Langues nationales et TIC : Ouagadougou abrite du 2 au 4 octobre 2024 un colloque international sur la problématique des orthographes
Quel est l’état des lieux des orthographes de nos langues nationales ? Comment utiliser les langues peu dotées et notamment nos langues nationales dans l’univers numérique ? Comment les robots sur Internet peuvent-ils prendre en charge nos langues nationales ? Voici quelques-unes des questions auxquelles vont répondre dès chercheurs de divers pays qui se réunissent à Ouagadougou du 2 au 4 octobre. Nous avons approché Dr Issa Diallo, président du comité d’organisation du colloque pour en savoir plus.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Issa Diallo, chercheur à l’Institut des sciences des sociétés du CNRST (Ouagadougou). Je m’intéresse aux langues africaines en tant que véhicule et matière d’enseignement-apprentissage. Vingt ans après un doctorat de 3e cycle en linguistique, la nécessité de faire un doctorat en sciences de l’éducation avec intégration des TIC s’est imposée à moi. D’ailleurs, je suis le chef de l’équipe de recherche « Langues africaines et TIC » du laboratoire Langues, Education, Arts et Communication.
Pouvez-vous présenter votre laboratoire ?
Le laboratoire Langues, Education, Arts et Communication, en abrégé LEAC, fait partie des quatorze (14) laboratoires du CNRST. Rattaché à l’Institut des sciences des sociétés, il compte huit (08) équipes de recherche parmi lesquelles l’équipe de recherche sur les Langues Africaines et les Technologies de l’Information et de la Communication (LATIC).
Vous organisez du 2 au 4 octobre 2024 un colloque international sur "Les orthographes des langues peu dotées à l’ère du numérique ". Pourquoi un tel colloque ?
Avant de répondre à la question, permettez-moi de revenir sur la langue à l’ère du numérique. Pour rappel et au sens le plus courant, la langue est un instrument de communication. Elle est « le fondement de la communication entre les personnes » (UNESCO (2003 : 19). L’éducation dans un monde multilingue. Document cadre. Paris : UNESCO)et constitue « les archives d’un groupe humain, la synthèse de son histoire telle qu’elle s’est déposée peu à peu et s’est incorporée à son vocabulaire et à sa structure. Ainsi, la langue reflète l’identité d’un groupe humain dans ce qu’elle a de plus intime, telle qu’elle s’est lentement formée à travers les âges et, par son existence même, on peut dire qu’elle représente l’authentique image de lui-même qu’un groupe projette dans le monde extérieur […] Pour un groupe humain défini, la langue est beaucoup plus qu’un des éléments de sa culture. C’est dans un sens véritable, l’équivalent de la somme de sa culture »(Texier, https://abp.bzh/print.php?id=736).
Que la langue soit un instrument de communication ou un levier culturel, son importance est fonction de sa dotation, de la puissance économique de sa communauté mais aussi de la représentation sociale et politique de ses locuteurs. Ainsi, certaines langues bénéficient d’importantes dotations et voient leurs locuteurs augmenter de plus en plus en nombre. C’est le cas de l’anglais. D’autres, par manque même de locuteurs se réduisent et finissent par mourir. D’autres encore -pour diverses raisons- peuvent ressusciter comme ce furent les cas de l’Hébreu et du Cornique. D’autres enfin attendent d’être mieux dotées pour ne pas céder leurs places aux langues de grande communication portées par des puissances politiques et économiques les plus influentes du moment. C’est le cas des langues communément appelées langues peu dotées ou langues-pi. Le colloque porte sur les orthographes de ces langues dites peu dotées.
Mais, ne sommes-nous pas à l’ère du numérique, le point culminant actuellement étant l’IA ? Nos orthographes étant très peu dotées leurs masses critiques disponibles ne permet pas une meilleure exploitation par les robots. Le présent colloque a donc pour objectif la création d’un cadre de réflexion sur ces langues peu dotées, notamment leurs orthographes. Il se propose, à travers les contributions des chercheurs, des encadreurs pédagogiques et des communautés d’utilisateurs, de fournir un diagnostic clair des orthographes disponibles en éclairant les possibles liens entre l’orthographe et la dotation des langues peu dotées à l’ère du numérique.
Quelle est l’importance de l’orthographe pour une langue, surtout à l’ère du numérique ?
A l’ère du numérique, si la langue est peu dotée, elle ne saurait permettre de bien partager les expressions écrites de ses locuteurs. Par ailleurs, étant donné « l’utilisation très répandue des TIC (téléphones portables, ordinateurs, matériel multimédia et audiovisuel, etc.), la langue imposée de facto aux utilisateurs (l’anglais, le français, l’espagnol, l’arabe ou toute autre langue) finit par prendre le dessus et remplacer la langue locale dans les TIC et dans d’autres domaines » (Osborn, D. (2011 : 03). C’est ainsi que les langues techniquement dotées comme le français et l’anglais sont en train de supplanter de nombreuses langues africaines. Pour exister à l’écrit, ces dernières doivent être mieux dotées, et, à l’ère du numérique, l’orthographe est la première des dotations, d’où son importance.
Quel est l’état des lieux de l’orthographe des langues nationales burkinabè ?
De nombreuses langues du Burkina Faso ont des orthographes stabilisées. D’autres, pas encore. Il se trouve également que les utilisateurs de nos langues écrites sont plus présents sur les réseaux sociaux. Méconnaissant les règles orthographiques de nos langues, ils écrivent comme bon leur semble d’où l’émergence d’autres orthographes, qui malheureusement sont plus connues que celles dites officielles qui ne se trouvent que sur du papier, donc non accessibles aux plus grands utilisateurs. Du reste les orthographes se portent mal car si l’on y prend garde, les écrits les plus présents sur les réseaux sociaux seront la référence et les orthographes officielles reléguées au second plan.
Comment le colloque va-t-il se dérouler ?
D’abord, il y aura une cérémonie d’ouverture. Sa spécificité est l’occasion qu’elle offre à chaque panéliste de présenter en 180s son propre projet ou programme de recherche en relation avec les langues africaines. En lieu et place, il pourra présenter sa structure d’affiliation et ses projets et programmes de recherche. Ensuite, il y aura des panels et une table ronde sur les tons. Enfin, nous passerons aux grandes recommandations à l’endroit des président et vice-présidents du Conseil d’orientation de la commission nationale des langues du Burkina. Pour rappel, le ministre en charge de l’éducation de base en est le président. Les ministres en charge de l’enseignement supérieur et de la communication en sont les vice-présidents.
Qu’en attendez-vous comme conclusions ?
Nous voudrions, à la fin du colloque, disposer d’un diagnostic clair des orthographes disponibles de manière à mieux comprendre les possibles liens entre l’orthographe et la dotation des langues à l’ère du numérique. Ne parle-t-on pas d’IA ? Comment les robots pourront-ils prendre en charge nos langues si elles n’ont pas d’orthographes stables et de masses critiques assez importantes de textes bien orthographiés ? Mais nos langues sont aussi des véhicules de communication et d’enseignement-apprentissage dans un pays où elles sont, sur le plan juridique, bien encadrées. D’ailleurs, nous pensons lancer bientôt, avec l’accord des président et vice-présidents du Conseil d’orientation de la Commission nationale des langues du Burkina un programme doctoral sur les langues africaines avec intégration des TIC. Il intéressera certainement les agents du ministère de la Communication, de la culture, des arts et du tourisme d’une part, et, d’autre part, ceux du ministère de l’Enseignement de base, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales.
Je vous remercie et à travers vous, le journal Lefaso.net et DELAN qui sont les partenaires du colloque.
Lefaso.net