Les consciences éveillées de la post-colonisation : Une réponse au discours du roi Léopold II (1883)
Cet article de Lamissa Bangali, anthropologue, apporte une contribution essentielle au débat, parfois biaisé, sur le rôle de nos pratiques spirituelles et de notre religion traditionnelle dans la lutte contre le terrorisme.
Au Burkina Faso, cette question est devenue centrale, allant jusqu’à mobiliser les plus hautes sphères de l’État. Nous pensons qu’il est préférable de situer ce débat dans un cadre plus large.
Il ne faut pas perdre de vue que de nombreux maux actuels trouvent leurs racines dans l’entreprise coloniale, qui a bouleversé tous les fondements de la société africaine, y compris la religion. Ainsi, la colonisation, dans sa volonté de domination, a orchestré une transformation profonde de l’Afrique traditionnelle, en fonction des intérêts occidentaux.
Dans cette logique, l’histoire coloniale est jalonnée de discours tels que celui de Léopold II, roi des Belges, qui illustre la stratégie d’acculturation et d’oppression, visant principalement l’exploitation et le pillage des ressources africaines. Voici un extrait marquant de ce discours :
« Prêtres, vous allez certes pour l’évangélisation, mais cette évangélisation doit s’inspirer avant tout des intérêts de la Belgique. Le but principal de votre mission au Congo n’est donc pas d’apprendre aux nègres à connaître Dieu, car ils le connaissent déjà. Ils parlent et se soumettent à un MUNDI, un MUNGU, un DIAKOMBA, et que sais-je encore. Ils savent que tuer, voler, coucher avec la femme d’autrui, calomnier et injurier est mauvais. Ayons donc le courage de l’avouer. Vous n’irez donc pas leur apprendre ce qu’ils savent déjà. »
Dans ce discours, Léopold adresse aux missionnaires partant pour l’Afrique en 1883 une vision de la colonisation où la religion devient un outil de domination destiné à soumettre les populations sur les plans spirituel, psychologique et matériel. Peu importe les croyances - chrétiennes, musulmanes, traditionnelles ou même agnostiques - il est difficile de rester insensible à cette manipulation flagrante.
1. La Religion comme Instrument de Domination : Un Fardeau Délesté
Le discours de Léopold II illustre comment la religion a été détournée pour servir les intérêts coloniaux, cherchant à affaiblir les consciences africaines et à imposer une soumission volontaire. Les missionnaires n’avaient pas pour mission de promouvoir une foi spirituelle authentique, mais de détourner les Africains de leurs croyances et de leurs ressources, affaiblissant leur capacité de résistance.
Aujourd’hui, de nombreux héritiers de cette domination spirituelle se sont éveillés. Ils ne suivent plus aveuglément les préceptes inculqués par la colonisation : ils questionnent, analysent et rejettent ce qui ne contribue pas à leur bien-être collectif. Nos prières s’élèvent désormais avec des cœurs libres et des esprits éveillés, renouant avec les croyances africaines d’avant la colonisation. Nous n’avions pas besoin d’eux pour vivre notre spiritualité !
2. Éducation et Pensée Critique : Briser les Chaînes Mentales
Léopold II recommandait de « ne pas développer l’esprit critique dans les écoles » africaines afin de maintenir une dépendance intellectuelle. Aujourd’hui, cependant, l’éducation en Afrique vise à éveiller cet esprit critique, à révéler les vérités de la colonisation et de la domination, et à redonner aux jeunes Africains le pouvoir de penser par eux-mêmes.
Nous comprenons désormais que l’éducation, autrefois instrumentalisée, peut être le levier de notre émancipation. Elle doit être modelée autour de nos valeurs, notre histoire et notre patrimoine. Une éducation pensée pour libérer la pensée, stimuler l’analyse et encourager la critique.
3. Rejet de la Pauvreté comme Modèle de Soumission
Les discours coloniaux glorifiaient la pauvreté comme une vertu, incitant les Africains à accepter la résignation matérielle et à renoncer à la prospérité. Aujourd’hui, ce modèle de pauvreté imposée est rejeté. Les Africains comprennent que la richesse et la spiritualité peuvent coexister, et que la prospérité est essentielle pour bâtir des communautés autonomes et assurer un développement durable.
