Camille Rony, québécoise : « Si j’avais eu un jour à immigrer en Afrique, mon choix aurait été le Burkina »
Au gré des rencontres d’un séjour canadien, nous avons fait la connaissance d’une québécoise fascinée par le Burkina Faso ; ce pays où elle n’a fait que de brefs séjours mais qu’elle porte profondément dans son cœur depuis près de quarante ans. Camille Rony, c’est son nom, octogénaire bon pied, bon œil, ne tarit pas de beaux souvenirs sur « Le pays des hommes intègres ». Fidèle lectrice du Faso.net depuis les premières années de son lancement, elle ne manque pas de conseils pour l’amélioration de son contenu.
Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter ?
Camille Rony : Je suis une Québécoise octogénaire qui appartient à cette génération dont seulement 4% de la population avait eu le privilège de compléter des études de niveau secondaire ou plus. De ce fait et par mon âge, j’ai été une témoin de notre « Révolution tranquille », l’évolution prodigieuse du Québec au début des années soixante, en quête d’autonomie et d’indépendance ; une aspiration qui demeure en perpétuelle phase d’espérance… Pour nous de ma génération, cette période était celle des indépendances africaines si inspirantes que nous observions avec admiration et qui nous permettaient en nous y associant, de nous sentir inscrits dans une grande mouvance mondiale.
Autre particularité qui fait exception pour une femme de mon époque, j’ai toujours été engagée sur le maché du travail. D’abord comme infirmière professionnelle pendant une dizaine d’années. Par la suite, alternant entre études et travail, j’ai eu la chance de participer à la construction du Québec moderne, en particulier la mise en œuvre de la Régie de l’assurance maladie du Québec, puis dans l’action politique à titre d’attachée de presse et de conseillère politique dans des cabinets ministériels de divers ministères du premier gouvernement du Parti Québécois, pour terminer ma carrière au ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec, à la Direction Afrique pour une quinzaine d’années.
Pendant cette période je fus « prêtée » au Sénégal pour aider à l’organisation du Forum francophone des affaires dans la suite du sommet de la Francophonie de 1989 puis affectée pendant deux ans à la CONFEMEN [Conférence des ministres de l’Éducation des États et gouvernements de la Francophonie] à Dakar ; ce qui m’a permis de participer à plusieurs projets dans divers pays de l’Afrique francophone. Fille d’agronome, avec feu mon mari d’origine haïtienne et aussi agronome/chercheur, je suis la mère de trois enfants et de cinq petits enfants
Depuis quand connaissez-vous le Burkina ?
Avant de connaître le Burkina, dès les années 1962-1963, du fait que mon mari poursuivait des études doctorales à l’Université McGill, j’ai été mise en contact avec les tout premiers étudiants africains venus au Canada, tous anglophones originaires des pays du Commonwealth. Pour ces jeunes africains dont quelques-uns venus avec de jeunes épouses, nous faisions figure, mon mari et moi, d’aînés et de famille élargie pour conseiller et solutionner les petits problèmes du quotidien. Les échanges nombreux autour de repas, de fêtes et de discussions sur des sujets de géopolitique et d’histoire ont été des rencontres initiatiques sur les différents peuples, coutumes, traditions et cultures de l’Afrique.
C’est avec la création de l’ACDI et à la suite des revendications des Québécois que le Canada a dû s’investir aussi dans la coopération avec les pays de l’Afrique francophone. La première fois où j’ai mis pied en Afrique, c’était en novembre 1986 et incidemment au Burkina Faso. Aussi surprenant que cela puisse paraître, je ne me suis nullement sentie dépaysée, comme si les lieux m’étaient familiers. À l’époque, à Ouagadougou, l’hôtel « Indépendance » était le lieu de toutes les rencontres et de tous les rassemblements.
Dans quelles conditions avez-vous connu le pays ?
C’est à titre de cheffe de mission d’une équipe tripartite de six personnes incluant Sénégalais, Burkinabè et Québécois, que j’étais arrivée au Burkina. Il s’agissait de faire une grande tournée dans toutes les régions du pays afin de procéder à l’évaluation de fin de projet d’un grand nombre de puits creusés et équipés en milieu rural (sauf celui de St-Camille à Ouaga). À ce moment, le président Sankara était au pouvoir. J’ai pu visiter toutes les régions du pays, de Banfora, Bobo-Dioulasso, Fada N’Gourma (et Falgountou en pleine nuit après avoir emprunté la mauvaise piste), Dori, Gorom-Gorom, Kaya et Ouaga.
