Burkina : « La pauvreté n’a jamais justifié le comportement déviant des gens. Il y a des pauvres qui sont dignes ! » (expert Sanoussa Gansonré)

Artisan d’une initiative portée sur les vertus morales et l’éducation familiale, et dans une démarche dont lui seul a l’art, Sanoussa Gansonré est, à cet effet, sollicité par des organisations et des particuliers pour intervenir au profit de populations de certaines localités ou de groupes de personnes. C’est d’ailleurs en transit vers une commune de l’intérieur du pays, que cet expert et consultant en organisation de réseaux associatifs et en police de proximité a bien voulu, en cette journée de samedi, 21 septembre 2024, répondre à des questions sur la situation nationale, notamment la veille citoyenne, la perte des vertus morales et de façon générale, l’éducation. Interview !
Lefaso.net : Expert et consultant en organisation de réseaux associatifs et en police de proximité, vous êtes incontestablement un averti des initiatives de sécurité communautaire. Alors, comment appréciez-vous l’avènement des mouvements de « veille citoyenne », politique à l’origine, mais qui tendent, de plus en plus, à jouer un rôle de ‘’police de proximité ‘’ ?
Sanoussa Gansonré : L’appréciation que j’ai, d’entrée de jeu, c’est que c’est une dynamique nouvelle qui est la bienvenue ; parce que c’est venu combler un vide. Et comme il y a toute une dynamique générale, c’est un élément de force. Mais en même temps, c’est un facteur qui peut amoindrir cette force-là, s’il n’y a pas un certain nombre de mesures pour véritablement encadrer la dynamique. Naturellement, les gens se sont lancés par patriotisme dans ce mouvement de veille citoyenne, pour pouvoir apporter leur contribution à l’épanouissement du pays, à l’indépendance totale, à la sécurisation.
C’est une chose qu’il faut, dans ce sens, saluer. Mais, il faut travailler à l’organiser davantage, faire en sorte que cet engagement soit un engagement conscient, un engagement raisonné ; parce que, lorsque les gens se retrouvent, ce qui est important dans cela, c’est qu’on sache où on veut aller, comment on va y aller et de façon organisée, pour éviter justement de faillir.
Quand vous prenez l’exemple récent de la police de proximité, par manque de formation, d’encadrement, les structures mises en place n’ont pas été assez opérationnelles. Avec la veille citoyenne actuellement, nous pensons que c’est une opportunité, mais la condition majeure, c’est véritablement la mise en place d’un plan de renforcement organisationnel. Il faut apporter beaucoup de formations à cette dynamique de façon générale, lui apporter des outils et un savoir-faire pour qu’elle puisse constituer un levier important pour accompagner le développement du pays tout en évitant les stigmatisations et les facteurs qui ont été à l’origine de la défaillance de dynamiques similaires dans l’histoire de notre pays.
Donc, il faut un accompagnement pour une organisation dans toutes les régions ; parce que personne ne peut bien s’engager sans avoir un minimum de connaissances des raisons qui la poussent à s’engager et sans savoir également ce qu’elle à perdre dans cet engagement, qu’est-ce qu’elle a à gagner, pour éviter qu’on retombe dans les mêmes travers. Il y a toute une histoire sur laquelle on peut s’inspirer, les CDR (Comités de défense de la révolution). Au début, tout était bien et à un moment donné, c’était le décor. Donc, pour éviter de retomber dans les mêmes travers, il faut qu’il y ait un véritable travail, un travail de moralisation, de sorte que nous puissions tous être dans la même dynamique pour sauver notre pays.
Vous avez soulevé un aspect bien partagé au sein des populations, à savoir que de nombreux citoyens émettent des réticences par rapport à d’éventuelles dérives. Qui doit donc prendre le devant pour la moralisation de masse et comment cela peut-elle être une réalité ?
Nous avons suivi récemment qu’il y a eu une rencontre entre les organisations de veille citoyenne avec le ministre de la jeunesse, où il a été expliqué que la naissance de ces organisations est connue, sinon suscitée par les autorités, du moins en ce qui concerne la mise en place de la coordination. Donc, il revient à ces autorités qui accompagnent cette dynamique-là, de prendre l’initiative aussi de les organiser par le renforcement de leurs capacités. Si l’Etat s’investit vraiment avec la manière, je pense que ça peut véritablement nous permettre d’éviter des situations non désirées qu’on a connues.
Ce sont les autorités qui doivent justement se positionner comme les porteurs de cette action de renforcement des capacités. J’invite donc ces autorités à chercher tout ce qu’il y a comme possibilités, pour travailler rapidement à ce que les comportements-là changent aussi au sein de ces structures ; parce que lorsque vous suivez l’actualité, notamment à travers les réseaux sociaux, il y a des propos qui ne sont pas de nature à fédérer les énergies. Il y a, à la limite, des insultes, des menaces, etc. Mais ce sont des comportements qui sont liés à l’ignorance, il faut veiller à ce que ça s’arrête, pour qu’il y ait une dynamique qui s’enclenche.
A mon avis, il ne faut pas qu’il y ait des disparités de vues au sein des structures de veille, il faut trouver un espace pour pouvoir fédérer les activités avec une indépendance relative au niveau de chaque groupe de veille citoyenne. J’invite donc l’Etat et les responsables de ces associations, à véritablement se donner la main pour arrêter les discours haineux qui sont en train d’être répandus à travers les réseaux sociaux.
C’est d’ailleurs un aspect qui a été abordé lors d’une de nos conférences, en février dernier à Ouagadougou, avec justement environ 200 membres des organisations de veille citoyenne, sous la houlette de M. Alouna Traoré, personnage public bien connu (Alouna Traoré, le seul survivant du coup d’Etat du 15 octobre 1987 qui a coûté la vie à Thomas Sankara et à douze de ses compagnons : ndlr). Je joins donc ma voix à celle de la presse, pour inviter tous ceux qui peuvent contribuer à ce que la tendance soit inversée, à agir, à faire le plus rapidement possible, pour éviter qu’une situation se crée et qu’on court après ; comme on a l’habitude de le dire, “le médecin après la mort”.
