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Burkina/Excursion dans le Nahouri : Perdu au pied du pic et en sandales, nous rencontrons « l’Emmanuel »

Publié le lundi 30 septembre 2024 à 22h05min

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Burkina/Excursion dans le Nahouri : Perdu au pied du pic et en sandales, nous rencontrons « l’Emmanuel »

Aller à la découverte d’un site touristique demeure une expérience passionnante, pleine de surprises et de rebondissements, si bien que l’expliquer serait comme diminuer tout le charme lié à cette aventure, car comme on le dit : « les vraies légendes ne se racontent pas, elles se vivent. » Mais chaque parcours ayant sa particularité, le faire ne relève pas pour autant de l’absurde. En excursion dans le Nahouri, précisément au pic éponyme, notre aventure était loin d’être des plus sereines. En compagnie d’une forte délégation au départ, nous nous sommes perdus dans la nature par un malheureux concours de circonstances. Mais grâce à la providence, dirait-on, nous avons rencontré « l’Emmanuel » qui, comme un berger qui se lance à la recherche de sa brebis égarée, nous a ramené sur le droit chemin. Reportage.

N’importe quel bambin qui a eu la chance de faire les bancs connaît le Nahouri, ne serait-ce que de nom, pour peu qu’il se rappelle de ses cours de géographie du primaire. Sa notoriété, le Nahouri la doit en grande partie à l’un de ses sites touristiques, connu sous le nom du Pic du Nahouri. C’est le plus haut sommet de la province. Son architecture hors du commun lui vaut d’être le point d’attraction des grands athlètes de ce monde qui, chaque année, s’y retrouvent pour se challenger à qui y grimpe le mieux. Avant, il faudrait d’abord passer par la ville de Pô, chef-lieu d’ailleurs de la localité, parcourir une quinzaine de kilomètres à vol d’oiseau, direction le sud-ouest, avant d’emprunter les sentiers battus.

Les 7 km de galère

Dimanche 18 aout 2024. Il est 7h30. Le rassemblement pour l’ascension du pic se fait à Pô, précisément à la place de la nation. Journalistes, acteurs culturels, autorités administratives de la localité, etc. sont là. A la tête de cette excursion qui s’inscrit dans le cadre de la deuxième édition de la grande saison du tourisme interne, le ministre en charge de la culture, Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo. Drapé dans un ensemble sportif des Etalons comme pour marquer son attachement à la patrie, c’est une mine des plus décontractée qu’il aborde cette journée.

8h00. Les chauffeurs activent le starter de leurs véhicules. A l’arrière, les tuyaux d’échappement laissent s’effilocher une grosse fumée noire, qui monte vers le ciel avant de disparaître sous l’effet du vent. « C’est l’heure ! », lance un des journalistes. Aussitôt, les groupes qui s’étaient formés et qui bavardaient en attendant l’heure, se divisent pour rejoindre les cars, disposés en file indienne. Une fois tout le monde à bord, les chauffeurs positionnés à l’arrière lâchent un coup de klaxon pour se donner le top départ et hop ! C’est parti pour la découverte de cette impressionnante architecture que la nature a elle-même façonné !

Nous empruntons la route bitumée pendant une quarantaine de minutes, avant d’affronter une piste carrossable qui mène directement au site. Elle est longue d’environ 7 km. A l’approche, un des guides qui nous accompagne nous lance ceci en esquissant un léger sourire : « ceux qui ne sont pas prêts à marcher auraient dû rester parce que les vraies choses vont commencer ». Personnellement, nous le regardions du coin de l’œil, nous disant que dans toute aventure, il y a toujours un rabat-joie, prêt à annoncer l’orage en pleine saison sèche. Et malgré ces propos, notre résolution à aller jusqu’au bout demeura ferme, intacte. C’était aussi sans compter sur la détermination de nos confrères, motivés à bloc comme des gladiateurs prêts à en découdre.

