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Jean-Noël Barrot, nouveau ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères : « Où t’es ? Papa où t’es ? »

Publié le dimanche 6 octobre 2024 à 18h50min

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Jean-Noël Barrot, nouveau ministre français de l’Europe  et des Affaires étrangères : « Où t’es ? Papa où t’es ? »

Barrot, le nom dit, nécessairement, quelque chose à ceux de ma génération. Mais qui, y compris en France, l’associe à celui du ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications (2022-2023), du ministre délégué chargé du Numérique (2023), du ministre délégué chargé de l’Europe (2024) ? Et, depuis le 21 septembre 2024, du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères dans le gouvernement Barnier.

La fonction n’a plus le prestige qu’elle avait autrefois, sous De Gaulle (Couve de Murville), Mitterrand (Dumas) et Chirac (Védrine au temps de la cohabitation avec Jospin puis Villepin ensuite). C’est que le Quai d’Orsay, à trop embrasser (coopé, francophonie, relations économiques internationales, etc.) mal étreint.

Sous Macron, peu enclin à ne pas faire de la diplomatie son « domaine réservé », ils ont été trois, déjà, à décrocher ce portefeuille : Le Drian ; Colonna ; Séjourné. Ils n’ont pas marqué la fonction mais comment auraient-ils pu le faire sous le règne de « Jupiter » à l’Elysée et partout ailleurs ? Un nouveau venu débarque donc à l’occasion de la formation du gouvernement Barnier. Il s’agit de Jean-Noël Barrot. Que l’on s’étonne de retrouver là, aux côtés de petits camarades dont les valeurs affirmées, et parfois proclamées, ne sont pas celles des Barrot.

Itinéraire d’un enfant gâté

C’est que Jean-Noël Barrot est le fils de Jacques Barrot et le petit-fils de Noël Barrot. Il y a une douzaine d’années, le chanteur belge Stromae, fils d’un architecte rwandais « omniabsent », avait posé la question : « Où t’es ? Papa où t’es ? ». Il avait fait un réel succès de cette interrogation. Qui commençait ainsi : « Dites-moi d’où il vient. Enfin je saurai où je vais ». Apprenant la nomination-reconduction de Jean-Noël Barrot dans un gouvernement dont la tête d’affiche est Bruno Retailleau (aux côtés d’autres pas moins réactionnaires selon moi mais pas encore médiatisés), les mots de Stromae me sont revenus en mémoire. Non pas que je sache quoi que ce soit de Jean-Noël Barrot mais parce que, ayant l’âge qui est le mien, j’ai suivi avec attention, compte tenu de mon activité professionnelle, le parcours de son père : Jacques Barrot.

Quelques mots d’abord sur ce que je sais du nouveau patron du Quai d’Orsay : 41 ans ; HEC ; Sciences Po Paris ; docteur en économie financière ; professeur au prestigieux MIT de Boston ; député des Yvelines en 2017 (sous l’étiquette macroniste), réélu en 2022 et 2024 ; secrétaire général puis vice-président du Mouvement démocrate (MoDem) au nom duquel il avait fait ses premiers pas politiques en province (en 2015) ; président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale (2024). J’ai dit ce qu’il en a été de ses activités gouvernementales au cours des trois dernières années. Bel itinéraire intellectuel et politique. Itinéraire d’un enfant gâté.
Qui a débuté du côté de Yssingeaux, sous-préfecture de la Haute-Loire, non loin de Saint-Etienne. C’est à Yssingeaux qu’est né Jacques Barrot. Son père, Noël Barrot, a été maire de ce bourg rural qui compte quelques milliers d’habitants. Un notable de province : pharmacien, fils de pharmacien et époux d’une pharmacienne, député Républicain populaire (MRP) dès 1945. Un démocrate-chrétien qui s’est illustré dans la Résistance. Le fils, Jacques, sera juriste, sociologue et politiste (IEP Paris) de formation et avocat de profession. Enfin, plutôt homme politique en un temps où cela n’était pas injurieux. Député dès 1967 (il a 30 ans) sous l’étiquette de l’Union centriste puis du Centre des démocrates sociaux (CDS) avant de rejoindre l’UDF, il a été conseiller régional d’Auvergne, secrétaire d’État dès 1974, puis ministre sous Valéry Giscard d’Estaing (1978-1981), maire (d’Yssingeaux bien sûr), conseiller général, ministre sous Jacques Chirac (1995-1997). Ce sera un proche de Jean-Pierre Raffarin (ex-premier ministre), Michel Barnier (actuel premier ministre) et Dominique Perben, initiateurs du club de réfexion Dialogue & Initiative. Il sera, au début des années 2000, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, vaste rassemblement de la droite et du centre qui comptait alors… 364 députés !