Les ministères de l’Agriculture et de la Question paysanne étant les interlocuteurs burkinabè pour ce projet. Nous avions, au cours de la tournée, été hébergés principalement dans les installations du réseau des CFJA, ces centres de formation pour les jeunes agriculteurs. En fin de mission, nous avions été accueillis par le secrétaire général du ministère de la Question paysanne (que vous avez rencontré chez-moi lors de votre séjour à Québec). Nous nous étions alors découvert un ami commun résidant au Québec à quelques rues de chez-moi.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
D’abord la ville de Ouagadougou qui ne comptait alors que de très rares édifices de plus de deux étages ; la propreté des habitations fraîchement reblanchies après la saison des pluies. Et les très nombreuses motos qui dégageaient une épaisse fumée bleuâtre, laquelle, à l’heure du souper, se mélangeait aux effluves des feux de bois et des odeurs de nourriture des repas mijotant dans chacune des familles. Devant l’hôtel Indépendance il y avait aussi le suave parfum d’un grand Ylang-Ylang planté dans la cour de l’immeuble en face. Et puis les gens rieurs qui, avant de rentrer, prenaient le temps de savourer leur SOBBRA ou leur BRAKINA dans les petits restos de quartier ou se joignaient aux amis de passage à l’Indépendance.
Comme la tournée se faisait en milieu rural et que j’avais l’habitude d’Haïti, évidemment la comparaison s’imposait : par exemple le nombre et la variété des outils des paysans, la manière de traiter les animaux domestiques particulièrement les ânes et les mulets, le courage des familles paysannes, la pénibilité et l’organisation du travail aux champs et la gestion de l’eau en vue des arrosages.
Le souvenir le plus impressionnant retenu, c’est un grand jardin potager tout verdoyant en plein désert à Dori, planté et entretenu par des jeunes du CFJA sous une chaleur de 40°C que notre équipe a visité. Et étonnement ultime, nous retrouvons ces mêmes jeunes et leur enseignant, ce même samedi soir vers les 20 heures en classe de mathématiques avec leur professeur devant le tableau. Ce professeur dédié, à la stature imposante qui témoignait d’un tel dévouement et d’un tel engagement envers ces jeunes. Impressionnant !
Le transport et les déplacements : le rôle que joue l’énergie humaine comme moteur du transport. Personne, que ce soient les hommes, les femmes ou les enfants ne se déplaçait sans transporter quelque chose, soit un enfant, des paniers, du bois, ou les objets les plus hétéroclites qui soient. Naturellement les transports sur bicyclette ou motorisés ou avec les ânes et les mulets ont aussi leurs particularités, leur originalité et leur inventivité.
Combien de temps avez-vous vécu au Burkina ?
Je n’ai pas vécu au Burkina mais j’y ai fait plusieurs courts séjours d’une dizaine de jours pour le travail et j’y ai lié des liens durables avec des collègues amis et amies. Un pays remarquable par la résilience, le courage, la fierté et la joie-de-vivre de ses citoyens. Pendant mon affectation à Dakar auprès de la CONFEMEN, j’avais un collègue consultant, alors directeur de l’École normale de Ouaga avec qui je suis toujours en relation. Ses fils sont venus étudier au Québec. Toujours à Dakar, le secrétaire général du CRDI (Centre de recherche en développement international, une organisation canadienne) était Burkinabè et je fréquentais régulièrement sa famille. Et plusieurs autres dont la fréquentation assidue m’a permis de mieux connaître, comprendre et aimer le Burkina au point de dire que si j’avais eu un jour à émigrer en Afrique, mon choix aurait été le Burkina.
Passionnée par la politique et l’histoire, j’aborde toujours un nouveau pays en me familiarisant avec sa géographie, les noms de ses lieux, sa population, son histoire socio-politique, sa culture et ses coutumes. C’est essentiel pour établir un dialogue significatif avec les personnes rencontrées et les échanges de travail avec les dignitaires, les personnes officielles ou les ministres au cours de rencontres de travail ou d’échanges avec les connaissances amies. Je profite de mes amis qui m’ont fait aimer et apprécier leur Burkina et des médias pour maintenir à jour mes connaissance et ma compréhension du pays.