On retient qu’il y a une nécessité d’arrêter les messages de haine. Mais au-delà, quelles sont les valeurs que doivent s’approprier ces organisations de veille citoyenne pour ensuite être promues ?
Je pense que lorsqu’on parle de valeurs (qui sont à la base de beaucoup d’actions), on ne peut pas ne pas parler d’éducation. La perte des valeurs est connue par tous les acteurs. Ce n’est pas seulement en Afrique, même les pays européens, asiatiques en souffrent. C’est la perte des valeurs qui est à la base des différents maux des sociétés.
Comme le dit si bien Roger Bosc, un théologien du 18e siècle, « La paix est menacée quand l’ordre des valeurs est bouleversé ». Lorsqu’on revient au niveau du Burkina, les valeurs qu’il faut véritablement travailler à promouvoir sont par exemples la tolérance, l’humilité, l’honnêteté, le pardon, la compassion. Si on arrive à travailler pour que les gens puissent s’approprier ces grandes valeurs, et qu’ils se comportent exactement selon les enseignements de ces valeurs, on va arrêter tout ce qu’il y a comme débats inutiles, comme haine vis-à-vis de l’autre et chacun va assister l’autre par compassion parce que nous sommes tous filles et fils de ce pays-là, nous voulons tous le bonheur de ce pays. Si à un certain moment, certains ont des propos qu’on peut qualifier d’apatridie, certainement c’est par ignorance. Mais avec la compassion, la tolérance, le pardon, nous allons amener chacun à avoir un langage qui rassemble. Et tout le monde doit faire la promotion de ces valeurs-là.
L’éducation, elle ne s’adresse pas seulement aux enfants, c’est y compris les adultes, parce que si on n’a pas pu avoir cette base au niveau de la famille, il faut qu’on trouve des mécanismes au niveau de la société à travers par exemples des conférences, des formations, pour qu’on puisse revisiter ces valeurs et renouer avec elles. Les gens parlent de ces valeurs, mais en réalité, personne ne peut vous détailler ces valeurs-là dans leur contenu. Il faut pourtant en arriver là. Lorsqu’on prend une valeur, qu’on en balise suffisamment et qu’on puisse apporter des récits édifiants dans ce sens-là. Qu’on puisse mettre en évidence les conséquences liées à telle ou telle perte de valeur, pour que les gens puissent avoir le cœur touché.
Tant qu’on ne va pas toucher les cœurs et qu’on va rester dans les théories, en disant chaque fois que ceci ou cela est lié à des pertes de valeurs, sans dire comment se les approprier, ça va être peine perdue. Il faut montrer comment incarner ces valeurs ; comment on les acquiert, et travailler à ce que l’enfant qui naît puisse grandir avec des pensées équilibrées. Lorsqu’on prend ceux qui font le mal, si vous allez au fond, vous vous rendrez compte que c’est parce qu’au niveau familial, ils n’ont pas été bercés par ces valeurs-là. Si le papa n’a pas connu la tolérance, le pardon, l’amour, le partage, comment est-ce qu’il va pouvoir transmettre cela à son enfant ?
Donc, en même temps qu’on doit travailler pour que les parents soient dépositaires de ces valeurs, on doit faire en sorte que les adultes qui sont également acteurs de la société puissent les connaître, se les approprier, pour qu’on soit à mesure de sortir de ces problèmes-là. L’éducation, c’est la base de tout. Lorsqu’on parle de cette éducation-là, c’est pour tout le monde. Lorsqu’on parle actuellement d’éducation, ne voyons pas seulement l’enfant ; c’est tout le monde qui doit être éduqué (même si on parle souvent de moralisation pour les personnes âgées, mais ça reste une question d’éducation).
Quand vous voyez les spécialistes donner la définition de l’éducation, ça concerne tout le monde. L’éducation, c’est conduire hors. Hors de ce qui est nuisible, faire en sorte que dans son comportement de tous les jours, l’individu puisse éviter ce qui est nuisible et pour lui et pour la société et son environnement. Faire en sorte à ressentir la souffrance de l’autre, qu’on souffre avec la personne, qu’on puisse apporter des réponses à la souffrance d’autrui. Tant qu’on ne se dit pas au Burkina qu’on va laisser maintenant les discours et aller à la tâche, ça va être difficile. C’est dommage que tout le monde en parle, mais la réponse est où, quelle est la façon pratique de sortir de la situation ? On a l’impression qu’on a laissé l’homme et les solutions à ses problèmes en bas et on est les cherche en haut, alors qu’ils sont en bas, très près et à portée de main.

On vous a également suivi sur le terrain, auprès de populations dans certaines localités, avec un programme intitulé “conférences-ateliers sur l’éducation vertueuse” comme moyen efficace et durable de prévention de l’insécurité. Où en êtes-vous avec cette initiative qui a fait ses preuves sur le terrain ?
Effectivement, les conférences-ateliers mettent l’accent sur des valeurs, dont celles que nous avons évoquées plus haut. Nous avons estimé qu’il faut aller à la tâche, il faut arrêter de parler. Il faut agir. Il y a péril en la demeure, si on n’agit pas. On n’a pas de valeurs vertueuses suffisamment incarnées, on en parle ; chacun pense que sa façon de voir les choses-là, c’est cela qu’il faut. Sa façon de concevoir la politique, c’est cela qu’il faut. Sa façon de faire les affaires, c’est cela qu’il faut. Non, il y a quand même un minimum de valeurs universelles autour desquelles on doit tous se retrouver.
