Journées des instruments coutumiers parleurs : « Cette activité nous montre que la tradition, ce n’est pas seulement égorger le poulet », Samend Naaba
Les Journées des instruments coutumiers parleurs a débuté le lundi 23 septembre 2024. Cette année, le thème retenu est : « Les instruments coutumiers parleurs au service de la nation pour l’éveil des consciences ». Et pour comprendre le sens d’une telle activité, Lefaso.net a tendu son dictaphone aux participants de cette 5e édition pour recueillir leurs avis sur la question, ainsi que son intérêt pour les Burkinabè.
Apollinaire Singbeogo
« L’importance d’une telle activité est de permettre à chaque individu de connaître son identité, qui il est, d’où il vient. Et en nous réunissant, nous arrivons à nous connaître, à nous fréquenter, à nous accepter dans nos différences. Nous en profitons pour échanger sur ce que nous faisons et les défis que nous rencontrons. Par exemple présentement, les enfants ne veulent plus devenir griots. Beaucoup vont dans les mines et même ceux qui ne vont pas à l’école abandonnent la tradition. A cette allure, imaginons que le Mogho Naaba ou le chef de Boulsa sortent et qu’il n’y a pas de personnes qui tapent les instruments coutumiers parleurs pour les annoncer ou les accompagner. Ce n’est pas intéressant. Raison pour laquelle nous continuons de perpétuer cette pratique. Beaucoup ne comprennent pas le sens. Mais de plus en plus, nous trouvons des traducteurs qui, à chaque fois que nous battons nos instruments, expliquent aux gens ce que nous sommes en train de dire ».
Joachim Kaboré
« Cette activité est salutaire parce qu’elle permet à ceux qui ont abandonné leurs cultures de revenir sur leurs pas. Ce qui est dit à travers les instruments parleurs est plein de sens. On t’explique d’où tu viens. C’est une pratique qui nous replonge dans nos cultures, dans nos valeurs. Aujourd’hui, on peut toujours savoir qui on est en faisant référence à ceux qui battent ces instruments. Mais si cela ne t’intéresse pas, tu ne peux pas comprendre ce qui est dit. Alors que cela est important, parce que ceux qui sont restés dans la tradition ne font pas du tort aux autres. Il y a des choses qu’ils ne peuvent pas faire. A partir du moment où vous mangez dans le même plat, il y a des choses que vous ne pouvez pas faire. Et à mon humble avis, ceux qui ne suivent pas les traditions veulent souvent s’adonner à de mauvaises pratiques. On le sait, dans la tradition, quand on fait un sacrifice, que tu le manges alors que tu as fait du tort à quelqu’un, tu en paieras les frais. Mais de plus en plus, les gens s’éloignent de la tradition, souvent pour ne pas avoir affaire à elle. Et ces instruments coutumiers parleurs sont là pour nous ramener à nos valeurs anciennes ».
Thérèse Dondassé
« Cette activité permet aux nouvelles générations de comprendre leurs cultures. Ce sont des choses qu’on ignore, mais cela éveille et conduit la jeunesse. Ce sont des activités qui unissent.
Par exemple, avec la parenté à plaisanterie, on arrive toujours à se comprendre et à taire certains litiges.
Et avec cette activité liée aux instruments coutumiers parleurs, la génération actuelle ne comprend pas ce qui est dit. Et elle devrait chercher à comprendre les messages qui sont véhiculés ».
Barnabé Nacoulma
« La tradition nous permet de ne pas oublier d’où nous venons. Si elle était toujours d’actualité, il y a des terres qui ne seraient pas vendues, des guerres qu’on aurait pu éviter. Sinon, comment comprendre que quelqu’un puisse porter atteinte à la vie de son propre frère ? C’est parce que la tradition se meurt. Avec le Bendré, on arrive à éduquer les plus jeunes et à créer un monde de paix. Pour moi, les gens savent et comprennent toujours le message que véhicule le Bendré. Souvent, quand tu arrives dans certaines localités, on honore même ces personnes qui battent les instruments coutumiers parleurs parce qu’ils font vos éloges et vous montrent qui vous êtes en réalité ».
Samend Naba
« Aujourd’hui, nos cultures se meurent. Et pour qu’elles ne disparaissent pas, il faut ce genre d’activité. Ainsi, chacun saura qui il est. Aujourd’hui, les gens mélangent tout. Par exemple pour un forgeron, il doit savoir qui il est, qu’est-ce qu’il peut manger, les interdits, quelle femme il peut épouser. La tradition, c’est ce que nous sommes nés trouver. Et cette activité nous montre que la tradition, ce n’est pas seulement égorger un poulet. Avec les instruments coutumiers parleurs, on peut tout faire. Appeler quelqu’un, dire qui il est, d’où il vient, qui étaient ses ancêtres. Mais si tu vas quelque part, qu’on t’appelle, que tout le monde sait qu’on t’appelle, et que tu ne comprends pas, ce n’est pas intéressant. Et en organisant ce genre d’activité, cela permet aux enfants d’être éveillés et de mieux comprendre les choses. Beaucoup pensent aussi que c’est une question de religion alors qu’il n’en est rien. Il y a parmi nous, des musulmans, des catholiques, des protestants. Tout ça, ce sont des religions. On ne dit pas de ne pas les pratiquer, mais de savoir qui tu es. Raison pour laquelle quand tu vas pour la dot, on ne te demande pas ta religion, mais plutôt, d’où tu viens. Tu diras que tu es de Saponé, de Tanghin Dassouri ou de Kaya. On te demandera par la suite d’où plus précisément ? Mais si tu ne sais pas tout ça, ce n’est pas bien. Et il est important que nos enfants comprennent ces choses-là. Et avec cette activité, cela va contribuer à nous ramener sur le droit chemin ».
Propos recueillis par Erwan Compaoré et
Anita Zongo (stagiaire)
Lefaso.net