En 2004, il sera nommé vice-président de la Commission européenne (en charge des transports) sous la présidence de José Manuel Barroso et c’est Laurent Wauquiez (actuel leader du parti Les Républicains) qui prendra sa suite à l’Assemblée nationale. Quant à Barrot, à Bruxelles, il succédait à un certain … Michel Barnier. En 2008, il deviendra commissaire à la Justice, à la Liberté et à la Sécurité. En 2010, il rejoindra le Conseil constitutionnel, nommé par Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale (en 2004, Barrot avait soutenu la candidature d’Accoyer à la présidence du groupe UMP). Jacques Barrot est mort en décembre 2014, victime d’un malaise dans le métro alors qu’il se rendait au Conseil constitutionnel (son père, Noël, est mort également brutalement dans l’hémicycle lors d’une séance de l’Assemblée nationale).

Fustiger les « recettes à quatre sous » du populisme

La démocratie chrétienne à la française, façon MRP puis diluée dans l’UDF pour enfin se dissoudre dans l’UMP pouvait paraître, pour ceux de ma génération qui, pour beaucoup, prônaient la permanence de la Révolution, particuièrement tiédasse (et c’est un euphémisme). Une idéologie de droite bien pensante qui se voulait humaniste et se disait moderniste sans jamais être progressiste. Aujourd’hui, face à une droite réactionnaire et à une extrême-droite populiste, on ne peut que regretter que les centristes à force d’être au centre ne soient plus nulle part. Comme les « petites pièces jaunes », ils ne sont qu’un appoint en marge de la macronie, encombrants, à l’occasion utilisables, mais jamais vraiment pris en compte.

Dommage quand un humanisme politique (façon Emmanuel Mounier), avec son côté « vintage » (que s’efforcent d’illustrer Fabien Roussel et son Parti communiste), rendrait plus fréquentable la classe politique française. François Bayrou a dit de Jacques Barrot qu’il était « passionnément modéré ». Une modération qui n’est plus dans l’air du temps, hélas. Le sénateur Hubert Haenel, qui a été son collègue au conseil constitutionnel, a écrit, lui, dans le quotidien La Croix qu’il voulait « convaincre plutôt que contraindre, concilier plutôt que d’imposer ».

Une façon d’être qui, dans un autre contexte politico-électoral, pouvait paraître obsolète mais qui, aujourd’hui, prendrait tout son sens si ceux qui se pensent centristes n’étaient pas devenus les hommes liges d’une droite ultra qui, trop souvent, confine à une droite populiste. Jacques Barrot a dit (Les Echos du vendredi 28 juillet 2006) ce qu’il pensait de cela quand tout cela ne faisait pas encore débat : « Il y a un populisme qui tend aujourd’hui à se développer en Europe, pas seulement en France. C’est une vie politique centrée sur l’immédiat, sur le désir de paraître, de faire plaisir, de rejoindre les citoyens dans leur vie. C’est légitime, mais si c’est uniquement pour leur donner des recettes à quatre sous pour leur vie de tous les jours, je ne crois pas que ce soit vraiment l’essence du politique ». Il ajoutait : « Je veux rester idéaliste, parce que je pense que c’est avec des convictions fortes qu’on peut aller loin ».
Aujourd’hui, les « recettes à quatre sous » tiennent lieu de programme politique et à défaut de vouloir aller loin on se flatte d’oser aller dans le mur.

« Où t’es ? Papa où t’es ? »

Sous le règne de Mitterrand, on a dit de Jacques Barrot qu’il était compatible avec Michel Rocard, dans le cadre d’une « opposition constructive », quand l’ancien leader du PSU, l’homme du 27 mai 1968 au stade Charlety (aux côtés de Pierre Mendes France), avait été nommé à Matignon par François Mitterrand. Cela ne s’est pas fait. Dommage. Je dis cela aujourd’hui ; en ce temps-là, j’aurais sans doute dénoncé une alliance contre-révolutionnaire de la gauche réformiste avec la droite centriste, à la manière de Kerensky dans la Russie de 1917. Les temps ont changé ; moi aussi.

