Burkina Faso : La laïcité, une question qui divise ?

Dans cette tribune, Ousmane Djiguemdé suggère d’intégrer les questions qui divisent (genre, laïcité, culte) et par extension chefferie coutumière et religieuse dans un débat public. Pour lui, ce débat national s’impose pour éviter de reproduire les erreurs des autres et produire un modèle conforme à notre volonté.
Aujourd’hui 29 octobre 2024, la lettre circulaire N°2024-135/MESFPT/SG du Secrétaire général du ministère de l’enseignement secondaire, de la formation professionnelle et technique, rappelant la suspension de l’interdiction du port du voile islamique dans les établissements d’enseignement secondaire (par lettre circulaire N°2014-106/MESS/SG du 02 avril 2014) a remis dans le débat public, les interrogations sur la question de la laïcité. Toutes les versions d’arguments d’approbation ou de désapprobation sont désormais mises dans l’espace public, sans pour autant permettre clairement au citoyen ordinaire d’avoir une idée claire sur son besoin.
Mon intervention aujourd’hui vise à donner ma part de lumière sur une problématique qui appelle désormais et de façon urgente une analyse nationale et une opinion républicaine définitive sur ce que doit être la laïcité au Burkina Faso.
I. Un débat public à la remorque de débats venus d’ailleurs, mais mal assimilé et faiblement analysé chez nous !
La problématique de la cohésion sociale et du renforcement de la qualité du vivre-ensemble entre communautés, au sein des pays ouest-africains, est de plus en plus portée dans le débat public comme une nécessité de rapprocher soit des groupes ethniques, soit des groupes religieux, au point que les mises en scène d’exemples ou modèles de vivre-ensemble réussis ont généralement trait au rapprochement entre ces groupes précédemment décrits. Mais, disons le tout net, très souvent aussi notre débat public est influencé par les débats en France ou ailleurs en Europe.
Toutefois, la question de la cohésion sociale est désormais à mettre en relief avec celle de la laïcité. Cependant, ce qu’il faut savoir sur cette dernière dont l’entendement a très souvent été galvaudée, pas seulement dans les milieux profanes, c’est qu’il s’agit d’une réalité construite sur une longue période.
Et en rapport avec cette réalité justement, dont la construction est adossée à une histoire institutionnelle française d’État confronté à une institution hiérarchisée, centralisée et soumise à une autorité située à l’étranger, comme le catholicisme (Baubérot, 2015), il faut noter qu’elle intervient au moment où l’influence de la religion paraît décliner, aux niveaux individuel, groupal et sociétal, autour du troisième quart du XXè siècle, aussi bien en Occident que dans les pays de l’Est et même dans le Tiers-Monde (Ibid.).
II. Une alerte ignorée dans nos pays
À cette époque, Peter Berger prévenait déjà que l’expérience des traditions religieuses occidentales permet de préjuger de l’avenir de la religion dans les pays non occidentaux, quel que soit leur régime politique, socialiste ou non. Il prédisait surtout que l’avenir de la religion sera marqué, de façon décisive, par la sécularisation, la pluralisation et la subjectivisation.
Parmi ces différents risques, consécutifs à l’explosion de liberté, la sécularisation a été un processus qui a consacré le principe selon lequel les questions religieuses doivent être séparées de celles de l’État. Sans être toutefois confondue à cette dernière, la laïcité se rapproche d’elle, mais s’en distingue au moyen des quatre modèles réputés auxquels on pourrait l’identifier.
III. Les modèles de laïcité
– dans le premier modèle, la religion fait partie de l’« intime » et la liberté de conscience s’applique à la « sphère privée ». Implicitement, cette position ne donne pas de légitimité théorique à la liberté de conscience comme liberté publique. La spécificité de ce modèle est qu’à gauche, elle propose la réduction de toutes les religions à la sphère privée, à l’extrême droite, elle est ouvertement dirigée contre l’islam ; mais de toute façon son impact social est très faible quand il s’agit du catholicisme, et beaucoup plus fort quand la religion musulmane est en jeu ;
– dans le second modèle reconnaît l’existence de la liberté de conscience comme liberté publique mais comme un principe extérieur au principe de laïcité. Au nom de la laïcité, implicitement considérée comme un principe supérieur à celui de la liberté de conscience, l’État peut limiter ce dernier principe en certaines occasions. De ces limitations sont apparus les besoins de revendication d’une « extension du principe de laïcité » par l’instauration de la neutralité religieuse des entreprises privées
– dans le troisième modèle reconnaît et défend la liberté de conscience individuelle pour tout ce qui ne concerne pas la sphère publique, entendue comme celle qui est reliée à la puissance publique, à l’État et à ses institutions. Cette sphère publique doit être neutre et séparée des religions, mais pour l’individu la laïcité signifie avant tout la liberté de conscience et la pleine citoyenneté. Sa spécificité est que la République ne reconnaît pas, ne salarie pas et ne subventionne aucun culte.
