Burkina : « A travers le tourisme, les Burkinabè peuvent mieux découvrir leur pays et mieux prendre soin de lui », Sulaïman Kagoné, DG de l’ONTB
Le 27 septembre de chaque année est célébrée la journée mondiale du tourisme. A travers cette interview que vous propose Lefaso.net, le directeur général de l’Office national du tourisme burkinabè (ONTB) Sulaïman Kagoné revient sur le sens de cette journée pour son institution et lui, dressant au passage le bilan de la deuxième édition de la grande saison du tourisme interne, évoquant les difficultés d’accès à certains sites touristiques au vu de la crise sécuritaire et les défis de l’ONTB suite à l’inscription de la cour royale de Tiébélé sur la prestigieuse liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Lefaso.net : En prenant fonction en février 2024, vous avez promis d’œuvrer pour le développement du tourisme interne. Quelles sont les actions qui, jusque-là, ont été menées pour l’atteinte de cet objectif ?
Sulaïman Kagoné : Il faut dire d’emblée que l’institution existe. Et comme on le dit souvent, l’administration est une continuité. Nous concernant, nous étions déjà dans la boite et dans le système. Nous y travaillions à promouvoir le tourisme et à développer des activités touristiques. Mais dès que nous avons été nommé à ce poste-là, il fallait désormais voir les choses sous l’angle de la responsabilité et du management, mettre des équipes en place pour atteindre un certain nombre d’objectifs. Les grandes lignes étaient déjà tracées. Il fallait peut-être apporter quelques innovations et dynamiser davantage le secteur, notamment le volet promotion.
C’est ce que nous avons fait avec le lancement de la grande saison du tourisme interne qui, pendant trois mois, a consisté à mener des activités de communication. Nous sommes passés sur des chaînes de télévision, nous avons fait des émissions à la radio pour expliquer ce que c’est que le tourisme et convaincre les Burkinabè à être eux-mêmes touristes au Burkina Faso. Il y a eu l’accompagnement des acteurs du privé qui ont concédé une réduction de 50% des tarifs des hôtels au profit des nationaux. Nous avons réalisé des séjours touristiques dans la région des Cascades et du Centre-sud aussi. Cela a coïncidé avec l’inscription de la cour royale de Tiébélé sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Nous avons profité de l’occasion pour braquer nos projecteurs sur ce site-là et toute la zone environnante.
Durant ces trois mois de tourisme interne, est-ce que l’appel lancé a été entendu par les populations ? Autrement, est-ce que les populations consomment « tourisme » ?
La communication que nous faisons a un impact. C’est très tôt pour avancer des chiffres, mais les retours que nous avons sont assez satisfaisants. Nous sommes sollicités à tout moment par des groupes, des individus, pour avoir des informations sur les sites, notamment comment y aller, comment payer, et par quel moyen y accéder. Cela nous rassure que les Burkinabè ont entendu l’appel, qu’ils sont sur le terrain et visitent les sites. Quand nous sortons en mission ou en activité de promotion, nous rencontrons fréquemment des groupes qui visitent les sites touristiques. La difficulté que nous aurons, c’est la collecte des informations. Nous sommes en période de résilience.
Cela fait un long moment que les sites ont reçu autant de visites ; ce qui fait que les mécanismes de collecte sont en berne. C’est à ce niveau que nous estimons qu’il y a un travail à faire. Mais déjà, les retours que nous avons sont bons. La promotion est un travail de longue haleine. Et nous nous pensons que les retombées se feront sentir deux, trois ans après. Mais d’ores et déjà, c’est une très bonne saison de tourisme interne qu’on a démontré. Les Burkinabè sont en train de faire du tourisme leur affaire. On pensait que c’était une activité réservée aux Occidentaux. Mais finalement, les gens commencent à comprendre qu’il n’en est rien.
Qu’en est-il de l’affluence côté tourisme récepteur ?
Le Burkina Faso traverse une crise sécuritaire qu’on est en train de juguler. Mais j’avoue que l’affluence côté tourisme récepteur n’est plus aussi dynamique qu’avant. La carte de notre pays est exagérément peinte en rouge par certains. Mais on a vu les mêmes qui le font, la peindre en blanc en fonction de leurs humeurs. Ce qu’il faut retenir c’est que le Burkina Faso est un pays fréquentable. Il y a des statistiques, mais c’est chaque deux ans qu’elles sont éditées.
