65 ans de radio Burkina : « Elle reste solide, avec peut-être des cheveux blancs, mais en pleine forme », dixit Prosper Da, directeur de la radio
Radio Burkina a eu 65 ans le 25 octobre 2024. Elle a commencé à diffuser le 25 octobre 1959 sous le nom de Radio Haute-Volta. Dans le cadre de la commémoration de ces noces de palissandre les 5, 6 et 7 décembre prochains, le directeur du média nous a accordé une interview dans laquelle il revient sur les activités de cette célébration mais aussi les défis actuels. Désormais, radio Burkina va faire de la radio filmée et s’investir davantage pour répondre aux défis numériques, a déclaré Prosper Da, ajoutant que le média reste encore solide malgré le poids de l’âge.
Lefaso.net : Radio Burkina a eu 65 ans en octobre passé. Comment ce média se porte ?
Prosper Da : La radio se porte bien. D’abord, je dirai que c’est la maison qui m’a vu naître professionnellement. C’est ici que j’ai fait mes premiers pas en tant que journaliste, en 2002. C’est une maison dans laquelle nous avons évolué. Nous avons traversé un certain nombre de défis. Nous sommes arrivés à l’ère de la fin des bandes. A ce moment, la radio n’était pas encore prête à aller vers le numérique si bien que la question des bandes se posait avec acuité.
Elles n’étaient pas disponibles sur le marché, il fallait trouver des voies et moyens pour faire survivre la maison. Les financiers se battaient becs et ongles pour disponibiliser cette denrée qui devenait de plus en plus rare. Nous avons connu cette période avec le Nagra de 17 kilogrammes, de 12 kilo qu’on prenait. Dans son évolution, la radio est passée au numérique. Aujourd’hui, de retour après un bref passage dans l’administration, je trouve que la maison est encore face à un certain nombre défis, notamment ceux du numérique. Les auditeurs sont sur des plateformes, il faut donc aller les rejoindre.
Les 65 ans de la RTB radio prouvent à souhait que cette maison tient debout, malgré les vicissitudes. A un certain moment, une certaine opinion avait prédit la fin des médias dit classiques.Mais la presse écrite, face à l’avènement du numérique, a résisté. Elle se bat tant bien que mal. Avec les réseaux sociaux, la mort de la radio a été annoncée mais elle existe toujours, il en est de même pour la télévision. En célébrant ses noces de palissandre, la radio reste solide avec peut-être des cheveux blancs mais en pleine forme et qui aborde l’avenir avec beaucoup de sérénité.
La radio évolue dans une nouvelle ère, notamment celle du numérique. Comment la radio Burkina aborde les défis numériques et technologiques ?
Grâce aux autorités, il y a un travail qui est en train d’être fait pour relever le défi numérique. Dans le cadre des 65 ans, nous allons aborder la radio filmée. Les installations sont en cours. Cela va permettre de voir les animations mais aussi permettre aux populations des quatre coins du monde d’avoir le programme de radio Burkina. Les techniciens sont à la tâche. En téléchargeant radio Burkina sur le site de la RTB à travers Play store ou Apple store, il dévient plus facile de nous suivre partout. Cela vient compenser le problème de la couverture territoriale qui, du fait de l’insécurité, connaît une régression.
Nous étions autour de 90 à 95% de taux de couverture du territoire national. Mais avec la crise sécuritaire, nous sommes autour de 80% parce que la maintenance de certains émetteurs connaissait des difficultés. Mais avec les efforts de reconquête, nous sommes en train de remonter la pente. Avec l’exploitation des réseaux sociaux ou autres canaux numériques, nous pouvons dire que la radio ne s’est pas laissée battre par le défi numérique. En plus, il y a une direction multimédia dédiée à la RTB (radio et télévision) pour veiller sur ces questions numériques. La digitalisation, nous y sommes à fond.
La direction multimédia de la RTB est un seul site dédié au deux médias publics, notamment, la radio et la télé. Est-ce que la télé ne fait pas l’ombre à la radio en termes de digitalisation ? Si oui, qu’est-ce qui est prévu pour une autonomisation numérique de radio Burkina ?
