Présidentielle aux USA : « Donald Trump a-t-il une politique américaine pour l’Afrique ? J’en doute », Omar Zombré, consultant en relations internationales
Journaliste, écrivain, consultant en relations internationales et spécialiste en communication, Omar Zombré est un Burkinabè actuellement en séjour aux Etats-Unis d’Amérique, dans le cadre d’une formation professionnelle. Dans l’entretien qu’il a accordé à Lefaso.net à l’occasion de la présidentielle aux USA qui consacre la victoire de Donald Trump face à Kamala Harris, il décrypte les résultats. Il se prononce aussi sur l’impact de cette nouvelle donne sur les relations entre les Etats-Unis et l’Afrique.
Lefaso.net : Comment accueillez-vous la victoire de Donald Trump à la présidentielle aux USA ?
Comme pour toute élection démocratique transparente, la victoire d’un candidat à l’élection présidentielle est celle de la majorité du peuple. Le soir du 5 novembre, le peuple américain a fait son choix, et c’est Donald Trump. Donald Trump revient à la présidence des États-Unis après avoir perdu en 2020 contre Joe Biden. On pourrait dire que les Américains ont simplement sanctionné la gestion des démocrates par le biais des urnes. D’un autre côté, le succès de Donald Trump réside dans sa promesse d’accélérer la croissance économique américaine et de gérer avec diligence la question de l’immigration, qui est restée un point sensible pour les démocrates. Il n’y a pas que l’élection présidentielle dans ce scrutin ; il y a également plusieurs autres élections tout aussi importantes.
Il s’agit notamment de l’élection sénatoriale et de celle de la Chambre des représentants, qui détermineront avec qui Donald Trump dirigera les États-Unis. La composition du Congrès et de la Chambre des représentants pourrait signifier soit une présidence paisible, soit des batailles internes pour l’application de certaines promesses électorales. Selon les résultats, le parti conservateur, c’est-à-dire le Parti républicain, a remporté les élections au Sénat et à la Chambre des représentants. Donald Trump aura donc les mains libres pour faire passer ses réformes tant attendues.
Est-ce que pour vous cette victoire est une surprise ?
Dire que cette victoire n’est pas une surprise serait comme prétendre lire dans une boule de cristal. Il y a eu des sondages indiquant des résultats très serrés, suggérant que les deux candidats étaient au coude à coude. Cependant, les résultats annoncés par Associated Press donnent une nette victoire au camp de Trump. Il faut dire que des réformes majeures sont attendues par les Américains, qui ont été séduits par les promesses de relance économique, de renforcement des mesures anti migratoires aux États-Unis, et sur des sujets plus conservateurs comme le droit à l’avortement. Hier, j’ai visité des centres de vote pour constater l’engouement.
Les personnes avec qui nous avons discuté, sans jamais mentionner le nom des candidats, penchaient pour des politiques anti-avortement et pour un durcissement de la législation sur l’immigration aux États-Unis. Je pense que l’un des succès de Trump réside dans la gestion perçue des démocrates sur les plans national et international. De nombreux Américains ne comprennent pas l’aide des États-Unis à l’Ukraine, estimant qu’il y a suffisamment de défis internes à relever, comme l’amélioration de l’économie, du système de santé, de l’éducation et la lutte contre l’inflation, plutôt que d’aider d’autres nations à des milliers de kilomètres de l’Amérique. Certains sont également nostalgiques de la gestion « trumpienne » avec les chèques covid.
Les analystes prédisaient un score très serré, Trump a été élu après avoir atteint au moins 276 grands électeurs sur les 538 que compte le collège électoral. Qu’est-ce qui peut expliquer, selon vous, ce résultat ?
Je pense que les analystes se sont basés sur les intentions de vote. En matière électorale, il y a les intentions de vote et la réalité des urnes. L’élection de Donald Trump symbolise cette réalité des urnes et reflète les aspirations du peuple américain. Le système électoral américain paraît simple de l’extérieur, mais il est complexe en interne. Il existe deux types de votes : le vote populaire, où tous les citoyens enregistrés peuvent choisir leur candidat, et le vote du collège électoral.