Les détails, on ne peut pas en finir, mais l’essentiel qui permet de sauver des vies, sauvegarder des biens communs, qui permet d’avoir tout le monde sous le drapeau, derrière nos autorités pour qu’on puisse sortir le pays des difficultés, on doit être unanime autour de cela. Il faut travailler, mettre les moyens pour qu’on puisse justement partager ces valeurs-là, les intégrer dans notre quotidien. Ce n’est pas une question de choix. C’est une urgence et une exigence de tous les temps.
Nos conférences ateliers portent sur : “place et rôle de l’éducation et de la société dans la prévention des comportements déviants chez les jeunes, la promotion de la cohésion sociale et de la sécurité” dans le cadre de la participation communautaire à la gestion de la sécurité par la prévention. Du reste, pour les résultats engrangés par la grâce de Dieu, on peut en lister à souhait et dans plusieurs domaines.
C’est dire que les autorités peuvent s’en inspirer et prendre le devant pour leur donner une envergure plus grande !
C’est vrai qu’il y a des acteurs de la société civile, comme la nôtre par exemple, mais est-ce qu’on a les moyens de pouvoir former cette masse ? Donc, il faut que les autorités apportent effectivement leur contribution. Que chacun, en fonction de son domaine de compétence, puisse arriver à cela. Il faut qu’il y ait un grand mouvement, une grande action, une offensive, à l’image de l’offensive agro-sylvo-pastorale, pour une moralisation sociale de masse. S’il n’y a pas cette offensive-là, on va beau produire, on va beau avoir un certain confort, si ce confort n’est pas au profit d’une personne éduquée, à quoi cela peut servir ? Ça peut même être utilisé pour nuire aux autres, et cela ne sert pas.
Le confort matériel doit être assis sur le confort moral. Il faut construire l’humain, il faut qu’on ait des Burkinabè qui soient intègres, travailleurs, honnêtes, compatissants. C’est un grand chantier et un défi majeur. A travers ces valeurs, on va régler plusieurs maux de la société, dont ces questions terroristes, d’insécurité et de comportements déviants. Je pense qu’il n’y a pas d’autres alternatives, il faut qu’il y ait une action d’envergure, pour moraliser l’ensemble des citoyens ; qu’ils soient jeunes, âgés, hommes politiques, hommes d’affaires. Tout le monde a besoin d’être à l’école des valeurs morales.
Pour faire un peu digression, on dira que aussi religieux que sont les Burkinabè, comment expliquer le hiatus entre les comportements lorsqu’ils se retrouvent dans les églises, mosquées, temples ou devant les autels de rites, et les attitudes au quotidien dans la société, quand on sait que les religions ont aussi pour implication de rendre l’homme vertueux ?
Nous aussi, nous nous posons la même question. Mais le semblant de réponse que nous avons, c’est que ces mêmes personnes qui se retrouvent dans les milieux religieux, même si elles parlent de ces valeurs à l’église, à la mosquée, dans les temples, elles ont des comportements en déphasage avec les valeurs qu’elles évoquent. Cela veut dire que ces personnes prônent des choses qu’elles ne vivent pas, en réalité. Ces personnes-là ne sont pas forcement hypocrites, mais ignorantes de ces valeurs. Elles ne sont pas porteuses de ces valeurs. Une chose est de parler de la valeur, une autre est de porter la valeur. Et ce sont complètement des choses différentes.
Au cours de nos conférences-ateliers, nous avons connu cela, nous avons découvert des exemples palpables. Cela amène à prendre véritablement du temps pour que les gens s’approprient ces valeurs-là. Comment faire pour y parvenir ? Par exemple, tout le monde est unanime qu’il faut pardonner. Mais, quand on va s’asseoir pour approfondir cette valeur, les gens vont se rendre compte qu’ils ne pardonnent pas. Ils vont se rendre compte que le contenu qu’ils donnaient à la valeur pardon n’est pas le contenu exact. La valeur compassion, la valeur tolérance, il faut qu’il y ait un travail sérieux là-dessus. En parler simplement n’est pas la solution.
C’est comme l’a dit le Pr Joseph Ki-Zerbo, que le verbe a besoin d’un complément d’action directe, sinon le verbe seul ne suffit pas. Et Sankara a dit que la maladie ne se guérit pas en prononçant simplement le nom du médicament, mais en prenant le médicament. Donc, il faut qu’on travaille véritablement ces valeurs-là pour qu’on puisse sortir réellement de la situation. Sinon, c’est étonnant de voir des gens, qui sont à l’église, à la mosquée, devant les autels de rites, revenir tenir un certain nombre de propos en déphasage.
C’est à se demander qu’est-ce qui se passe. Pour nous, c’est l’ignorance et la non appropriation réelle de ces valeurs. Personne ne va s’approprier la valeur tolérance et avoir un discours de haine. Sinon, elle ne connaît pas la tolérance. Ou bien elle connaît la tolérance, mais ne sait pas comment la mettre en application. Alors, ça s’enseigne. On forme. Et voilà pourquoi on dit que l’éducation même s’enseigne. Quand on est père ou mère, d’office, on doit être un éducateur ou une éducatrice. Mais, ce n’est pas systématique. Il faut apprendre à éduquer. Il faut apprendre à vivre les valeurs qu’on veut transmettre à l’enfant. Malheureusement, nous n’avons pas de manières de formation et de communication de ces valeurs-là.
Donc, il faut aller par-là, et tout doucement, pour arriver à toucher les cœurs des Burkinabè, avec la méthode. C’est l’explication que nous pouvons donner à ces comportements des gens. Et ces comportements, c’est à tous les niveaux. Vous verrez des intellectuels qui vont développer des thèmes sur ces valeurs, mais quand vous les voyez dans une situation, vous vous dites que ce n’est pas vrai, ce ne sont pas eux. C’est simplement parce que ces gens ne se les sont pas appropriées. Heureusement que tous les religieux et autres personnes de référence ne sont pas tous dans l’irrespect des valeurs dont on parle.