La réflexion est en cours sinon même je dirai qu’il y a un prestataire qui travaille sur ce dossier. Il est vrai qu’il y a un arrimage qui fait que c’est difficile que les deux fonctionnent très bien mais il y a un travail qui est en cours. Nous feront des efforts pour que cela arrive au même moment que la radio filmé. Il nous faut vraiment un site carrément dédié à la radio pour pouvoir être encore plus fluide.
L’autre défi aussi c’est la formation du personnel en phase avec les exigences du webjournalisme. Comment radio Burkina compte aborder ce volet ?
Nous sommes bien conscients de cela. Il y a même eu une formation récemment qui a concerné les journalistes de la rédaction sur cette thématique. Sinon, les compétences existent. Avec le partenariat que la RTB a avec l’Institut supérieur de la communication et du multimédia (ISCOM) par exemple qui est une grande référence du webjournalisme au Burkina, il y a des gens qui sont formés là-bas à titre privé. Il y a aussi des formations qui sont envisagées pour permettre aux gens de se recycler. La direction des ressources humaines est sur ce travail.
A l’interne, il y a des webjournalistes et il y a le partage d’expériences. Il y a une trentaine de journalistes formés grâce aux compétences internes, avec l’apport de certaines compétences externes. C’est donc pour leur permettre d’être au rendez-vous de cette radio filmée, une manière de maîtriser cette évolution, cette transition vers le tout numérique. Il n’est pas exclu que cela arrive d’un instant à l’autre. On aura bien entendu les programmes mais je pense que nous devons nous préparer au regard de l’avènement de l’intelligence artificielle. Le webjournalisme, c’est l’avenir. Il faut juste savoir concilier les deux.
65 ans, qu’est-ce qu’il faut noter comme acquis ?
La force de la radio nationale demeure toujours ses auditeurs. 65 ans, les émissions interactives continuent d’exploser. Les auditeurs demandent toujours d’augmenter la durée des émissions. Notre force demeure toujours ces auditeurs qui, de jour comme de nuit, nous accompagnent. Si vous avez la chance d’écouter parfois des programmes comme "Le bal du samedi soir", vous serez épaté par les gens qui appellent des quatre coins du Burkina. Rien que la semaine dernière, j’ai eu un appel sur Le bal du samedi soir venant de Diapaga, dans la région de l’Est.
Cela veut dire que nous ne prêchons pas dans le désert. 65 ans après, la radio a contribué au rayonnement de la culture burkinabè aussi bien au plan national qu’international. Comme l’a dit le chef de l’État lors d’une de ses grandes interviews, il faut qu’on aille trouver la population où elle se trouve. On dit que la radio est un moyen de communication de masse. Quand vous voulez faire passer une information qui est destinée au grand public, si vous ratez la cible au niveau de la radio, vous avez raté beaucoup. Au Burkina Faso, ils sont combien qui sont sur les plateformes numériques ?
C’est une classe d’élite. Ils sont combien à disposer d’un téléviseur ? Ils sont combien à pouvoir, même s’ils en disposent, suivre la télévision tout en travaillant ? Alors que la radio est un média que tu portes avec toi, de la maison au service, du service à la maison. Je suis ma radio et cela ne me gêne aucunement. Ce n’est pas la même chose avec d’autres médias. Si je dois lire une information sur Lefaso.net, il faut que je prenne des dispositions. Ce qui n’est pas forcément le cas pour la radio qu’on peut écouter en travaillant.
Quel bilan pouvez-vous faire des 65 ans de la radio Burkina ?
Cette Radio a fait naître de grands hommes. Il y a des ministres qui sont passés par ici, il y a des fonctionnaires internationaux qui sont passés. Nous leur rendons hommage. Quand ces aînés reviennent à l’antenne pour encadrer les jeunes, cela nous permet de travailler sereinement. Quand les auditeurs expriment leur satisfaction, je pense que c’est aussi un acquis important.
65 ans après, quelles sont les difficultés qui existent toujours à la radio ?
Les difficultés sont de diverses ordres. Il y a le problème de ressources humaines parce que j’estime que c’est la première ressource de productivité d’une entreprise. Nous sommes confrontés à un grand déficit de ressources humaines. Ce qui est demandé à un média de service public de cette trempe, c’est d’assurer la couverture médiatique des actions de développement du gouvernement sur l’ensemble du territoire national et d’assurer aussi le divertissement, de promouvoir la culture.
