Projet Target Malaria : Position de la Coalition de Veille sur les Activités Biotechnologiques au Burkina Faso (CVAB)
La Coalition de Veille sur les Activités Biotechnologiques au Burkina Faso (CVAB) a constaté par voie de presse que l’Académie Nationale des Sciences, des Arts et des Lettres du Burkina Faso (ANSAL-BF) a fait une déclaration sur le projet Target Malaria le 06 août 2024.
Dans cette déclaration, l’ANSAL-BF encourage la mise en œuvre du Projet Target Malaria au Burkina Faso sur la manipulation des moustiques génétiquement modifiés et lance un appel aux services et institutions au niveau national, précisément le Ministère en charge de la santé, le Ministère en charge de la recherche scientifique et le Ministère en charge de l’environnement de soutenir ledit projet.
La déclaration interpelle aussi le Centre National de Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) et l’Agence Nationale de Biosécurité (ANB), à multiplier et renforcer la communication autour des activités biotechnologiques au Burkina Faso et appelle la population à se démarquer des contre-vérités scientifiques notamment de l’amalgame entre les moustiques anophèles, vecteurs du paludisme (objet du projet Target malaria) et les moustiques Aedes, vecteurs de la dengue.
S’il faut saluer la recommandation visant à multiplier et renforcer la communication autour des activités biotechnologiques au Burkina Faso, ce qui est d’ailleurs l’un des objectifs poursuivis par la Coalition sur la mise en œuvre du projet Target Malaria, nous regrettons le soutien sans réserve apporté à un projet qui suscite de la méfiance chez des scientifiques bien imprégnés de la question.
La biotechnologie est un domaine de recherche scientifique. A ce titre, on ne peut être contre pour être contre ! La difficulté survient de l’application que l’on veut en faire. Nous voulons, par cette tribune exposer les raisons de notre opposition au projet Target malaria.
Des risques d’erreurs dans le processus de manipulation transgénique sont signalés et des mises en garde sont formulées
La 3ème phase du projet Target malaria consiste à mettre au point des moustiques à impulsion génétique par la technologie du forçage génétique qui est une nouvelle technologie de modification génétique controversée permettant de modifier de manière permanente des populations vivant à l’état sauvage et des écosystèmes.
L’état actuel des connaissances sur les techniques d’édition du génome et le potentiel de stratégie de contrôle vectoriel visant au remplacement ou la suppression des populations de moustiques confirme des risques d’erreurs importantes.
En effet, pour toute souche dont la dissémination est envisagée, y compris pour les études à petite échelle, il doit y avoir une caractérisation complète et exhaustive de la nature de l’insertion du transgène.
Des experts du domaine notent que bien que les technologies de séquençage de nouvelle génération aient fourni des informations de séquences fiables pour la majeure partie du génome, les régions hétéro chromatiques et répétitives peuvent souvent conduire à des incertitudes ou à des erreurs dans les assemblages d’ADN (Vitale et al., 2023).
L’un des principaux risques du forçage génétique demeure les conséquences inconnues potentielles d’une propagation ou d’interactions imprévues (Warmbrod et al., 2022). Pis encore, à ce jour, les modèles de forçage génétique se concentrent davantage sur l’efficacité de la pulsion que sur le réalisme écologique. De multiples facteurs écologiques potentiellement décisifs sont rarement inclus (Johannes et al., 2023).
Jusqu’à présent, aucun organisme génétiquement forcé n’a été relâché nulle part dans le monde dans l’environnement. C’est face aux innombrables incertitudes qui demeurent sur l’impact du forçage génétique sur l’homme et sur l’environnement que les mises en garde se multiplient pour dire de faire attention à cette technologie.
D’ailleurs, les généticiens de bonne foi recommandent de toujours privilégier les solutions écologiques, lorsque celles-ci existent, par rapport à celles biotechnologiques pour faire face aux maladies. Dans le cadre de la lutte contre le paludisme, nous pensons que des solutions plus sûres et efficaces existent.
Privilégier les solutions écologiques à celles à risque
Chaque fois que les humains font face à un problème aussi existentiel, dramatique comme la pandémie du paludisme, ils multiplient les initiatives pour y faire face. C’est sans doute de cette logique que procède le Projet Target malaria. Nous savons tous que le problème du paludisme est un problème d’insalubrité.
A partir de ce moment, la solution évidente est sans conteste l’assainissement du cadre de vie. Assainissons donc notre cadre de vie et nous tiendrons les moustiques responsables du paludisme à distance de nos habitations. Bien entendu, pour réussir cette solution, il faut éduquer les masses sur les comportements salubres avec une impulsion du politique pour orienter et encadrer tout cela.
D’ailleurs, des exemples de luttes contre des pandémies sans manipulation génétique du vecteur existent pour soutenir cette position.