Le discours de Léopold II, qui cherchait à convaincre que la richesse était incompatible avec la spiritualité, n’a plus d’écho aujourd’hui. Les Africains savent qu’ils ont le droit de bénéficier des fruits de leurs terres et de construire des économies prospères. Le développement économique et la préservation de l’identité culturelle ne s’excluent pas mutuellement, mais se complètent.
4. La Force de Résistance et l’Éveil Spirituel
Les pratiques spirituelles africaines, que Léopold II souhaitait voir disparaître, sont restées profondément ancrées. Elles incarnent l’essence même de la spiritualité et de la cohésion communautaire africaine, représentant une forme de résistance à la spiritualité imposée qui visait à effacer les identités locales.
Ce discours nous invite à réévaluer notre héritage spirituel et culturel. Aujourd’hui, ces pratiques ne sont plus perçues comme des reliques, mais comme des piliers de notre présent et de notre avenir. Les croyances africaines, tout en évoluant, symbolisent la résilience et portent une foi libérée des chaînes de la colonisation.
5. Le Défi de la Justice Historique et la Reprise de notre Destinée
Aujourd’hui, avec un esprit critique affirmé, les peuples africains et leurs descendants ne tolèrent plus les injustices héritées de la colonisation. La quête de justice historique est légitime, et le souvenir des souffrances endurées reste vivace. Nos voix s’élèvent pour dénoncer exploitation et manipulation, rappelant que l’Afrique est consciente de son potentiel et de ses ressources. De sa religion aussi !
Nous affirmons notre volonté de devenir acteurs de notre propre histoire, de redéfinir notre spiritualité, notre développement économique, et de préserver notre patrimoine culturel. Cette renaissance honore les générations passées et promet la liberté aux générations futures.
Conclusion
L’éveil des consciences africaines, et plus particulièrement burkinabè, face à l’histoire coloniale, est irréversible. Les injonctions de Léopold II, autrefois imposées pour justifier l’assujettissement, ne pourront plus freiner cette renaissance. Nos regards se tournent désormais vers l’avenir, éclairés par les leçons du passé et animés d’une foi inébranlable en nos identités nationales. Nous prions, croyons et travaillons, mais jamais plus les yeux fermés !
Lamissa Bangali, PhD, Anthropologue
Email : lbangali @hotmail.com
WhatsApp 75474430
Quelques références
Abbé Kizito NIKIEMA
Journée des coutumes et des traditions : Vers une interdiction de parler contre les fétiches ? https://parolesdevie.bf/blog/parler-contre-les-fetiches
Le Premier ministre présente ses excuses suite à ses propos polémiques sur les fétiches https://lefaso.net/spip.php?article133407
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Of Revelation and Revolution : Christianity, Colonialism, and Consciousness in South Africa.
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Les Comaroff examinent comment le christianisme a été utilisé comme instrument de domination coloniale en Afrique du Sud et les moyens de résistance des populations locales.
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Diagne retrace l’évolution des pensées africaines et leur réponse aux enjeux posés par la colonisation et la mondialisation.
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Fanon explore les effets psychologiques et culturels du colonialisme, ainsi que le rôle de la violence et de la résistance dans le processus de décolonisation.
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Mbembe propose une analyse sur la condition africaine postcoloniale et examine comment la pensée occidentale a façonné l’identité africaine à travers une logique de domination et d’objectivation.
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Cet ouvrage analyse la construction occidentale de l’image de l’Afrique et les impacts de cette vision sur la culture, la religion et l’épistémologie africaine.
Nandy, Ashis.
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Ce livre traite de la manière dont la colonisation a façonné l’identité et les structures de pouvoir locales, tout en explorant les résistances psychologiques et culturelles des colonisés.
Ngugi wa Thiong’o.
Decolonising the Mind : The Politics of Language in African Literature. Nairobi : Heinemann, 1986.
Ngugi explore comment le langage a été utilisé comme outil de colonisation mentale et propose la langue africaine comme moyen de libération culturelle.