Juste au moment où nous quittions la voie principale pour emprunter la route de terre, nous sommes interceptés par un villageois qui nous fait signe d’avancer encore plus loin avant de tourner, car il y avait un obstacle sur le chemin que nous voulions emprunter. Effectivement, une grande étendue d’eau était là, juste devant nous. Et il était difficile de savoir si elle était profonde ou pas. Néanmoins, le convoi était engagé, et faire marche arrière aurait été un exercice des plus hardis. Pendant que certains discutaient déjà l’option de la marche, les chauffeurs décident quand même de braver l’adversité. A notre grande surprise, c’est haut les mains que tous les véhicules passeront cet obstacle, qui s’annonçait pourtant périlleux. « Tout ça, pour ça », nous disions-nous en notre fort intérieur, narguant le guide qui annonçait, comme pour nous refroidir, la pénibilité du périple.

Cependant, plus on avançait, plus les choses commençaient à se compliquer. Nous sommes en pleine saison hivernale. Les eaux de pluie ont fortement excavé la route. Le chemin est râpeux. Les nids de poule minent le sol à chaque centimètre parcouru. Au moindre contact avec les pneus, on pouvait voir chacun tressauter sur son siège comme une balle de tennis avant de se rasseoir. Le convoi avance à l’allure d’un train de sénateur. Et même si c’était dur, chacun se confortait l’esprit et n’avait qu’une chose en tête : atteindre au plus vite le pic. Il n’y avait donc pas de quoi crier au feu, surtout que les chauffeurs tenaient d’une main de maître les volants de leurs voitures.

Avec le convoi, nous parcourons environ 3 km, avant de butter sur un autre obstacle. Il y avait à l’avant, comme un ruisseau quelque peu enfoncé sous terre. Et pour favoriser le passage, les habitants avaient érigé à cet endroit un pont de fortune avec des pierres. Les engins à deux roues pouvaient passer sans grande difficulté. Mais les bus eux, pesaient lourds et cela, sans compter les passagers que nous étions, à bord. A ce niveau, nous étions donc obligés de descendre des cars, traverser le ruisseau à pied, et permettre aux bus de passer beaucoup plus sereinement.

Pour renforcer la solidité de ce passage, les uns apportaient des pierres, pendant que les autres les classaient pour éviter que les véhicules ne s’enfoncent. Chaque fois qu’un car arrivait à quitter le bourbier, les passagers que nous étions, acclamions le chauffeur pour l’encourager. Le moment était plaisant. On ne sentait pas l’heure s’enfuir et chacun s’amusait à vanter la dextérité de « son » chauffeur, à sa facilité à franchir l’obstacle. Là, nous passerons environ une quinzaine de minutes avant de reprendre le chemin. « Je suis déjà fatiguée » lance une de nos consœurs, visiblement affaiblie par les secousses et les cahots. Mais il n’y avait pas le temps de se lamenter. Il reste environ 4 km à parcourir et il est impossible, après tout cette distance parcourue, de rebrousser chemin.

A quelques kilomètres plus loin, notre bus cesse d’avancer. En allongeant le cou à travers la fenêtre pour savoir la position des autres, on se rend compte qu’ils sont eux aussi immobiles. Seul le vrombissement des moteurs retentit au milieu de cette brousse où le silence est bruyant. Au loin, un car s’est embourbé, obstruant ainsi le passage aux autres, positionnés à l’arrière. Visiblement, les mots du guide n’étaient pas vraiment une blague. Et ce n’était juste qu’une question de temps avant qu’ils ne s’accomplissent comme une prophétie. Il reste environ 1 500 m à parcourir, 2 km au maximum. En voulant aider le véhicule embourbé à quitter cette « mayonnaise », le tractage l’enfonce un peu plus. La seule option qui s’impose à l’instant T est que tous, nous abandonnons les cars sur place, pour poursuivre le chemin à pieds. Ce que nous fîmes d’ailleurs pour ne pas perdre de temps, abandonnant tout matériel encombrant afin d’être le plus léger possible.