Revenons à vos conférences-ateliers, dont les demandes à les multiplier semblent se suggérer sur le terrain. Comment vous les déroulez, concrètement ?
Nous avons effectivement pu, par la grâce de Dieu, dérouler dans certaines localités, ce programme de conférences-ateliers sur la place et le rôle de l’éducation de la société dans la prévention des comportements déviants des jeunes et même des adultes. Nous sommes véritablement parvenus à toucher le cœur des gens. Peut-être que certains vont me demander quel est notre secret. Nous n’avons pas de secret.
Si non, dans ces conférences-ateliers, nous partons sur des faits réels. Nous racontons des récits réels et nous approfondissons la thématique. Et nous avons une façon de dérouler avec une projection et des propos bien choisis qui arrivent à toucher le cœur des gens. Nous sommes dans cette dynamique et notre ambition, c’est d’aller vraiment à l’échelle. Lorsque vous parlez justement de ces cas de réussite, je me rappelle une des communes du Centre-est, où on nous a fait savoir qu’il y avait deux leaders communautaires qui étaient en disgrâce depuis des années.
Dans les recherches de réconciliation, des délégations sont venues de Ouagadougou, Tenkodogo, pour essayer de les rapprocher, mais en vain. Heureusement, les deux se sont retrouvés à la conférence-atelier ensemble. Je vous dis que les deux se sont réconciliés. Parce qu’on a pu développer le contenu de la valeur pardon, de sorte qu’ils ont pu comprendre que sans le pardon, eux-mêmes ne peuvent pas vivre. Sans le pardon, c’est l’enfer, ce n’est pas la vie. Donc, nous arrivons à mettre en évidence, l’impact de l’absence de chaque valeur sur la vie de chaque citoyen. C’est cela qui peut toucher le cœur de chacun qui se sent véritablement responsable dans les situations. Lorsque vous refusez de pardonner, vous êtes rempli de haine ; quand vous voyez la personne que vous refusez de pardonner, vous souffrez.
Peut-être que la personne elle-même ne sait même pas que vous avez une haine contre elle et elle ne vit pas votre souffrance. Ce sont ces choses que nous faisons comprendre aux gens et des exemples de personnes qui ont pardonné et qui ont recouvré le goût de vivre, qui ont renoué avec le bonheur dans la famille, le bonheur dans la société dans laquelle ces gens vivent. Sinon, c’est bien que chacun clame qu’il faut pardonner, mais comment pardonne-t-on ? Si on ne pardonne pas, la conséquence c’est quoi ? Quelles sont les conséquences sur la vie des gens qui ne veulent pas pardonner ? C’est par ces démarches et détails que nous arrivons à amener les gens à adhérer à certaines valeurs. On parle de tolérance, c’est quoi, en réalité ?
Jusqu’où dit-on d’aller avec la tolérance ? Qu’est-ce que l’absence de la tolérance peut-elle engendrer chez l’homme ? Quand vous prenez le cas du Burkina, les gens ne se tolèrent pas trop ; on tolère quand ça ne m’est pas arrivé. Mais on ne tolère pas quand ça touche mon intérêt. Alors que non, la tolérance prend en compte tout cela, c’est un domaine vaste. Tolérer ce qui te semble impossible. Pour la valeur tolérance par exemple, Dieu a créé les gens avec des différences ; des gens riches et des gens pauvres, des gens grands, des gens petits, différents continents...
Dieu sait pourquoi il les a créés. Pourquoi Dieu n’a pas crée les gens d’un seul et même niveau de richesse, d’intelligence, de taille, de force, etc.? Alors qu’il pouvait le faire ! La tolérance est d’essence divine. Nous également, quand nous allons voir la différence dans notre société, dans notre famille, nous devons tolérer. C’est-à-dire, accepter que l’autre soi différent de moi. L’autre aussi doit accepter que toi aussi tu sois différent. Il ne faut pas effacer la particularité de l’autre. L’autre a le droit de vivre, le droit d’exister. Et il faut faire en sorte que chacun puisse avoir un petit espace d’existence. C’est cela la valeur de la tolérance. Et si on ne tolère pas, c’est dire qu’on va toujours vivre dans la guerre, dans la haine.
Donc, nous essayons de mettre l’accent sur un certain nombre de détails de ces valeurs et voilà pourquoi, nous arrivons à impacter les cœurs comme vous l’avez remarqué au cours de nos activités auxquelles vous avez assisté. Des jeunes sont venus nous dire dans des localités, que n’eût été leur participation à ces conférences, ils se seraient engagés dans des groupes criminels, parce qu’on leur a fait miroiter un certain nombre de choses, mais qu’ils ont compris maintenant que l’humain, c’est celui qui préserve la vie d’autrui. Depuis qu’ils ont compris cela, ils ne sont plus prêts à nuire à quelqu’un d’autre. Mais, il faut du temps pour pouvoir sortir ces différents contenus-là, pour que les gens puissent s’en approprier et être des références dans la société ; d’où le principe de conférences-ateliers de trois jours.
Votre programme fait ressortir la place de la famille dans le bien-être de la société, vous y indiquez également que l’éducation s’enseigne. Pouvez-vous revenir globalement sur l’éducation, qui semble concerner tout le monde, sans exception ?
Comme vous le dites, la famille est le premier espace social normalisé. C’est là-bas où il y a les normes. C’est dire que tout ce qui sort, tout ce que l’enfant y voit comme comportements du père ou de la mère, c’est cela la norme. C’est cela qui est bien, ce que lui doit faire. Dès lors, il faut que le papa, la maman, sachent quelle est la meilleure norme pour l’enfant. Comment je dois me comporter pour que l’enfant puisse prendre cette norme-là, qu’il va pouvoir amener dehors sur l’espace public. Lorsque par exemple, vous voyez un papa qui a l’habitude, quand il rentre à la maison, de s’adonner à la lecture, la maman également, l’enfant va considérer la lecture comme la norme ; il va s’initier à la lecture, et c’est un début de connaissances.