Un regret cependant, malgré ma longue tournée du Burkina Faso en milieu paysan en 1986, et mes nombreux séjours, je n’ai pas eu le loisir par la suite de visiter ses lieux historiques et touristiques sauf le site de Sculpture sur granit de Laongo, et le Palais du Mogho Naaba Baoogo. Ce dernier en septembre 2010, avait reçu en audience les participants (dont je faisais partie), de la conférence de l’Association internationale francophone des aînés (AIFA) tenue à Ouaga dont madame Alimata Salambébé était alors la présidente.
Quels souvenirs en avez-vous gardés ?
Évidemment des souvenirs reliés aux personnes rencontrées et aux événements auxquels j’ai participé. Mais aussi une foule d’autres souvenirs plus anecdotiques ; par exemple d’avoir dormi à la belle étoile à Dori en bordure d’un champ vague en bordure de la ville. Nous avions sorti les lits à l’extérieur des « cases de passage », car il semblait, bien qu’il y eût belle lurette depuis que quelqu’un avait occupé ces cases.
La plantation d’un arbre-souvenir dans la cour d’un ami maintenant décédé, chez qui nous avions passé la journée. Une séance de visionnement de la télévision avec un groupe d’enfants tous sagement assis sur de longs bancs de bois devant le téléviseur bien installé sur le capot de la camionnette et branchée au bloc batterie du véhicule.
À quand remonte votre dernière visite ?
Mon dernier séjour au Burkina fut en septembre 2010 à l’occasion de la conférence de l’AIFA. J’étais descendue à l’hôtel Yibi, tout à côté des lieux des attentats de janvier 2015.
Avez-vous gardé des liens avec le pays ?
Des liens avec des personnes par les médias dont nous disposons maintenant tels le téléphone-vidéo, les courriels mais aussi par le biais des journaux électroniques, Internet et autres. Je me souviens encore du temps où la poste mettait trois semaines à livrer un document envoyé par « Air Mail » ou le téléphone entre Québec et Ouagadougou où à tour de rôle chacun parlait après un temps de décalage de plusieurs secondes.
Comment appréciez-vous son évolution ?
Mondialement, nous traversons une époque trouble et inquiétante. Chacun de nos pays est plongé dans les angoisses que provoquent les menaces à la paix et les insécurités climatiques et les incertitudes politiques. Le Burkina n’y échappe pas, particulièrement depuis près de dix ans.
Il arrive qu’un devenir qui s’annonçait prometteur soit détourné momentanément de ses promesses par des éléments perturbateurs, mais l’évolution étant mouvement perpétuel, il faut garder l’espérance que l’harmonie et la paix retrouveront raison d’être. L’essentiel est de soutenir la résilience de la jeunesse et de la population et de maintenir des moyens d’éducation populaire et pour la jeunesse afin que la nation une fois dégagée de ses entraves retrouve sa vitalité et sa liberté pour poursuivre la maitrise de son futur. Le peuple burkinabè, en toute circonstance, fait montre d’un patient courage et de confiance dans ses moyens propres et d’une assurance inébranlable qu’il parviendra à réaliser le pays auquel il aspire.
Vous êtes aussi une fidèle lectrice du Faso.net ; comment avez-vous découvert le journal ?
Probablement lors d’une recherche via Google concernant le Burkina ; un premier article pertinent de Faso.net s’est affiché. Selon les fichiers conservés dans mon ordinateur, il y a une première référence à un article daté du 2 septembre 2006, mais c’est un article du 31 août 2010 intitulé « Développement, le Burkina dans le top du monde où il fait bon vivre » qui semble être l’indice le plus probant d’une fréquentation assidue de Lefaso.net.
Lire aussi : Développement : Le Burkina Faso dans le « Top 100 des pays du monde où il fait bon vivre »
Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans les informations diffusées ?
En premier lieu, ce sont les informations et les analyses socio-politiques et culturelles du pays. Il y a certains analystes signataires dont j’apprécie particulièrement les textes. J’aime lire les commentaires des lecteurs qui s’avèrent en quelque sorte un reflet de la société par leur diversité et leur opposition, même si entre les lignes, on peut aussi parfois y déceler les profils de partisans en croisade. J’aime beaucoup lire les articles qui traitent des coutumes, de l’organisation sociale et traditionnelle, du pouvoir hiérarchique coutumier, des chefferies et des autorités religieuses. Je lis souvent les chroniques nécrologiques qui en disent beaucoup sur l’organisation des familles et de l’étendue et de la dispersion de la diaspora et de son importance.