Une vue du car embourbé, empêchant les autres de passer

Quand les godasses abandonnent la lutte avant les hostilités

Une gourde à eau, des croquettes à grignoter, un téléphone muni d’un GPS et une paire de basket résistante à toute épreuve. Voilà ce qu’aurait emporté toute personne pour une randonnée pédestre de ce genre. Mais étant en mission de travail, il était inutile pour nous de nous encombrer de tous ces détails. Téléphone en main, les pieds droits dans nos bottes, c’est ainsi que nous décidons d’aborder le parcours restant. Avec les confrères, le guide devant, le chemin qui paraît long sera finalement de courte durée car l’avantage de se déplacer en groupe est que chacun motivera l’autre à aller jusqu’au bout. Un quidam ne disait-il pas à ce propos que « quand tu es dans la douleur et que tu sais que tu n’es pas seul, tu peux arriver à franchir ce cap-là ? »

C’est donc tout heureux que nous nous décidons de marcher. En compagnie de nos confrères, nous n’eûmes pas le temps de parcourir environ 200 m, que nous sentions déjà la semelle de nos chaussures traîner. Dans ce genre de circonstances, chercher une autre solution est loin d’être la première option qui nous passe par la tête. On essaie de résister, de faire pression sur nous-même, nous disant que l’on tiendra le coup. C’est ce que nous fîmes dès les premières sensations de cette gêne. Mais plus nous avançons, plus la chaussure en contact avec le sol, s’use. Pour éviter donc toute situation embarrassante, nous nous décidons de retourner au car pour récupérer nos sandales avant de poursuivre le chemin, quand bien même nous savions qu’elles n’étaient pas adaptées à ce type de parcours. Que pouvions-nous faire d’autre ? Le trajet était encore long et il ne fallait en aucun cas s’éloigner du groupe.

Un aperçu des semelles de nos godasses qui nous ont lâchées pendant le trajet

« Si tu es étranger ici, tu vas te perdre ! »

Après être retourné au car pour changer de chaussures, nous nous précipiterons de rejoindre le groupe. Mais en avançant, on se rend compte qu’il était très loin. Nous l’avions perdu de vue. Impossible aussi de joindre un collègue au téléphone, car le réseau était faible. Rebrousser à nouveau chemin et manquer cette aventure que nous attendions de pied ferme ? Non ! Nous perdre dans cet endroit et constituer l’objet de reportage de nos confrères ? Jamais ! Suivre les traces des pas laissés dans la boue, tendre l’oreille dans l’espérance d’entendre les autres qui, sûrement, montaient déjà le pic, et trouver un autochtone qui nous indiquera le droit chemin était désormais le plan.

Nous marchions donc prudemment dans cette brousse, le regard errant et le cœur en prière. « Il n’y a pas beaucoup de monde dans les parages » nous disions-nous. Le cadre est presque désert. Les habitations se comptent du bout des doigts. De gauche à droite s’étendent à perte de vue, des champs de jeunes plants d’arachide, de maïs et de haricot. Le cadre est magnifique ! L’environnement, tranquillisant ! Et quand bien même nous redoutions de nous perdre dans la nature, nous ne pouvions nous empêcher de savourer cet air doux, frais et naturel, dans cette partie du territoire où le calme est tumultueux.

Dans notre marche, nous rencontrons d’abord un homme à bord d’une moto. En essayant de l’aborder, celui-ci nous répond dans une langue que nous avons du mal à déchiffrer. Nous dûmes alors poursuivre notre chemin en suivant le plan, dans l’espérance de trouver quelqu’un qui daignera nous orienter. Plus loin, nous rencontrons une jeune fille d’environ onze ans. A la question de savoir si elle avait aperçu un groupe de personnes passer par là, elle nous répondra par la négative. Toutefois, nous avertit-elle : « il faut faire demi-tour parce que devant il n’y a pas de passage pour piéton ».

Pendant que cette dernière nous expliquait comment retourner sur nos pas, arriva, juché sur une bicyclette, un jeune homme d’environ 25 ans, environ 1m70, teint noir, le visage serein, légèrement baraqué et vêtu dans un style de jeune de son âge : claquettes, t-shirt, jean, montre et bracelet au poignet. Pas plus ! S’adressant directement à la jeune fille, ils échangèrent quelques mots avant que cette dernière ne nous confie à lui. « Il va dans la direction que je t’indiquais. Il dit que vous allez aller ensemble. Il faut le suivre parce que vu que tu es étranger là, tu vas te perdre » nous a-t-elle confié avant de prendre congé de nous.