Reste Jacques Barrot et son « idéalisme ». Dont il convient de rappeler aujourd’hui quelques prises de position alors que son fils, Jean-Noël, figure en très bonne position dans un gouvernement ultra. Immigration et asile d’abord puisque c’est l’attelage que Bruno Retailleau entend mener grand train. « L’immigration est un élément clé de la relance démographique européenne et de notre dynamisme économique » dira Jacques Barrot tout en soulignant que « l’immigration irrégulière décrédibilise la politique d’immigration légale, fragilise la cohésion sociale et porte en germe le risque d’intolérables dérives xénophobes ». Il ajoutait que, cependant, le traitement de « l’immigration irrégulière doit toujours respecter la dignité de personnes qui, confrontées à la misère ou à la persécution fuient leurs pays d’origine par désespoir ». Il prônait, par ailleurs, un « partenariat très fort » avec les pays émetteurs d’immigrés, un « partenariat pour la mobilité » permettant de « lutter contre l’immigration irrégulière à travers des règles sur la réadmission ». En matière d’asile, Jacques Barrot entendait « tirer vers le haut des normes d’accueil aujourd’hui minimales » (La Croix du mercredi 18 juin 2008 et Le Figaro du lundi 1er décembre 2008).

Jacques Barrot a connu les luttes pour l’école privée en 1984 et l’éternel débat français sur la laïcité. « La loi de séparation [de l’Église et de l’État], conçue initialement par réaction contre certains excès cléricaux, a permis de faire progresser la liberté de conscience. La liberté religieuse, c’est en effet la possibilité offerte à tous de pratiquer sa foi individuellement et collectivement mais c’est aussi le devoir de respecter la religion de l’autre » (La Croix du mercredi 24 novembre 2004). Tout était dit. On me dira que la longévité et la diversité de la vie politique de Jacques Barrot lui permet d’avoir réponse à tout. C’est vrai ; mais autant en profiter. Plus encore dans le contexte actuel d’un gouvernement incertain dont le patron a appartenu au groupe des quatre (Barnier/Barrot/Perben/Raffarin) qui, en 2001, avaient cosigné « Notre contrat pour l’alternance » édité par Plon. Et puisque le fils Barrot est aujourd’hui ministre dans le gouvernement de l’ami Barnier, il n’est pas mauvais de rappeler que papa s’est fait le chantre d’un « plaidoyer pour l’Europe sociale […] à l’écoute des partenaires sociaux » (Le Figaro du mardi 5 mai 2009), qu’il a dénoncé les « dérives et déréglements de la mondialisation » (La Croix du jeudi 24 mai 2009). Ajoutons ces mots sur l’Alliance atlantique alors que Paris affrontait Washington sur la question de la guerre en Irak : « Ce que nous voulons, c’est une alliance solide adaptée au siècle nouveau basée non sur une subordination mais sur un vrai partenariat » (Le Figaro du jeudi 27 février 2003).

Pour finir, il convient de rappeler le conseil de Jacques Barnier à Alain Juppé quand celui-ci était Premier ministre (1995-1997) de Jacques Chirac : mettre en place « une chorale à plusieurs voix ». Ce qui n’était pas le genre de Juppé, qui cultivait son inflexibilité. Barrot, ministre « social », disait du Premier ministre : « Il a l’autorité des gens doués qui ne s’embarrassent pas trop de palabres. Dans son gouvernement, il se voulait le porteur privilégié de l’information dans un souci d’efficacité, avec la volonté de donner lui-même la meilleure réponse possible, marque du meilleur élève ». Il y a du Juppé (le mauvais profil en tout cas) chez Macron… ?

Ah, j’allais oublier. En 2022, lors de la présidentielle, à Yssingeaux, Emmanuel Macron avait obtenu 50,28 % des suffrages contre 49,72 % pour Marine Le Pen (en tête au premier tour avec près de 30 % des voix). En 2024, aux élections européennes, la liste macroniste n’est arrivée qu’en troisième position derrière le RN de Jordan Bardella et les LR de Laurent Wauquiez, son leader régional et national. Qui est parvenu, cependant, à se faire réélire député lors des législatives 2024 grâce au retrait de la candidate de l’Union de la gauche arrivée en troisième position devant la candidate macroniste (Wauquiez étant au coude-à-coude avec le candidat RN au premier tour). Ainsi va la vie politique en France, y compris dans la sous-préfecture de Haute-Loire ! Les électeurs zappent, zappent, zappent.

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
1er octobre 2024

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