Burkina/Promotion des langues locales au supérieur : La jeunesse disserte en philosophie en Mooré, les enseignants se réjouissent

C’est possible de philosopher en langue locale "Mooré" au Burkina. Pour cause, trois étudiants de l’université privée Saint Thomas d’Aquin et l’université publique Joseph Ki-Zerbo se sont distingués dans un concours de dissertation philosophique en Mooré.
En effet, il s’agit d’un concours de traduction de la déclaration universelle des droits de l’homme de l’UNESCO en Mooré, organisé par l’université Joseph Ki-Zerbo, et sœurs, en collaboration avec la chaire de l’université Alassane Dramane Ouattara.
Premier du genre, ce concours, rappellent les organisateurs, a été initié en faveur de la jeunesse burkinabè et ivoirienne. Au niveau du Burkina, 138 étudiants étaient inscrits au départ, 102 ont finalement pu composer les premières étapes, notamment dans les épreuves écrites en Mooré. Une épreuve à la suite de laquelle, 15 candidats ont été retenus pour la dernière étape qu’est l’épreuve orale. Cette dernière s’est achevée par la proclamation des résultats, suivie de la remise officielle des prix dans la soirée de ce jeudi 7 novembre 2024 à Ouagadougou.
Ainsi, trois étudiants se sont distingués dans le concours, avec les notes respectives de 14, 15 et 15, 95 de moyenne et ils ont reçu chacun une enveloppe variant entre 100.000 et 50.000 FCFA, une attestation de mérite et un livre de philosophie édité en mooré par le superviseur dudit concours, le Pr Mahamadé Sawadogo, et premier responsable du laboratoire de philosophie de l’UJKZ. Ces trois lauréats étaient composés de deux étudiants de l’université Saint Thomas d’Aquin (Pierre Kagambèga, et Wendwaoga Sawadogo), et d’un du département de philosophie de UJKZ (Richard Zongo), le 1er de la liste. Prenant la parole, il explique que ce concours vient montrer que les langues nationales ne sont pas à négliger et personne d’autre ne viendra les valoriser à notre place. C’est pourquoi, il dit inviter les jeunes à s’y intéresser pour qu’un jour nos langues soient aussi des langues qu’on valorise et servent surtout à résoudre les questions scientifiques de nos sociétés. C’est d’ailleurs en ce sens qu’en félicitant les lauréats pour leur sacre, le superviseur du concours n’a pas manqué de montrer que c’est un défi relevé, parce que, c’est la première fois que ce genre de concours se tient au Burkina et les candidats qui n’ont reçu aucune formation au préalable, ont su s’en sortir avec de bonnes notes.

« Chacun est venu avec les connaissances de base qu’il avait de la langue et ils ont pu disserter et c’était incroyable », s’est-il réjoui, en recommandant que le concours soit pérennisé vu l’engouement de la jeunesse pour la question, et surtout son apport dans le développement de l’Afrique, mais aussi contribuer à la décolonisation comme beaucoup de savants africains l’ont toujours souhaité.
« Un pas de géant »
L’autre avantage de ce concours également évoqué par le philosophe, c’est qu’à l’échelle internationale, l’une des raisons qui fonde le mépris qui était adressé à nos sociétés africaines, c’est que nos langues sont incapables d’être utilisées dans la science. « Parce que pour eux ce ne sont pas des langues conceptuelles. Ce sont des langues qui sont tout juste bonnes pour nos échanges quotidiens, mais pas pour la science et pour les grands projets. Donc l’expérience que nous venons de mener permet de voir qu’on peut philosopher dans nos langues et c’est d’ailleurs pourquoi, je disais à l’intérieur que c’est vraiment une étape très importante », à en croire le premier responsable du laboratoire de philosophie.
Ce n’est pas tout. Il a aussi fait comprendre qu’au-delà de ces aspects, cette expérience va d’abord encourager le travail dans les langues locales, c’est-à-dire, le travail scientifique. « Parce que, c’est cela le plus difficile, ce n’est pas vendre, échanger dans nos langues, non. C’est penser, formuler des concepts, traiter des problèmes savants dans nos langues et c’est en ce sens que nous avons accompli un grand pas. Car nous venons de montrer que c’est possible. Non seulement c’est possible, mais ça intéresse nos jeunes et c’est de cela qu’il est question », a-t-il poursuivi, tout en précisant que le jury a été très satisfait du travail des candidats, parce qu’ils avaient deux heures et demi pour traiter la question, mais il y a eu des candidats qui ont réussi à remplir quatre pages dans un mooré limpide, sans rature.
« Donc, nous sommes vraiment contents de savoir que parmi nos étudiants, il y a des gens qui ont ces compétences-là de conceptualiser directement dans nos langues africaines », conclut le superviseur avec un air de satisfaction.
En s’appuyant sur ce qui est dit par son collègue, le Pr Lazard Kouamé de la chaire de l’UNESCO de Côte d’Ivoire, a tiré son chapeau au Burkina pour une belle réussite de concours qui n’est qu’à sa première édition, tout en indiquant qu’avec cette expérience, le Burkina Faso sera une référence dans les futures éditions.
Yvette Zongo
Lefaso.net