Quelques épis de maïs aux alentours du pic

« Nahouri n’est pas grand comme vous pensez, c’est le nom-là qui est trop sorti »

Avec le jeune homme, nous voilà parti enfin pour retrouver nos camarades. Dans les premières minutes de notre marche, aucun de nous n’adressait la parole à l’autre. Lui devant, poussant son vélo, nous le suivions comme une brebis guidée par un berger. Et ce n’est que quelques temps après que celui-ci nous questionnera en ces termes : « vous êtes venus de Ouaga ? ». « Oui » lui répondons-nous, avant de lui exprimer notre étonnement de le voir s’exprimer en français, alors qu’il y a moins de cinq minutes, ce dernier nous voyait échanger avec la jeune fille dans cette langue, mais s’était quand même adressé autrement à elle. « La langue qu’on parlait là s’appelle le Kasséna. Je me suis adressé à elle dans notre langue parce que quand je t’ai vu, j’ai su que tu étais étranger. Et comme tu parlais avec ma sœur-là, je me suis arrêté pour lui demander si tout allait bien », nous a-t-il fait savoir. Selon ces dires, tous les habitants du village, ou presque, se connaissent. « Nahouri n’est pas grand comme vous pensez, c’est le nom-là seulement qui est trop sorti avec le pic qui est ici », a-t-il laissé entendre, avant de nous indiquer que nous avons dépassé le chemin qui mène au pic d’environ deux kilomètres.

Dans la foulée, s’en suivront donc des échanges à bâtons rompus avec « notre ami », tout le long du trajet. Emmanuel est son prénom. Providence ou pure coïncidence ? Mais tout comme le Christ, c’est entre ses mains que nous avons abandonné notre vie à cet instant-là. Avec lui, nous apprenons quelques mots de la langue Kasséna. Bonjour ou bonsoir se dit « Dilé ». Comment tu vas se dit « Kougara ? » Je vais bien merci se dit « Yazoura woura ». Et je t’aime se dit « Aa soo mou ». Nous apprenons aussi les habitudes culinaires de la localité. Dans les ménages, on mange fréquemment le tô de maïs, de mil ou de sorgho blanc, avec les sauces gombo, baobab, feuilles de haricot, kanzaga (un plat similaire au babenda).

Apprenant au cours de la discussion que nous sommes journaliste, « notre ami » ne manquera pas cette occasion pour nous parler des réalités qui minent son village, passant par l’éducation, la santé, la culture et le secteur de l’emploi. « Ici au Nahouri, il n’y a pas d’école secondaire. Après le certificat, ceux qui veulent poursuivre leurs études doivent rejoindre Pô, Dakola, ou Songo… Dans mon village, il n’y a pas de centre de santé, encore moins de maternité ; ce qui fait que certaines femmes à terme, rendent l’âme avant même d’atteindre le centre de santé le plus proche, qui est à Dakola ou à Pô », a-t-il entre autres égrené comme problèmes liés à sa terre natale.

« Il y a le courant à Nahouri, mais ce n’est pas partout », Emmanuel

Aussi, il nous explique que la majeure partie des jeunes en âge de travailler tirent le diable par la queue. Qu’à un certain âge, ils sont obligés de rejoindre les sites miniers au Ghana voisin, dans la ferme espérance de ramener de quoi faire bouillir la marmite. Le secteur des mines étant ce qu’il est, les plus chanceux reviennent. Les autres malheureusement, y laissent la vie. « Mais on n’a pas le choix. Si on reste, on va faire comment ? » nous interroge-t-il.

Sur le plan culturel, Nahouri n’est pas vraiment isolé. Et même si les soirées où les contes se disaient autour d’une lampe à pétrole sont révolues, il affirme que leur village vibre souvent au rythme de certains artistes venus de la capitale. « Il y a des évènements où on invite les artistes comme les Floby, Miss Tanya, etc. pour qu’ils viennent chanter. C’est vrai que ce n’est pas à Nahouri ici même qu’ils viennent. Mais on les voit souvent », se réjouit-il.

Pendant que l’on discutait tout en marchant, nous arrivâmes au domicile de notre ami, qui jouxte le pic. « C’est la cour du chef » nous dit-il. « Tu es donc son fils », lui demandons-nous ? « Non, je suis son frère. Mais chez nous, on dit que c’est mon père », nous répond-t-il. C’est là qu’il abandonnera sa monture, avant que l’on ne s’aventure tout droit vers le pic pour le saut final.