Pour vous qui le lisez depuis l’étranger et depuis longtemps, comment faudrait-il améliorer son contenu ?
La qualité primordiale d’un journal c’est sa crédibilité, laquelle dépend de la fiabilité de ses sources, la diversité et la qualité des informations diffusées, la perspicacité, l’honnêteté, la résilience et le courage de ses journalistes et de ses chroniqueurs.
Les conditions actuelles de l’exercice de la liberté de dire la nouvelle, d’étayer les faits et de les expliquer s’avèrent en certaines circonstances de plus en plus difficiles et risquées. S’ajoute à la mission essentielle de la presse le phénomène déplorable et pernicieux de la désinformation volontaire et malicieuse qu’il faut déjouer, dénoncer. S’en tenir loin et refuser de s’y associer ou d’y participer en dépit de possibles pressions ou représailles font partie des défis incontournables de la presse de maintenant.
Il est difficile dans le contexte actuel, où une sorte de « discrétion et de réserve » sont imposées de suggérer davantage de chroniques et d’informations sur ce qui se passe dans les régions. Cependant il est intéressant de prendre connaissance des projets, des initiatives et des réalisations qui se font, que ce soit dû aux organisations civiles ou à l’initiative du gouvernement. Par exemple le gouvernement avait lancé un grand projet d’économie sociale solidaire. Où en est cette initiative ? Quels projets en sont émergés ? Il serait intéressant d’avoir un suivi périodique régulier de ce projet gouvernemental, les nouvelles entreprises qui apparaissent, les succès, les difficultés rencontrées par les acteurs et actrices sur le terrain, les modalités d’accès à ce programme, etc.
On dit que la presse est le quatrième pouvoir. Une presse de qualité, c’est aussi un des piliers de la vie démocratique dans une société. Au début de la transition et sporadiquement, on a entendu chez certains un discours remettant en cause la démocratie. J’aimerais suggérer que Lefaso.net puisse offrir une chronique régulière (mensuelle ?) qui se voudrait à la fois information, formation et réflexion sur la démocratie. La démocratie ce n’est pas un processus électoral, c’est une façon de vivre en société. Comment vit-on la démocratie au quotidien ? dans sa famille ? dans son école ? son village ?
La démocratie, sans qu’elle soit ainsi nommée, comment se vivait-elle dans l’organisation traditionnelle et coutumière idéale ? Il me semble qu’une telle rubrique systématique pourrait rebalancer pour le moment le contenu informatif du journal. Il y a un peu ce modèle présentement avec des articles concernant la santé, publiés occasionnellement. Peut-être n’est-ce qu’une impression mais il me semble que les nouvelles sportives occupent davantage d’espace qu’auparavant… Autre rubrique intéressante, soit périodique ou saisonnière, soit à l’occasion de certaines grandes fêtes, des articles sur des recettes des cuisines traditionnelles ou des fruits, légumes ou condiments particuliers du Burkina.
Quel message avez-vous pour vos amis burkinabè ?
Ce que je souhaiterais le plus serait de pouvoir faire encore un voyage au Burkina pour revoir ceux qui restent et que je n’ai pas vus depuis bien longtemps. La situation sécuritaire leur impose bien des sacrifices pour demeurer vigilants pour leurs familles et solidaires avec la population des personnes déplacées. J’ai beaucoup d’admiration pour leur courage et leur résilience.
À ces difficultés j’ajoute les dangers des changements climatiques qui se manifestent tragiquement par l’intensification des grandes canicules des mois de mars et avril, les graves conséquences de la déshydratation causant même de plus en plus de morts particulièrement chez les plus âgés à qui je répète inlassablement de ne pas oublier de boire de l’eau.
À tous et toutes je leur souhaite de garder le courage de l’espérance ; les beaux jours reviennent toujours. Beaucoup de patience pour atteindre enfin la sérénité la sécurité et la paix retrouvée.
Entretien réalisé par Cyriaque Paré
Lefaso.net