La maladie du sommeil, la fièvre jaune et l’onchocercose ont été des pandémies dans le passé comme l’est le paludisme aujourd’hui. Mais les vecteurs responsables de ces maladies ont pu être contenus par des méthodes scientifiques menées avec conscience, prudence et responsabilité.
Nos doutes sur la transparence et les précautions prises dans la mise en œuvre du projet Target malaria.
Toute science doit se mener avec conscience au risque de ruiner l’âme. Plusieurs conventions signées et/ou ratifiées par le Burkina Faso préconisent de façon générale aux pays en développement dont les moyens financiers et technologiques sont limités, d’agir avec précaution quant à l’usage des OGM aux risques connus et potentiels.
L’OMS prend en compte cette idée de précaution quand elle précise dans sa Déclaration de principe de 2020 ne pas s’attendre à ce que les moustiques génétiquement modifiés expérimentaux soient prêts à être testés sur le terrain avant un certain nombre d’années. Or en 2019 déjà, Target Malaria avait procédé au lâcher des moustiques génétiquement modifiés sur le terrain au Burkina Faso.
Il faut préciser que le groupe relais de la société civile qui assurait la veille, n’a été informé que 48h avant et de surcroit un vendredi pour une opération qui devait se passer le lundi ; ce qui ne lui laissait aucune possibilité de recours. Peut-on vraiment parler de transparence dans de telle manière de faire ?
Sur les questions de consultation publique, les conventions internationales imposent des obligations de consultation du public dans le processus décisionnel relatif aux organismes génétiquement modifiés. Dans notre cas, les témoignages de diverses personnes des villages des zones où Target Malaria opère, expliquent qu’elles n’ont pas été correctement informées sur le projet ou ses risques potentiels.
D’ailleurs, comment peut-on parler d’un consentement libre et éclairé d’une personne à une expérience scientifique lorsque cette personne n’a pas la capacité requise pour en comprendre les enjeux ? L’évaluation des risques environnementaux publiée par Target Malaria n’a pas fait l’objet d’une large consultation publique ouverte et transparente.
Les populations locales ne peuvent donc pas être pleinement informées des risques avant de prendre une décision sur leur acceptation.
Des agissements dégradants de la personne humaine
Des agissements dégradants de la personne humaine ont pu être relevés lors de la première phase du projet. En effet, en vue de la capture des moustiques dans la zone d’étude, Target Malaria a payé 400 francs CFA de l’heure pour que des habitants du lieu de lâchage collectent des moustiques sauvages femelles piqueurs sur leur propre corps.
Les volontaires devraient rester assis pendant six heures dans une pièce la nuit, la partie inférieure de leur jambe exposée jusqu’au genou afin que les moustiques qui s’y posent soient capturés à l’aide d’un tube d’aspiration. L’utilisation d’une incitation financière pour motiver les individus à s’exposer aux piqûres de moustiques femelles, et potentiellement à la malaria, est extrêmement discutable sur le plan éthique. Cette pratique est contraire au respect du droit de la personne humaine. Le protocole d’Helsinki est assez expressif à ce propos.
Au regard de tout ce qui précède, la Coalition recommande vivement et fortement :
Au Chef de l’Etat :
de se pencher davantage sur la prise de position de l’ANSAL-BF portant sur la question des moustiques génétiquement modifiés dans la mesure où le Président du Faso en est le parrain suivant la loi n°035-2021 du 16 Novembre 2021 portant modification de la loi n°021-2015/CNT du 11 juin 2015 portant création, attribution, organisation et fonctionnement de l’Académie Nationale des Sciences, des Arts et des Lettres du Burkina Faso ;
d’ordonner un moratoire sur les activités biotechnologiques du projet Target malaria.
A l’ANSAL-BF :
d’entreprendre des échanges avec toutes les parties prenantes notamment celles qui émettent des réserves sur le projet Target malaria ;
d’entreprendre des recherches scientifiques sur les incertitudes et les mises en garde formulées par diverses publications scientifiques au sujet du forçage génétique.
A l’ANB :
de livrer le rapport complet du premier lâcher de moustiques génétiquement modifiés au Burkina Faso parce qu’on ne saurait invoquer la question des droits de propriété intellectuelle pour remettre en cause le droit à l’information, un des droits les plus fondamentaux de l’homme ;
de ne pas autoriser le deuxième lâcher des moustiques génétiquement modifiés.
Fait à Ouagadougou le 30 septembre 2024
Ont signé la présente déclaration, les organisations membres de la CVAB :
Le Collectif des Organisations et Associations sur les Semences Paysannes (COASP-Burkina)
FIAN Burkina Faso
La Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique africain (COPAGEN)
Le Conseil National de l’Agriculture Biologique (CNABio)
Terre à Vie
African Technology Assesment Platform (AfriTAP)