Lorsque vous voyez dans une famille, tous les jours c’est la musique, la danse, pour l’enfant, c’est aussi cela la norme. Pareil pour le papa qui fume à tout moment, au salon, devant l’enfant, ça devient une norme pour ce dernier. Donc, il faut que les parents arrivent à savoir quel type d’enfant ils doivent fabriquer pour la société. Et à partir de là, ils (les parents) doivent mettre en place un programme d’éducation. Et dans le programme d’éducation, ce que nous donnons aux gens, c’est un certain nombre de recettes : qu’est-ce qu’il faut dire à l’enfant, qu’est-ce qu’il ne faut pas dire à l’enfant, quelles attitudes avoir quand l’enfant est-là, quelles attitudes éviter quand l’enfant est-là, quel type de communication faut-il avoir devant les enfants, etc. Un simple propos peut bouleverser la vie d’un enfant.

Même dans la société, ça peut arriver à une grande personne. Dans la société, vous allez voir quelqu’un qui a un comportement donné, il suffit d’un propos qui rassure, qui met en confiance pour que la personne change de comportement. Vous voyez par exemple quelqu’un qui a un comportement déviant dans la société (la délinquance, l’abus de l’alcool, les stupéfiants...), et quelqu’un qui a un certain nombre de rudiments l’appelle et lui parle avec des ingrédients bien choisis, en une seule phrase, ça peut bouleverser positivement la vie de ce dernier.
Il dira que c’est la première fois qu’il entend ce genre de propos. Même dans sa propre famille, il n’a jamais entendu des propos pareils. Un simple propos peut sortir quelqu’un d’une déviance, tout comme il peut faire basculer dans la déviance. Il faut se réserver de proférer des propos qui affectent négativement, tant dans la famille que dans la société. L’éducation doit être basée sur ce qui est positif. Si l’enfant a un comportement négatif, ne revenez pas à chaque fois sur ça ; il faut plutôt lui présenter des choses positives. Même les simples noms qu’on donne aux enfants ont une certaine influence sur eux. Donc, il faut que les parents arrivent à avoir des comportements sociaux (comme aller rendre visite à des parents, apporter assistance aux personnes vulnérables, être compatissants ...).
Si les parents posent de tels actes devant les enfants, ça devient pour eux des normes. Mais si l’enfant voit que les parents sont en train de se chamailler tous les jours, il va s’y habituer et ça va être difficile pour un enfant qui a été élevé dans un tel milieu, de ne pas reporter cela dans sa propre famille, dans sa propre vie de couple. Il faut savoir donc développer et promouvoir ces valeurs-là au sein de la famille pour que l’enfant puisse se développer avec des pensées équilibrées (c’est-à-dire des pensées basées sur des valeurs vertueuses). Tout ce qui n’est pas partagé par la société n’est pas de la vertu. Prenez le cas des habillements indécents par exemple, la réalité est que même au niveau de l’Occident, il y a des ONG qui s’insurgent contre l’habillement indécent des Européens.
C’est parce qu’elles n’arrivent pas à impacter la société européenne, sinon elles voient que ce sont des comportements déviants. Il faut de la pudeur dans tout. Le fait de s’habiller devant les enfants de façon indécente, qu’est-ce que cela apporte comme honneur ? Vous avez des parents qui s’habillent mal à la maison, dans la rue, sans pudeur. Voulez-vous que les enfants grandissent avec quelle valeur de la femme ou de l’homme dans la société ? Un enfant qui grandit dans une famille où les parents ont un habillement décent aura forcement dans la société, un comportement décent vis-à-vis de la femme ou de l’homme. Donc, tout ce qui est déviance n’apporte que de la déviance, l’insécurité, l’instabilité de la société, la division.
Quand la pudeur s’invite dans les comportements, vous verrez que la société va être impactée sur le plan pudeur. Donc, ce sont des conseils et ingrédients que nous donnons aux gens. Les relations au sein des couples, il faut les soigner. Quand l’enfant trouve une bonne ambiance dans la famille, son cœur ne sera rempli que de ça. Par contre, si dans la famille, les seules valeurs ne sont que l’argent, les plaisirs, l’enfant ne connaîtra que ça et il se donnera les moyens dans la société de les atteindre, même s’il faut tuer pour y arriver. Si vous montrez que c’est l’argent la vie, les plaisirs, si l’enfant grandit et qu’il ne les a pas, c’est bonjour la délinquance.
Dehors, la société doit également jouer son rôle. Il ne faut pas applaudir un enfant qui pose un acte que vous n’allez pas accepter chez votre enfant. Au lieu de l’applaudir sur des ratés pour pouvoir rire ou le menacer, montrez-lui le chemin, guidez-le, donnez-lui des conseils.
Tout ce qui est vertu nous prémunit de tous les maux de la société. Je profite dire ici qu’au début, depuis la nuit des temps, l’éducation est conçue pour assurer deux fondamentaux : la justice et la sécurité. L’éducation vise à assurer la sécurité et la justice à la communauté. Imaginez une société où les gens sont vertueux, la justice travaillera moins et l’insécurité n’existera pas. Si on n’a pas ces deux dans une société, c’est que c’est l’éducation qui n’a pas su jouer son rôle, de sorte que les uns empiètent sur les droits des autres ; les uns vont vouloir avoir s’enrichir au détriment des autres.