Après juste quelques mètres de marche, nous voilà enfin devant ce géant et superbe tertre de pierre sorti tout droit du ventre de la terre, et dont l’altitude se chiffre à 447 m. En levant la tête, nous apercevons nos confrères et tout le reste de la délégation au sommet. Mais avant l’escalade, quelques consignes sont de rigueur : « si tu veux te soulager, c’est maintenant. Une fois qu’on monte, on ne se soulage pas là-bas. Aussi, il ne faut pas prendre de cailloux du pic avec toi. Ça porte malheur », nous avertit-il. Après l’avoir religieusement écouté, nous voilà parti pour l’escalade du Pic du Nahouri !

Le pic du Nahouri est, avec le mont Ténakourou, l’un des plus hauts sommets du pays

La montée du Pic, un calvaire qu’il faut vivre pour comprendre

Les premières marches de cette ascension tant attendue n’avaient rien de sorcier. Emmanuel devant, nous derrière, nous avançons lentement, mais sûrement. « Combien de fois es-tu monté ici ? » lui demandons-nous. « C’est quand on est petit qu’on s’amuse à compter pour dire qu’on est fort. Mais j’ai arrêté de compter depuis longtemps », nous répond-t-il, tout en poursuivant le trajet, serein. Nous ne ferons pas plus de cinq minutes de grimpée, que notre corps commença déjà à s’épuiser. Le rythme d’escalade semble ralentir d’un coup. L’enthousiasme du départ devient subitement lourd comme une croix à porter, l’ascension du pic comme un chemin du calvaire, le tout comme une passion à endurer. Et même si c’était dur, nous tentons de tenir bon et surtout, ne pas donner l’impression à notre ami que cinq minutes de marche suffiraient à nous faire jeter l’éponge. Nous continuons alors d’avancer.

Plus loin, nous rencontrons certains de nos confrères qui, à bout de souffle, ont décidé de tourner bride. « Tu n’y arriveras pas avec tes sandales. Tu seras obligé de les enlever en haut », nous lance l’un d’eux. Recevant cette information de l’oreille gauche, nous l’évacuerons par la droite car la causette avec Emmanuel nous avait fait oublier que nos chaussures étaient inadaptées au relief. Nous poursuivons donc notre chemin, toujours sereinement, mais avec beaucoup de prudence.

Au bout d’une dizaine de minutes de marche, nous commençons à ressentir des douleurs, précisément au niveau de la colonne vertébrale et du tour de rein. Le rythme de nos pas qui, jusque-là restait constant, devient de plus en plus lent. A peine même si nous arrivions à soulever les fers. Les nerfs tendus sur la peau comme pour signifier qu’ils ne tenaient plus le coup, les narines baignant de morve, les vêtements pleins de sueur comme si l’on avait plongé dans une rivière, nous nous sentons soudainement enrhumé et pris par un tournis. Emmanuel lui, poursuivait le chemin sans pousser le moindre gémissement de douleur. Alors que de notre côté, nous étions déjà pantelant, la bouche ouverte comme un poisson hors de l’eau. Et pour avoir plus d’énergie, nous essayons de lever quelques fois la tête, pour happer le peu d’air qui semble nous avoir été mystérieusement coupé. Du haut, en regardant le sol, nous voyons que nous avons fait du chemin, alors que nous sommes encore à la moitié du trajet. Faire demi-tour ? Jamais ! Nous étions résolus à réussir ce pari, et cela, advienne que pourra. Mais physiquement, nos muscles ne répondaient plus. « Comment font les athlètes pour arriver au sommet ? Comment s’y sont pris nos camarades pour y arriver ? Etait-ce simple pour eux ? Ont-ils souffert comme nous ? Comment ? Comment ? Comment ? … » Autant de questions qui nous turlupinaient et dont les réponses nous échappaient, au vu de ce parcours laborieux et accablant. Pendant ce temps, Emmanuel lui, se dressait de tout son long, escaladant le pic avec une agilité déconcertante. Malgré cette fatigue intense qui nous habitait, nous ne pouvions nous empêcher de l’observer dans sa démarche majestueuse. La maîtrise du trajet, la robustesse de ses mollets, la constance de ses pas et l’habitude qu’il a prise à grimper sur ce pic depuis tout petit, lui offrait une facilité pétrifiante dans cet exercice. « C’est presqu’un jeu d’enfant pour lui », nous disions-nous intérieurement. Il gravissait les roches comme un étalon et la solidité de ses appuis était digne de celle d’un spartiate !