Les dernières datent de 2022. Et à cette période, nous étions autour de 340 000 visiteurs. C’est vrai qu’il y avait une hausse entre 2020 et 2022. Mais entre 2022 et 2023, avec la grande campagne de déstabilisation qui a été menée contre le Burkina, le tourisme récepteur a pris un coup. Par contre, au niveau du tourisme interne, il y a une hausse. De plus en plus, les Burkinabè visitent le Burkina. Bientôt, les statistiques viendront confirmer cela.
Le 26 juillet 2024, le drapeau du Burkina Faso était encore hissé plus haut, mais cette fois-ci, avec l’inscription de la cour royale de Tiébélé sur la prestigieuse liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Comment avez-vous vécu cette victoire dès les premiers instants ?
On a accueilli cette information avec beaucoup de joie. J’étais en Zambie. Et c’est au cours d’une réunion avec les grands noms du tourisme au monde que nous avons appris et profité porter la nouvelle à toute l’assistance. Les gens ont applaudi cette victoire et étaient étonnés qu’on ait jusqu’à quatre sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Et la liste d’attente est très longue. Bien d’autres sites attendent d’en faire partie. Désormais, tout le monde entier sait qu’au Burkina Faso, il y a un site d’envergure. C’est devenu un patrimoine mondial. Il n’appartient plus au Burkina Faso seulement.
Mais il appartient aussi à tout le monde entier. La deuxième chose que nous avons ressenti, c’est la lourde responsabilité que nous avons d’entretenir ce site-là, le rendre beaucoup plus visible, faire en sorte qu’il reflète son titre. L’inscription n’est qu’une étape. Mais derrière, il y a la mise en valeur et la promotion qui est prioritairement le rôle de l’ONTB. Nous recevons donc cette nouvelle avec beaucoup d’introspection parce qu’avec les ruines de Loropéni, ça n’a pas été assez simple. Le Parc W est lui aussi actuellement dans une situation assez difficile. Nous devons tout faire pour que ce site-là ne subisse pas le sort que les autres sont en train de subir.
Quel est le travail qui est fait en amont pour désigner le site à proposer aux grands décideurs, aux fins de l’inscrire sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO ?
Il y a une dizaine de critères qu’il faut remplir. Parmi eux, je relève, pèle mêle, l’authenticité du site, le fait qu’il n’ait pas subit beaucoup de modernisation, qu’il revête un intérêt historique et sociologique pour les communautés. En plus des critères, il y a un travail scientifique qui doit être fait. Et si tout cela est rempli, le dossier est porté au niveau mondial. Et une fois-là, on se demande l’intérêt que revêt ce site pour le monde. On sait que les choses ont beaucoup évoluées. Mais qu’est ce qui reste de notre passé et mérite d’être promu et valorisé pour les générations actuelles et futures ?
C’est tout cela qui est apprécié et débattu. Une fois que le site est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, ils sont de plus en plus portés, protégés, bénéficient d’un accompagnement technique, financier et ont l’avantage d’attirer beaucoup plus de monde. Le fait d’avoir un site de ce genre peut permettre au pays d’abriter de grandes conférences lorsque le thème choisi est en lien avec le site en question. Il y a beaucoup d’implication en ce moment-là. Mais il faut savoir que tous les sites ne peuvent pas y être inscrits et on n’est pas forcement obligé d’y inscrire un site pour qu’il ait de la valeur.
Parlant de résilience, quels sont les mécanismes mis en place pour assurer la protection des sites touristiques situés dans les zones sensibles ?
Il est vrai que depuis une dizaine d’années, le Burkina Faso fait face à de multiples crises. D’abord sécuritaire, ensuite humanitaire, sanitaire avec la covid-19. Nous sommes passés par toutes les épreuves. Mais depuis le début, l’administration cultuelle et touristique a mis en place un certain nombre de mesures pour la protection des œuvres culturelles et des sites touristiques vulnérables, cibles des personnes malveillantes. Il y a des sites qu’on ne peut pas totalement sécuriser du fait de leurs natures et de leurs situations géographiques. Là, il est difficile de mettre un dispositif sécuritaire permanent. Ces sites-là sont certainement exposés. Mais il y a des sites, des œuvres du patrimoine qui sont sécurisés. Et c’est aussi l’occasion de saluer la résilience des populations parce qu’avec la crise sécuritaire, les populations en se protégeant, protègent également les sites, parce qu’ils sont d’abord leur patrimoine, avant d’être celui de l’Etat et du monde.