Ce sont des questions d’éducation. Comme l’a dit un auteur chinois, « Là où il y a l’éducation, il n’y a pas de distinction de classes ». L’éducation (la famille) est la réponse aux différents maux de la société. On n’a pas besoin de beaucoup de richesses ; si on a un peu, grâce aux valeurs de compassion et de solidarité, toute la société va vivre à l’aise. Si on met l’accent sur la production de richesses, sans mettre l’accent sur la production de morale, de vertus, on serait passé à côté.
Certains soulèvent la pression sociale pour expliquer des tares de la société. Pensez-vous vraiment que les vertus peuvent résister aux maux ?
Tout à fait ! La pauvreté n’a jamais justifié le comportement déviant des gens. De toute façon, les sociétés ont toujours connu la pauvreté, et la pauvreté va toujours demeurer. Les gens utilisent ça comme alibi pour justifier certains comportements, non ! Il y a des pauvres qui sont dignes ! Combien de Burkinabè sont pauvres, mais restent dignes, et vivent même plus dignement que certains avec leurs richesses. Vous avez des personnes handicapées physiques, mais qui se battent, mènent des activités pour vivre. Mais comment quelqu’un qui jouit de toute sa forme physique, va accuser la pauvreté pour aller faire des braquages, aller dans un groupe criminel ?
Ça ne tient pas. Lorsqu’un être humain est moralement équilibré, quelle que soit la raison, quel que soit ce qui va lui arriver, la personne ne va pas dévier. Elle ne peut pas être convaincue par un groupe de criminels de rejoindre leurs rangs. Combattre le terrorisme par les armes, c’est parce qu’on n’a pas le choix à un moment donné, sinon les armes n’ont jamais été une solution durable aux différents problèmes. Même pour l’économie, ce sont les valeurs qui doivent en être le socle, à partir duquel on va réaliser tout ce qu’on veut. Si la société est vertueuse, on a besoin d’armes, juste pour assurer la sécurité avec quelques déviances.
La réponse, c’est dans l’éducation, les familles. Malheureusement, toutes les familles n’ont pas ces valeurs comme références. De grâce, il faut quitter les discours sur les valeurs, c’est connu, pour passer à la pratique. Et là, qu’est-ce qu’on fait ? Nos conférences-ateliers ont justement l’avantage de donner des outils pratiques, les recettes. Comme ce monsieur qui nous a dit, au troisième jour d’une conférence-atelier, que quand il est rentré le deuxième jour de la conférence, ses enfants et sa femme l’ont regardé et lui ont dit qu’il a changé.
Qu’ils ont remarqué depuis hier qu’il il est devenu une autre personne. C’est dire que cette personne a eu le cœur qui a été touché et ça a impacté son comportement. Tout l’environnement s’en trouve impacté. A une des conférences-ateliers également au Centre professionnel de référence de Ziniaré, une conférence d’une seule journée, de retour en cours de route, je reçois un appel. C’est le coup de fil d’un parent dont l’enfant a participé à l’activité. Il me dit : « Monsieur, merci ! Je ne vous connais pas, mais c’est mon fils qui a participé à votre conférence et au retour à la maison, l’attitude qu’il a eue quand il est arrivé, j’ai dit merci au Seigneur ».
Il dit que l’enfant n’a jamais eu une telle attitude, depuis qu’il est né, quand bien même il l’avait toujours souhaité. Donc, le défi, c’est de pouvoir toucher le cœur de la personne, au-delà du discours. Une fois le cœur de l’individu touché, ça reste. Et c’est ce que nous visons dans nos conférences-ateliers. Pour y parvenir, il faut avoir les expressions qu’il faut, savoir illustrer par des cas concrets relevant du milieu de la personne. C’est cela qui nous manque. En tout cas, nous sommes convaincus que l’éducation basée sur les vertus, il n’y a rien de tel. D’ailleurs, ce qui est réconfortant, quand vous parcourez le discours du Premier ministre Kyelem De Tambèla, le premier prononcé à l’Assemblée législative de transition, dans le volet éducation il a été très clair ; il a dit qu’il faut laisser l’instruction et puis éduquer.
C’est cela, il faut faire en sorte que les enfants soient porteur de valeurs vertueuses. Pour le moment, ce sont des instructions ; parce qu’au début, on a voulu justement coupler l’éducation et l’instruction. On s’est rendu compte qu’au fil du temps, c’est le volet instruction qui a pris le pas sur l’éducation. Aussi, Il faut avoir un contenu bien élaboré de cette éducation civique qu’on veut faire revenir dans les écoles. Il faut travailler le contenu, avec des objectifs et une finalité clairs.
On peut voir dans l’environnement ce qui existe comme cas d’école. Ce sont les cas d’école qu’on doit prendre pour véritablement diffuser partout, selon notre analyse des choses. A Tenkodogo par exemple, les enseignants qui ont participé à notre conférence-atelier ont pris une partie de notre communication pour en faire des outils d’encadrement de leurs enfants. Et les résultats sont-là, les enseignants témoignent. Ils ont su les valoriser pour leurs propres enfants que pour les élèves.

Effectivement, le gouvernement annonce l’instauration de l’éducation civique. D’abord, comment avez-vous accueilli la décision et quelles doivent être les modalités pour une éducation civique réelle ?
J’ai accueilli l’annonce, pas avec euphorie, parce que je savais que c’était un passage obligé. Tant mieux que le gouvernement le fasse maintenant ! En termes de contenu, il faut partir de l’existant, des cas de réussite. Il faut éviter de théoriser. Il faut faire en sorte que les acteurs qui vont la porter, c’est-à-dire les enseignants, puissent être, eux-mêmes, les dépositaires de ces valeurs-là. Tant que ce ne sera pas le cas, ils ne pourront pas les transmettre aux enfants. Tant qu’ils ne vont pas avoir la pédagogie de transfert de ces valeurs, ça sera aussi difficile.