Il faut davantage de la ressource humaine et surtout des ressources humaines en phase avec la technologie actuelle, des ressources humaines bien qualifiées aussi pour faire face à ces défis du numérique. Hormis cela, il y a le matériel. La radio est dans le même bâtiment depuis son lancement. Ceux qui nous visitent souvent, certains n’hésitent pas à nous dire que le cadre ne s’y prête plus. Il y a beaucoup d’améliorations certes, mais les défis sont énormes à ce niveau. L’infrastructure d’accueil et le matériel technique sont des préoccupations.
Souvent on travaille avec la magie pour éviter que la Radio n’arrive à s’interrompre un jour. Il faut travailler à faire en sorte d’avoir toujours un matériel qui peut éviter une éventuelle panne. Je dis bravo aux techniciens qui de jour et de nuit, veillent pour le peu que nous avons soit utilisé de façon optimale. Dans un pays en guerre, il ne faut pas s’attendre à beaucoup de choses. Il faut utiliser judicieusement ce qui est mis à notre disposition et nous disons merci aux autorités. L’infrastructure d’accueil, notamment le siège, est actuellement en construction à Gounghin. Et quand ce siège va voir le jour, les difficultés matérielles et technologiques vont forcément diminuer.
Il y a un plan d’équipement qui va aller avec et forcément un équipement moderne qui va permettre aux gens de réduire drastiquement le nombre de travailleurs parce que c’est ça aussi la technologie. On n’aura plus beaucoup d’acteurs pour faire le travail, là où y avait quatre ou cinq personnes qui pouvaient faire un travail. On peut le faire avec une ou deux personnes et donc cela pourrait éventuellement permettre à l’entreprise d’être davantage plus rentable tout en assurant le service public à fond.
Quelles seront les grandes articulations des journées commémoration ?
La commémoration officielle, de par la volonté des autorités, a été décalée en décembre sinon normalement elle devait se tenir le 25 octobre, les 5, 6 et 7 décembre. Comme je l’ai dit tantôt, nous allons partir de ce que on appelle journées portes ouvertes. Nous allons permettre au grand public de découvrir ce que la radio a été depuis sa naissance à travers ces vestiges, son matériel antique et pour évoluer jusqu’à la radio filmée que nous sommes en train de mettre en place. Donc y a eu une marche, y a eu un cheminement qu’on va mettre en exergue.
On va travailler en sorte qu’on symbolise cela par une plantation d’arbres. Comme c’est une radio de service public qui est orientée patriotisme et civisme, on aura une montée des couleurs lors de la célébration officielle qui est prévue pour le 6 décembre. Donc il y a une célébration officielle qui va permettre aux uns et aux autres d’assister à ce que nous faisons. Les présentations artistiques pour montrer les rôles culturels que nous jouons, bien entendu la prise de parole par les invités, les officielles.
Il y a aussi probablement des actions grand-public tels que le don du sang pour permettre en cette période où nous sommes confrontés à un besoin en sang lié au paludisme ou à la situation de guerre. Et bien entendu des émissions grand débat, de tables-rondes qui vont permettre d’interagir avec les auditeurs sur la thématique de la radio, son rôle qu’elle joue en termes de mobilisation autour du patriotisme, du civisme pour un Burkina fort, uni et résilient. Telles sont les grandes articulations qui vont meubler cette célébration qui se veut à là fois sobre mais assez marquante, symbolisant aussi les 65 ans d’existence d’une institution telle que la radiodiffusion télévision qui demeure la meilleure de l’audiovisuel au Burkina Faso .
Quel est votre mot de fin ?
Mon message est à l’endroit des auditeurs. Qu’ils continuent de nous faire confiance et nous les invitons à participer massivement à ces journées d’une manière où d’une autre. Le message est à l’endroit de nos confrères. Soyez là avec nous, on s’accompagne, on est complémentaires. En cela, je salue la démarche de Lefaso.net qui est toujours un média qui est à côté de la RTB et particulièrement de la radio, qui nous accompagne dans toutes nos actions et qui est un média leader. C’est le média pionnier dans son domaine, ce media qui a amené le web journalisme au Burkina Faso, le premier média en ligne, et plein succès à Lefaso.net.
Serge Ika Ki
Lefaso.net