Epoumoné, notre bruyante respiration l’interpelle et nous marquons une pause pour prendre un moment de répit. En position assise, c’est comme si tout l’univers était subitement devenu immobile et que la terre s’était tout à coup arrêtée de tourner. C’en était trop pour nous ! Nous avions l’impression que le moindre pas de plus nous arracherait le souffle de vie. La vision floue, les épaules effacées, le corps prostré, nous patientons là, pour récupérer les forces nécessaires, avant de poursuivre le chemin. Pendant ce temps, Emmanuel lui, se tenait toujours debout, comme un soldat.

Après cinq minutes de pause, alors que nous étions toujours assis, il nous tendra la main comme pour nous dire que nous nous étions assez reposé. La saisissant dans le même temps, nous nous relevons, revigoré. Puis, nous étirant les jambes, nous reprenons le chemin vers le sommet, mais cette fois sans pause, même si, par endroits, la fatigue nous incita à grimper à quatre pattes.

En tout, il nous a fallu 27 minutes pour boucler le trajet. Nous arrivons au sommet du pic noyé de sueur, accueillis par les regards hagards de nos camarades, qui s’étonnent de nous voir débouler bien tard après eux. Logiquement, la question à laquelle il faut s’attendre se fit entendre par un de nos confrères : « tu étais où ? » Prenant d’abord une bouffée d’air, nous leur expliquons par la suite ce qui nous est arrivé. Certains trouvaient l’histoire assez « folle » et compatissaient à notre douleur. D’autres par contre, ne pouvaient s’empêcher de s’esclaffer, exprimant néanmoins leur joie pour nous d’avoir réussi comme eux, cet exercice.
Nous prîmes par la suite un instant pour apprécier ce gigantesque bloc de terre sur lequel une centaine de personnes siégeaient. Et si nous devions le décrire, nous dirons qu’il s’agit certes d’un pic, mais le sommet en lui-même n’est pas si pointu au point qu’on on ne puisse s’y tenir debout, s’y asseoir, ou même s’y coucher. Ce n’est rien de tel. La surface au sommet paraît ronde, avec des creux çà et là, des touffes d’herbes, et de grosses pierres qui semblent y avoir atterri en provenance du ciel. L’air là-haut est pur, naturel, et on a comme l’impression d’avoir les nuages en face de soi. Du haut, l’on a une vue parfaite de la terre et des éléments qui la composent : concessions, routes serpentées, végétation, etc. seulement qu’ils sont beaucoup plus petits, sinon minuscules. D’est en ouest, du nord au sud, nous essayons de jauger la partie qui semble la plus séduisante à nos yeux. Mais difficile de porter un jugement sur un côté spécifique, tant l’environnement que la nature nous donne de voir est totalement pittoresque ! Tout est beau ! Absolument tout ! Et au loin, on a une vue sur les villages environnants que sont Dakola, Paga, Navrongo, et Boalga.

Après quelques temps passé à savourer ces moments et à prendre des photos avec les autres, nous voilà reparti avec tout le groupe et Emmanuel cette fois-ci, pour le retour. C’était beaucoup plus facile ! Néanmoins dangereux, car au moindre faux-pas, la chute.

Une vue éblouissante du paysage étant au sommet du pic

Le pic du Nahouri, un site aux mystères ahurissants

Chaque site touristique au Burkina a son histoire. Et si ces derniers résistent au temps, c’est grâce aux populations qui s’assurent de les maintenir en pleine forme. Au cours de la discussion avec Emmanuel, celui-ci nous explique que l’ascension du pic ne se fait pas à la fortune du pot. « On ne monte pas ici au hasard », a-t-il craché. Avant d’y aller, le chef du village doit être informé. C’est lui qui déclinera par la suite, la démarche à suivre avant et après être monté.

Chose mystérieuse, c’est que malgré la dangerosité de certains endroits du relief, Emmanuel dit n’avoir jamais eu vent d’un accident lié à l’escalade du pic. « Les gens viennent ici chaque fois. Ils montent et descendent tout le temps. Mais je n’ai jamais entendu que quelqu’un est tombé ici. Peut-être que c’est déjà arrivé. Mais moi je suis né ici et je vis ici depuis. Je n’ai jamais entendu que quelqu’un est tombé en montant ou descendant », jure-t-il.