Donc, on a deux éléments différents : que l’enseignant lui-même soit dépositaire, qu’il incarne ces valeurs-là à l’école, au vu et au su de l’enfant et qu’il puisse ensuite savoir comment transmettre ces valeurs-là. Peut-être que ce ne sera pas de la même façon qu’il donne ses cours en instruction. Il faut donc réunir ces deux conditions-là, et pour cela, il faut un travail, un programme. Il faut commencer maintenant en espérant qu’à moyen et long termes, on va avoir des Burkinabè d’une certaine pensée.
Ça me rappelle une conférence qu’on a animée dans le cadre de la police de proximité à Gaoua, en 2011, et destinée au public jeune. Quand on a fini la communication, il y a eu un étudiant qui a pris la parole et s’est adressé à moi, en disant que ce que j’ai fait, c’est bien, mais que pour eux-là, c’est déjà gâté. Il dit qu’il faut commencer par la petite enfance. Ses propos m’ont véritablement touché. C’est pour dire que pour avoir la majeure partie des Burkinabè en phase avec les valeurs dont on a besoin-là, il faut un travail durable, un socle solide. Il faut donc se demander quel type de Burkinabè on veut demain et ensuite y mettre le contenu.
Nous sommes dans un contexte d’insécurité, il faut tenir compte de cela. Il y a eu dans l’histoire des nations, des pays qui ont décidé d’éduquer les enfants en sorte qu’ils soient de véritables guerriers. Leur éducation est basée sur les valeurs y relatives, parce qu’ils étaient dans un contexte de guerre. Ils ont alors mis en place un programme à cet effet. Certains on mis en avant les valeurs de compassion. Ou bien on cumule, de sorte à avoir des patriotes vertueux. Le patriote, c’est qui ?
Quelles sont ses vertus ? En ce moment, on prend le temps pour concevoir des outils, avec des cas pratiques de réussite aux niveaux des acteurs de la société civile, des religieux, des traditionnels, etc. Tant qu’on va théoriser sans se baser sur les réussites et les échecs qui sont-là, ça va être difficile. Pour avoir un être humain (une personne qui incarne les valeurs vertueuses), il faut des actions d’envergure et des moyens qu’il faut pour y parvenir. C’est cela le fondamental ; les aspects économiques et autres vont suivre. Il y a même un savant qui l’a dit, qu’un être heureux, c’est un être éduqué. Tant que tu n’es pas éduqué, tu ne peux pas prétendre être heureux, parce que le bonheur appartient à celui qui est éduqué.
Si tu penses que tu es heureux et que tu n’es pas éduqué, sache que tu n’es pas heureux. Celui qui n’est pas éduqué sent simplement des moments de plaisir. Le véritable bonheur, c’est uniquement pour celui qui est éduqué. L’éducation s’apprend, ça s’enseigne ; donc, le bonheur s’enseigne. On souhaite que les Burkinabè soient épanouis, qu’ils soient heureux, eh bien, ça s’apprend, ça s’enseigne au niveau de la famille. Et même là, la fondation du couple doit obéir à des règles pour avoir des enfants vertueux. Nous enseignons tout cela à travers nos conférences-ateliers.
Vous parlez de compassion, les Burkinabè, surtout des grandes villes, sont taxés d’être peu compatissants dans le contexte crucial du pays, et là où des individus qui n’ont aucun attachement avec le Burkina se montrent plus compatissants. Est-ce votre perception également ?
Tout à fait ! Et cela veut dire aussi que ces valeurs-là sont universelles. Vous avez des gens au Burkina, qui sont insensibles, par contre, quelqu’un qui est au Pérou, qui ne connaît même pas le Burkina, quand il entend la souffrance, il peut même verser des larmes. C’est la différence dans l’éducation, dans les valeurs. Vous verrez le Burkinabè, qui n’a pas été éduqué à ces valeurs va simplement verser des larmes, parce qu’il a pitié. Mais l’autre, lui, il va compatir. La compassion va au-delà de la pitié. La pitié, ça se ressent de façon verticale (quelqu’un qui est en haut, qui voit un être en dessous de lui qui souffre), alors que la compassion est horizontale (on ne se voit pas supérieur à la personne, on se met à la place de la personne pour souffrir avec elle, on sent la douleur de la personne et il te faut faire quelque chose pour que cette douleur partagée puisse prendre fin). Les valeurs, ça s’enseigne.
Nos arrières grands-parents ont utilisé beaucoup de canaux pour pouvoir les enseigner, dont les contes, les comportements, les proverbes, les noms de guerre. Nous n’avons plus cela. Il faut trouver donc d’autres formules, comme les conférences-ateliers, pour pouvoir transmettre ces valeurs aux gens, pour que ça ne reste pas du domaine de la théorie.
Êtes-vous à mesure aujourd’hui de vulgariser à grande échelle le programme des conférences-ateliers ?
Nous avons tout ce qu’il faut, les outils, la logistique. Ce dont on a besoin, c’est que des acteurs puissent accompagner pour le déploiement sur le terrain et la prise en charge des participants. Ce que nous avons déjà fait sur le terrain, ce sont des individus et des ONG (organisations non-gouvernementales) qui ont financé en fonction des budgets disponibles. Notre programme est donc tributaire de celui des autres.
Malheureusement les acteurs ne financent pas nécessairement au regard de la plus value produite ou de l’impact effectif, mais en fonction de paramètres autres, comme l’existence d’un budget sur la thématique, alors que l’unanimité se dégage autour de la problématique sécuritaire qui se présente comme prioritaire dans un pays dont la stabilité est fortement menacée. C’est parce qu’il y a la sécurité et des populations que les autres questions sont envisageables. C’est le paradoxe au Burkina.
On a l’impression que ce sont des organisations étrangères qui s’intéressent le plus à votre programme !