– dans le quatrième modèle, la liberté de conscience comporte une dimension qui déborde l’aspect strictement individuel, elle ne peut être uniquement formelle. Sa spécificité est de reconnaître que l’exercice de la liberté de conscience comme « liberté de culte », garantie par l’article 1 de la loi de 1905, doit l’emporter sur l’absence de subvention.
– à ces quatre modèles s’ajoute un cinquième qui n’entre pas dans le cadre de la loi de séparation des Églises et de l’État. Il s’agit du statut spécifique des trois départements d’Alsace-Moselle, qui n’étaient pas français de la fin de la guerre de1870-1871 à 1919 (après la Première Guerre mondiale), avec un statut provisoire qui perdure et qui induit le financement des cultes reconnus et le paiement du clergé sur fonds publics.
IV. Existe-t-il un modèle burkinabè de laïcité ?
Il faut remarquer qu’au Burkina Faso, la laïcité est intimement liée à la question du genre. Elle s’est imposée comme une nécessité de promotion de celle-ci, dans la mesure où il est proclamé à l’article 1 de la Constitution :
– « Tous les Burkinabè naissent libres et égaux en droits. Tous ont une égale vocation à jouir de tous les droits et de toutes les libertés garantis par la présente Constitution. Les discriminations de toutes sortes, notamment celles fondées sur la race, l’ethnie, la région, la couleur, le sexe, la langue, la religion, la caste, les opinions politiques, la fortune et la naissance, sont prohibées »
– mieux, la laïcité est constitutionnalisée à l’article 31 « Le Burkina Faso est un État démocratique, unitaire et laïc. Le Faso est la forme républicaine de l’État. ».
Pour être en phase avec l’article 1 de la constitution, il faudra justement travailler à l’élimination des disparités. C’est là qu’intervient la question du genre entendu, de façon consensuelle dans la Stratégie nationale Genre 2020-2024, comme ce qui « doit être analysé sous l’angle des inégalités et des disparités entre hommes et femmes en examinant les différentes catégories sociales dans le but d’une plus grande justice sociale et d’un développement équitable ».
Ce qui remet au goût du jour la problématique du complexe « genre et laïcité », c’est l’implication du fait religieux dans la crise que vit notre pays, avec la manipulation de la religion islamique par des criminels d’un autre temps, sous le voile d’un djihadisme dévoyé.
V. L’urgence d’un débat national s’impose pour éviter de reproduire les erreurs des autres et produire un modèle conforme à notre volonté !
Face à ce péril extrémisme, les risques de dégradation de la cohésion sociale sont majeurs. Dans certaines régions, l’on a assisté déjà à des affrontements qui ont créé de profondes divisions entre citoyens d’un même pays. On peut citer des exemples à profusion. Tout récemment, l’ensemble de la communauté musulmane, unie derrière ses responsables a appelé à l’arrêt des discours qui divise au profit de discours d’apaisement. Ceci est une très bonne chose, parce qu’au stade actuel, il faut veiller à éviter à ce que de nouveaux problèmes ne viennent fragiliser le tissu social.
À mon avis, au Burkina Faso, l’une des alternatives est d’intégrer ses questions qui divisent (genre, laïcité, culte) et par extension chefferie coutumière et religieuse dans un débat public. Faut-il créer un ministère et un service public exclusivement dédiés à cela ? C’est un débat national sincère et franc qui pourra résoudre définitivement la question et l’empêcher de revenir régulièrement comme un serpent de mer.
Ousmane DJIGUEMDE
(oustehit@hotmail.fr)