Comme je le disais tantôt, les Américains n’ont pas seulement voté pour Trump ou Harris, mais aussi pour les sénateurs et les représentants. Ces derniers forment le collège électoral et ce sont eux qui prennent la décision finale. Il arrive cependant que le collège électoral choisisse un président qui n’a pas obtenu la majorité du vote populaire, comme lors des élections de George W. Bush face à Al Gore en 2000, et de Donald Trump face à Hillary Clinton. C’est un système qui perdure.
Des réflexions sont en cours pour des réformes, mais il est peu probable que cela aboutisse prochainement. Selon certains historiens, ce système a été instauré pour équilibrer les votes, car certaines régions sont fortement peuplées et d’autres moins. Chaque État a le même nombre de sièges en matière d’élections sénatoriales, tandis que le nombre de représentants varie en fonction de la densité de population. Sans ce système, deux États seulement pourraient décider des élections en raison de la majorité du vote populaire. Pour en revenir aux résultats, Donald Trump a fait des promesses qui parlent davantage aux Américains.
Ce qui est toutefois regrettable, c’est que les deux candidats se sont attaqués sans relâche, parfois de façon totalement inattendue, s’accusant mutuellement et présentant ainsi la campagne en termes de héros et d’antihéros, comme dans les films où l’on retrouve le bon et le méchant. Cela a contribué à noyer les messages essentiels des programmes des candidats. Dans ce contexte, Kamala Harris ne pouvait pas rivaliser avec Donald Trump, qui en a fait sa stratégie particulière, mais c’est ainsi que se déroule une campagne électorale américaine. De plus, le fait que Kamala Harris se soit lancée dans la course à moins de 100 jours des élections présidentielles, après le désistement de Joe Biden, n’a pas beaucoup aidé le parti démocrate.
Pour les Afro américains, les Américains naturalisés et les immigrés, ce retour de Donald Trump est-il une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Pourquoi ?
Il faut dire que c’est toute l’Amérique, dans sa diversité raciale, qui gagne. Donald Trump doit être le président de tous les Américains, de ceux qui ont voté pour lui comme de ceux qui ne l’ont pas soutenu. Beaucoup d’Afro-Américains espéraient peut-être voir Kamala Harris à la présidence, non pas à cause de sa couleur de peau, puisque Barack Obama a été le premier Noir à séjourner à la Maison-Blanche, mais pour ses idées progressistes axées sur la famille et sur l’élargissement et l’amélioration de la couverture de santé. Elle a beaucoup axé sa campagne sur ces thèmes, ce qui lui a valu d’être qualifiée de « socialiste ».
La question raciale reste un sujet épineux, mais les institutions américaines ont fait beaucoup de progrès en la matière, bien qu’il reste encore des avancées à réaliser. À mon avis, le racisme est d’abord une question d’éducation avant d’être autre chose.
Concernant la question des migrants, il y a trois catégories : ceux qui sont présents aux États-Unis et ont leurs papiers, ceux qui sont présents sans être encore régularisés, et ceux qui aspirent à immigrer et attendent aux frontières des États-Unis.
Ceux qui sont bien intégrés n’ont rien à craindre, et leur situation n’est plus un problème. Pour ceux qui sont sur le sol américain sans être encore intégrés mais qui souhaitent le faire, cela pourrait être plus ou moins compliqué en fonction des États dans lesquels ils se trouvent. Les États démocrates sont plus accueillants et plus souples concernant l’immigration, tandis que les États républicains sont plus fermes sur cette question. Donald Trump, étant républicain, a promis de massivement déporter les immigrants. Cette annonce suscite de la peur dans certains milieux, mais cela risque d’être très difficile à mettre en œuvre compte tenu de la diversité des lois sur l’immigration dans les 50 États américains. Comme mentionné précédemment, les États démocrates sont plus souples en matière d’immigration.
Quant à ceux qui se trouvent aux frontières sans encore avoir franchi le sol des États-Unis, les règles risquent de se durcir complètement pour eux, avec un risque accru de trafic d’êtres humains aux frontières américaines.
