Burkina / Médias : Le graphique
Dans le cadre de la commémoration de la journée nationale de la liberté de la presse, célébrée le 20 octobre 2024, le Centre national de presse Norbert Zongo et la presse nationale publient quatre éditos de Norbert Zongo toujours d’actualité, pour interpeller sur la situation de la presse. Nous vous proposons de lire le quatrième de ces éditos.
« Ce jour-là, nous étions dans le delta du Mécong. Le napalm, poussé par le vent, ravageait un village. A travers l’objectif de ma caméra, je voyais courir les enfants et les femmes dans les flammes, comme des ombres chinoises. Quelques instants plus tard, il ne restait plus que des amas de cendre et cette odeur de chair brulée qui rappelait qu’il y avait eu une vie dans ce coin perdu du Vietnam. »
Ce récit de Joseph Trudeau, reporter de guerre canadien (in Dans le désert de l’enfer vert), s’est ajouté à des milliers d’autres reportages pour expliquer à l’Amérique et au monde entier que, dans les deltas des fleuves et des rivières du Vietnam, les « boys » tuaient et étaient tués. L’Amérique libre et démocratique dévastait, par le feu et par la mitraille, des vies et des terres qui ne lui réclamaient que la liberté de vivre chez elles sous leur ciel.
Ils furent nombreux à payer de leur vie cette témérité, cette volonté de témoigner et de dire au monde entier qu’un drame préoccupant, au-delà du Vietnam, menaçait la paix mondiale.
De Kaboul à Beyrouth, de Bagdad à Monrovia, des montagnes de Hoggar en Algérie à la forêt du Bengale en Inde, des journalistes donnent leurs vies pour apprendre et surtout pour faire comprendre au monde entier les drames des peuples de notre planète. C’est grâce à eux que les responsables politiques éprouvent la nécessité de dialoguer, de discuter pour mettre un terme aux conflits. Ils sont donc des agents de la paix.
Le journaliste, où qu’il soit, est toujours sur un champ de bataille. Quoi qu’il fasse, il est toujours en danger, pour peu qu’il veuille faire son travail dans le strict respect de la déontologie du métier.
Et il n’y a pas que les champs de bataille où pleut la mitraille qui constituent pour lui un danger. En Afrique par exemple, le danger peut surgir dans la rue, dans une chambre. Chaque table de travail d’un journaliste est une armurerie où il faut savoir manipuler des bombes pour qu’elles ne vous sautent pas entre les mains.
Les virgules mal placées de certains commentaires à l’endroit des responsables politiques peuvent siffler comme des balles de fusil et se changer effectivement en balles mortelles pour ces empêcheurs de « manger tranquille ».
Sur chaque feuillet, le journaliste africain peut signer, à la fin de chaque phrase, un mandat de dépôt pour se faire envoyer en prison, au nom de la loi faite par ces hommes, ces responsables, parfois invertébrés moraux carapacés dans leur Code de l’Information.
Une bande sonore, un mètre de pellicule peuvent se changer en cordes pour ligoter le journaliste africain qui a le tort de ne point plaire à ses dirigeants. Ces derniers ne tolèrent qu’une seule chose : la sublimation de leur image.
Au Burkina Faso, nous souhaitons, à l’occasion de ce 03 mai, Journée mondiale de la Liberté de la Presse, rappeler à ceux qui le savent déjà et dire à ceux qui l’ignorent ou le méconnaissent, qu’aucune démocratie ne saurait mériter ce nom si elle triche avec les lois et ruse avec les principes cardinaux de la liberté.
Nous devons tous accepter et comprendre qu’aucun développement n’est possible ni durable dans un pays où la liberté de la presse est prisonnière de textes fallacieux et anachroniques, truffés d’articles plus liberticides les uns que les autres.
En ce jour 03 mai, nous souhaitons que les Burkinabè soucieux du devenir de notre pays s’interrogent sur l’apport de la presse burkinabè dans le processus démocratique de notre pays.
Nous ne vous demandons pas de vous battre pour votre presse. Nous vous conseillons d’observer simplement leur existence. Vous y lirez le graphique de votre propre liberté. Ayez l’œil rivé sur ce tableau, au moins vous ne serez pas surpris… même pas par les dictatures mielleusement enrobées. Observez votre graphique ! Observez ! Observez !
L’Indépendant n°143 du 30 avril 1996