est sous l’administration Trump que quatre soldats américains et quatre soldats nigériens ont été tués dans la localité de Tongo-Tongo lors d’une embuscade, selon le rapport d’enquête du Département de la Défense, publié en mai 2018. Cet événement avait suscité un tollé à Washington, car très peu d’Américains étaient au courant de l’existence d’une base militaire dans l’espace sahélien, précisément au Niger.
Au niveau du Sahel, il risque de n’y avoir aucun changement ou très peu de changements dans la stratégie de lutte contre le terrorisme. Ce conflit de faible intensité n’intéresse pas Donald Trump, qui préfère se concentrer sur le terrorisme international. D’ailleurs, à court terme, il serait difficile pour les États-Unis d’intervenir dans ce conflit, car les trois pays les plus touchés ont effectué un revirement stratégique vers la Russie, adversaire idéologique, militaire et économique de l’Oncle Sam. Les États-Unis risquent donc de maintenir le strict minimum de services dans la lutte contre le terrorisme dans la région.
Sous son administration précédente, la politique étrangère de Trump privilégiait une approche pragmatique. Fini donc le rôle de sauveur et de justicier mondial. Cependant, son administration pourrait renforcer sa coopération bilatérale avec certains pays africains, en particulier dans le golfe de Guinée et en mer Rouge. Dans le golfe de Guinée, il s’agirait d’éviter une expansion de l’influence russe et de ses alliés. Quant aux pays côtiers de la mer Rouge, l’Égypte, allié traditionnel des États-Unis, pourrait voir son rôle s’élargir, avec les défis sécuritaires au Moyen-Orient, notamment les tensions israélo-palestiniennes et la situation au Yémen. Sous un leadership américain prêt à déléguer davantage de responsabilités à ses alliés régionaux, la base navale américaine de Djibouti et des efforts supplémentaires de l’Egypte pourraient être de plus en plus sollicitée pour des opérations.
Quant aux initiatives de formation comme Flintlock et autres, certains pays pourraient être simplement exclus si ce n’est déjà fait. Il faudrait aussi envisager des baisses drastiques du budget consacré aux formations extérieures pour les militaires des pays alliés, avec une légère restructuration du budget de l’Africom. Mais cela ne reste pour l’instant qu’une simple projection.
Droits humains et démocratie :
Contrairement aux approches plus idéalistes prônées par certains de ses prédécesseurs, Trump pourrait adopter une posture moins interventionniste concernant la démocratie et les droits humains, privilégiant la stabilité économique et la non-ingérence, ce qui pourrait renforcer la légitimité de certains dirigeants.
D’ailleurs, le message de félicitations de Paul Kagame sur X (anciennement Twitter) ressemble à un clin d’œil adressé au nouveau président américain. Paul Kagame déclare : « Je vous félicite chaleureusement, au nom du gouvernement et du peuple rwandais, pour votre élection historique et décisive en tant que 47e président des États-Unis. Votre message clair a été que les États-Unis devraient être un partenaire de choix, attirant par la force de leur exemple, plutôt que par l’imposition de leurs points de vue et modes de vie aux autres. Je me réjouis donc de travailler avec vous dans les années à venir pour le bénéfice commun de nos deux pays. »
Ce message hautement diplomatique revêt une clarté singulière : ne nous imposez pas votre point de vue, faisons des affaires, le reste ne vous concerne pas. Donald Trump, anticonformiste notoire, n’en demande d’ailleurs pas plus, à moins que la bureaucratie qu’il dénonce fréquemment ne vienne entraver sa gestion au point de lui imposer une conduite.
Vers une baisse de l’aide financière et humanitaire :
Donald Trump souhaite ramener les États-Unis à une approche plus pragmatique et moins hégémonique dans certains domaines (America First). Il est donc probable qu’il y ait des coupes budgétaires dans l’aide au développement international, ce qui pourrait réduire le financement de certains programmes éducatifs mais aussi la présence des ONG américaines en Afrique, notamment dans les zones de tension comme le Sahel. En 2019, Trump avait proposé une baisse significative de l’aide étrangère, mais s’était heurté à la résistance du Congrès. Maintenant qu’il a à la fois le Congrès et la Chambre des représentants à ses côtés, il n’est pas exclu que cela puisse se concrétiser. Reuters nous apprend, dans sa publication de février 2020, qu’il avait à nouveau proposé une coupe budgétaire de 21 % de l’aide étrangère pour le budget de 2021.
Fait marquant, l’on se souvient qu’au cours de son premier mandat, il avait adopté des mesures qui privent de financement fédéral toute ONG promouvant les IVG à l’étranger. Les ONG américaines opérant dans le domaine de la santé maternelle pourraient être parmi les premières à être touchées.
Si l’aide extérieure des États-Unis diminue sous Trump, certains États africains risquent de rencontrer des difficultés pour gérer les urgences humanitaires et relever les défis du développement de manière générale. Cela pourrait accentuer la crise humanitaire et freiner le développement infrastructurel des pays qui bénéficient de ces aides variées. Les impacts concrets seront ressentis sur les populations locales, notamment dans les domaines critiques comme la santé, l’éducation, et la lutte contre la pauvreté.
Malheureusement, si cette projection se réalise, ces pays ne pourront compter que sur la bienveillance de certains partenaires occidentaux et peut-être la Chine (en turbulence économique), car les Russes, par exemple, sont peu impliqués dans ce domaine.
Trump pourrait être perçu comme un allié par les pays soucieux de préserver leur souveraineté, car l’aide extérieure peut aussi constituer une forme de pression et d’ingérence indirecte. Les pays africains doivent donc se préparer à prendre en charge des actions humanitaires et de développement qui pourraient être affectées par une probable diminution de l’intervention américaine en Afrique sur le plan de l’aide au développement.
De 2016 à 2020, il n’existe pas de trace d’un voyage officiel de Trump en Afrique. Cependant, plusieurs de ses émissaires ont parcouru de nombreux pays africains au cours de son mandat. Pour ce nouveau mandat qui s’annonce, il n’est pas exclu que Trump se rende dans certains pays africains pour une tournée, si les conditions sécuritaires le permettent. Après avoir échappé à deux tentatives d’assassinat sur le sol américain, on pourrait se demander s’il est judicieux de se déplacer dans des zones où l’environnement est moins maîtrisé.
En nous autorisant cette projection, nous pouvons imaginer que les priorités de Trump s’inscriraient dans un cadre où le pragmatisme économique et sécuritaire dominerait, tandis que les discours sur la démocratie et les droits humains seraient relégués au second plan. Une telle approche pourrait avoir des répercussions majeures sur la scène politique et économique africaine, entraînant des changements significatifs dans la coopération internationale et les alliances régionales. Avec Trump, tout oscille entre certitude et incertitude. Ce qui semble néanmoins certain, c’est que ce mandat à venir s’oriente vers une politique moins interventionniste mais plus transactionnelle.
Omar Zombré