Autre fait mystérieux, c’est la présence de serpents boas sur le pic. Malgré cela, aucune personne n’a jusque-là été attaquée. « Il y a quelques animaux qui vivent sur le pic. Il y a des singes, mais c’est difficile de les voir. Vu que les gens viennent souvent ici, quand ils entendent du bruit, ils se cachent. Donc si tu n’es pas très observateur, tu ne peux pas les voir. Il y a aussi des boas. Mais depuis que je suis là, je n’ai jamais entendu qu’ils ont attaqué quelqu’un. Nos chèvres montent souvent sur le pic pour brouter. Ils en profitent pour les manger. Mais un humain, je n’ai jamais entendu. Ils ne nous attaquent pas, nous aussi on ne les tue pas », nous révèle-t-il.

Nous avons gravi le pic en sandale

« Je suis sûr que beaucoup pensaient qu’on ne pouvait même pas arriver jusqu’ici »

Etant à l’extérieur, parler du Burkina Faso inflige une peur bleue à l’entourage à côté. En effet, cela fait une dizaine d’année que le Burkina Faso est confronté à l’hydre terroriste. Jadis surnommé « la destination à ne pas manquer », cette dénomination semble avoir pris un coup au point de faire du pays, « la destination à éviter à tout prix ». « Quand on va ailleurs, les gens nous regardent comme si on était des extraterrestres. Ils pensent qu’au Burkina on ne peut pas sortir », regrette Sulaïman Kagoné, directeur général de l’Office national du tourisme burkinabè (ONTB).

Le corollaire de cette crise sécuritaire a valu à la carte du pays d’être peinte en rouge par certaines institutions, si fait que le tourisme récepteur qui était assez dynamique, attirant une myriade de personnes au passage, s’est vu impacté. Selon Sulaïman Kagoné, les chiffres pour étayer ce fait ne sont pas à point car les compendiums édités à ce propos paraissent chaque deux an. Les récentes données remontent à 2022. « Au cours de cette période-là, nous étions autour de 340 000 visiteurs. Mais avec la grande campagne de déstabilisation qu’il y a eu contre le Burkina ces dernières années, c’est sûr que le secteur a pris un coup », a-t-il avoué.

« Les gens vont à Dubaï et en Chine pour du tourisme, mais on a mieux ici », Sulaïman Kagoné, à l’extrême droite

Si le voyage a suscité étonnement et préoccupation chez certains au vu de la question sécuritaire qui mine le pays, cette excursion est, selon le ministre, une occasion de prouver à la face du monde que le Burkina Faso n’a rien de commun à l’enfer. « Je suis sûr que beaucoup pensaient qu’on ne pouvait même pas arriver ici. Mais cette excursion montre à souhait que le Burkina Faso est un pays qu’on peut visiter et qu’il est bel et bien fréquentable. C’est l’occasion d’appeler les uns et les autres à se lancer à la découverte de leur pays. On pense qu’on connaît bien le Burkina, jusqu’au jour où on arrive dans un endroit où l’histoire est si éblouissante, qu’on se rend compte qu’on ne sait pas tout de ce beau pays », se convainc Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo.

De notre côté, la journée fut belle. Même si la fatigue nous tenaillait et que le retour était quasiment une autre paire de manche, le plaisir éprouvé était tel que si le parcours était à refaire, nous le referions. « C’était magnifique » n’a pas manqué de s’exclamer Rahim Ouédraogo, journaliste à Burkina Infos.

Le ministre Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo en compagnie des journalistes, sur la photo de famille

Au moment où nous quittions les lieux, le soleil était déjà au zénith, et une fine pluie nous caressait la peau. Repartant vers notre ami Emmanuel, nous le remercions infiniment pour sa serviabilité et sa sollicitude. En retour, c’est une tonne de bénédictions que nous recevons de sa part. Regagnant par la suite le grand groupe avec lequel nous avons effectué le déplacement, nous reprenons le chemin du retour en direction de cette autre ville chaleureuse, tant connue pour son ambiance et où les activités se poursuivent de jour comme de nuit : Ouagadougou.

Erwan Compaoré
Lefaso.net

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