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Alors que M. Trump réaménage à la Maison Blanche qu’il avait quittée en 2021, qu’est-ce l’Afrique en général et le Sahel en particulier peuvent attendre de ce retour, notamment sur le plan de la coopération en matière de sécurité ?
Je pense que les pays savent déjà à quoi s’attendre. Ce n’est pas la première fois que Donald Trump s’assoit au Bureau ovale. Je dirais que les nations du monde sont déjà habituées à le voir, mais la question est de savoir si ce Trump sera une répétition de lui-même lors de son premier mandat en 2016 ou s’il sera un Trump plus assagi, plus compréhensif des enjeux mondiaux comme la sécurité, le climat, etc.
D’ores et déjà, il faut comprendre que Trump va se concentrer sur les défis domestiques des États-Unis, ce qui aura un impact important sur les enjeux mondiaux majeurs. Cela pourrait signifier une présence internationale réduite et donc, probablement, une coupe budgétaire dans l’aide internationale. Les États-Unis sont les premiers contributeurs de l’Organisation des nations unies. Ils sont aussi les premiers contributeurs des opérations de maintien de la paix dans le monde, avec plus de 27 % en 2020 et 2021, selon l’agence onusienne de maintien de la paix.
Donald Trump a-t-il une politique américaine pour l’Afrique ? J’en doute. Le dernier président ayant véritablement formulé une politique pour l’Afrique était Barack Obama. Je pense que Donald Trump continuera simplement ce qui est déjà en place, si toutefois il ne cherche pas à y mettre fin.
Sur le plan sécuritaire, je ne vois pas d’action immédiate des États-Unis dans le Sahel, surtout après leur départ précipité du Niger. Mais je pense qu’au bout de ses 100 premiers jours, on pourra voir plus clairement ce qui se dessine en matière de coopération sécuritaire dans le Sahel.
Je rappelle que, pour Donald Trump, la priorité reste l’économie nationale et, à l’international, la Chine. Il promet un retour au bras de fer commercial avec la Chine. Ce qui l’intéresse, c’est de repositionner les États-Unis face à l’ascension de la Chine dans tous les secteurs. Dans ce contexte, il y a de fortes chances que l’Afrique ne soit pas une priorité.
Quant au Sahel, je perçois la situation différemment. Je pense qu’il serait plus avisé pour nous de réfléchir à comment tirer profit de la gouvernance de Trump. Il faudra anticiper les réformes majeures à venir et agir en fonction, pour le bien de notre région. Il n’existe pas de formule mathématique ; actuellement, il est difficile de prédire la trajectoire des actions politiques américaines dans le Sahel. Trump semble ne comprendre que le langage de l’économie ; il faut donc lui parler dans un langage qu’il comprend et nous avons les atouts et les ressources nécessaires pour nous faire entendre.
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Avec cette élection, comment voyez-vous la suite des conflits en Ukraine et en Palestine ?
Donald Trump a promis, au cours de la campagne, de régler la question ukrainienne en 24 heures. Je pense que cela est improbable et résulte d’une annonce démagogique. Pour résoudre ce conflit, il faut bien plus qu’un coup de téléphone sur la ligne rouge. Les deux cobelligérants doivent d’abord accepter de discuter, ce qui ne peut se faire dans l’immédiat. Il ne faut pas non plus oublier que ce conflit a une portée mondiale. Chaque camp a ses soutiens plus ou moins manifestes.
Il faudra bien plus qu’un coup de téléphone pour trancher ce conflit. Qu’en est-il des territoires annexés par la Russie entre 2014 et aujourd’hui ? Quid de l’expansion de l’OTAN dans les pays baltes ? Quid de la souveraineté de l’Ukraine ? Il y a de nombreuses équations à résoudre avant de voir les protagonistes fumer le calumet de la paix. Je pense qu’il est, pour l’instant, difficile d’envisager une résolution de ce conflit en un temps record.
Entretien réalisé en ligne par DT. Sawadogo
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