Il y a des Burkinabè également, personnes morales et personnes physiques, qui sont de plus en plus intéressés. Heureusement, il y a toujours des acteurs préoccupés par la déperdition des valeurs vertueuses et qui font ce qu’ils peuvent, même s’ils ne sont pas nombreux. Ce sont des fonctionnaires, des travailleurs du privé, qui se donnent les moyens de financer des conférences-ateliers.
Il est arrivé que certains cotisent pendant des mois pour prendre en charge les dépenses liées à la location de la salle, au matériel, aux pauses-cafés, tout cela pour permettre l’organisation d’une conférence atelier. Par contre, vous avez des structures qui prônent tous les jours la paix au Burkina, la cohésion sociale, mais quand vous partez les voir, elles ne perçoivent pas l’enjeu, subitement, actuellement, nous avons Compassion International qui commence à y entrer, Labo citoyenneté qui essaie d’accompagner le Conseil régional du Sahel dans ce sens, ISC qui est une ONG internationale. Des acteurs burkinabè ne s’intéressent pas véritablement, pendant que nous prônons tous la souveraineté, le patriotisme.
Ceux qui nous accompagnent à titre individuel ne sont pas des gens qui ont les moyens, ils ont simplement compris les enjeux. D’autres, tant qu’ils ne voient pas un avantage économique immédiat derrière, ils ne s’engagent pas. Il y a des sociétés d’Etat qui prônent aujourd’hui ces valeurs, que nous sommes allés voir, mais qui ont préféré financer autres choses. On ne saurait leur en vouloir. Cependant on ne peut pas vouloir de souveraineté, de cohésion sociale et ne pas mettre les moyens qu’il faut. On compte toujours sur l’extérieur pour mettre les moyens pour notre souveraineté.
C’est ça le paradoxe burkinabè, et c’est vraiment dommage. Il faut mettre les moyens pour sortir de cette situation qui perdure, on en a les moyens. Et les gens ont soif de ça, on nous demande partout sur ces conférences-ateliers. A travers justement une de vos interviews, l’association des maires francophones m’a contacté pour donner une conférence à Nouakchott, sur face à la complexité de la sécurité, quel est le rôle des maires ; parce qu’ils ont vu que ce que nous faisons est très bien. Nous sommes allés à Nouakchott, pour partager ça avec les maires maghrébins. Au Burkina, même pour avoir un rendez-vous avec un ministre pour expliquer le projet, c’est la croix et la bannière. Le ministre n’est jamais là, même son DIRCAB (directeur de cabinet). Voilà pourquoi, nous nous sommes tournés vers les acteurs individuels, des sociétés internationales et des acteurs économiques pour accompagner des conférences-ateliers.
Ça nous peine vraiment de passer une semaine sans sortir pour partager ces connaissances avec des populations. Cela montre également qu’on peut être assis sur des richesses, mais souffrir de leur manque. Au lieu d’utiliser les armes, on peut utiliser ces méthodes douces ou les associer à celles des armes. C’est cela l’avantage. Nous ne pouvons pas terminer une conférence-atelier de trois jours sans que les résultats ne nous “trouvent” là-bas. On a des témoignages de parents qui ont pu, après avoir reçu des recettes, réussir à ramener leurs enfants qui étaient dans la drogue, qui étaient dans la délinquance.
La parole, dite à un certain moment, avec une certaine manière, il n’y a pas une arme plus puissante que ça. Et avec la parole, le résultat est immédiat, ça résout beaucoup de maux. Beaucoup de gens sont en réalité ignorants. Comme l’aurait dit une personnalité de ce pays, les armes peuvent tuer les terroristes, mais pas le terrorisme ; ce qui peut tuer le terrorisme, c’est l’éducation. Le fait de dire venez et déposez les armes, ça ne suffit pas pour impacter les cœurs. Il faut toucher les cœurs à ne pas s’engager.
A vous la conclusion !
Je dis sincèrement merci à Lefaso.net, parce que votre contribution est très énorme pour la sécurité et la cohésion sociale dans ce pays. Vous êtes les porte-paroles de ceux qui peuvent contribuer à impacter. Véritablement, je tenais à vous tirer mon chapeau pour cela. Je profite également pour demander à tous les acteurs sincères, qui veulent véritablement faire la promotion des valeurs (vertueuses) comme moyens pour régler les maux de la société, de venir nous accompagner, de venir pour qu’on fasse chemin ensemble. Ceux qui ont des expériences réussies, nous sommes prêts à conjuguer les efforts, pour mettre ces réussites à l’échelle.
Nous demandons à l’Etat de s’approprier ce que nous faisons, pour pouvoir rayonner dans toutes les régions du Burkina ; parce qu’avec les résultats que nous avons sur le terrain, nous sommes convaincus que c’est l’une des grandes solutions pour inverser la tendance. Nos portes sont ouvertes à toute personne qui peut venir nous faciliter justement la mise à l’échelle de ce programme. Nous sommes prêts à aller dans toutes les régions du Burkina. Nous profitons pour dire merci à cet acteur, qui est le gouverneur de la région du Sahel, première autorité du Burkina, à avoir initié des conférences de ce type, pour impacter la jeunesse de la région, les éducateurs...de la région du Sahel. Donc, nous profitons pour lui dire merci et souhaiter que d’autres acteurs puissent emboîter le pas, pour continuer à toucher le cœur des Burkinabè.
J’aimerais terminer par ces propos du cardinal Philipe Ouédraogo : « Nul ne saurait dire : je suis la vérité et rien que la vérité. Les autres c’est l’erreur, rien que l’erreur. Il y a un peu de lumière en chacun de nous et un peu de ténèbres. Il faudrait un peu plus de lucidité, de modestie et d’humilité de la part des uns et des autres pour ne pas se prendre pour le nombril du monde ». Ces propos nous enseignent l’humilité et la tolérance.
Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net