A ce propos, a-t-on à ce jour une estimation des sites accessibles au Burkina Faso ?
C’est difficile de faire les statistiques exactes aujourd’hui ! Et tant qu’on ne fait pas le tour, on ne peut s’imaginer cela. A Ouahigouya, la vie continue. A Fada, la vie continue. A Diapaga, la vie continue. Les sites à l’intérieur des villes sont accessibles. Et en dehors des zones sensibles qui constituent d’ailleurs à ce jour une infime partie du territoire, la majeure partie des sites touristiques sont accessibles. Les sites que nous déconseillons actuellement sont ceux de la zone de l’est, dans les campements pour être précis ; aussi, l’extrême nord. Sinon, le reste du territoire est accessible.
Parlant toujours d’accessibilité, on sait que les routes qui mènent aux sites touristiques sont souvent impraticables. Jusque-là, quelles sont les mesures prises pour remédier à leur état dégradé ?
C’est vrai que c’est un volet à dynamiser. Mais il ne faut pas oublier que les sites sont en campagne. Les routes sont souvent dégagées, mais c’est l’entretien courant qui ne suit pas toujours. Au départ, l’administration en charge du tourisme avait pris l’engagement d’aménager les sites et, par moments, travailler avec les collectivités à dégager les voies d’accès. Mais avec l’évolution des choses, on s’est rendu compte que la tâche est lourde !
Ce sont des chantiers qui nécessitent beaucoup de moyens financiers. En jetant un regard sur les attributions des différents ministères, il y a un grand rôle que doit jouer le ministère en charge des infrastructures. Et nous comptons beaucoup sur la collaboration entre les différentes collectivités et les différents ministères, ne serait-ce que pour dégager les principales voies d’accès. Pour ce qui est des pistes, les groupements villageois s’en chargent souvent et l’ONTB lui-même accompagne, par moment. Nous espérons qu’il y aura un plan d’aménagement global à l’issue de la crise pour que les sites soient accessibles.
Mais au fond, est-ce que la difficulté pour se rendre dans un site touristique ne rend pas la découverte encore plus belle ?
Je crois que c’est juste ce que vous dites. Je vous prends un exemple. La route Banfora-Sindou est un grand axe. Avant d’être bitumée, les grands touristes et les grands voyageurs qui y vont avaient souhaité que cette route-là ne soit pas bitumée. La beauté, c’est aussi cela. L’harmonie avec tout l’environnement autour. En mettant du bitume, en détruisant les arbres tout autour, la voie devient extrêmement empruntée, et cela contribue à enlever un peu de charme à la zone. Aujourd’hui, le plaisir qu’on éprouvait en allant découvrir les pics de Sindou n’est plus le même.
Ce n’est plus la même beauté et en prenant le goudron, c’est un peu fade ! Pour un touriste averti, l’état des routes ne doit pas constituer un frein à sa visite. Au contraire, cela permet aux visiteurs d’être en contact avec la nature. En quittant Pô pour rejoindre le Pic du Nahouri, lorsque vous descendez du goudron, c’est avec plaisir que vous arpentez les pistes pour vous y retrouver. Tout le chemin que l’on parcourt en traversant les ruisseaux, les champs, fait partie de la beauté du tourisme. C’est vrai qu’il faut aménager les voies principales d’accès, mais il n’y a vraiment rien d’alarmant.
Ce 27 septembre 2024 marque la journée mondiale du tourisme. Que vous inspire-t-elle ?
Pour nous, c’est une journée d’introspection. L’année passée, le thème était en lien avec l’investissement vert. Cette année, le thème retenu est : « Tourisme et paix ». Le tourisme est une activité d’envergure. Et s’il n’est pas bien canalisé, les répercussions sur la paix peuvent se faire sentir. Ce thème pour nous est interpellateur. Il vient à point nommé parce qu’on a tous besoin de paix. De notre côté, nous allons travailler à montrer en quoi le tourisme peut contribuer à la paix. Il suffit d’observer un peu le tourisme religieux, où les gens vont de pays en pays pour des cultes et des prières. La religion prône la paix. Et si l’ensemble de ces touristes-là pose des actes de paix et de stabilité, le monde irait mieux.
Au Burkina, les activités ont commencé depuis le 19 septembre et se poursuivent jusqu’à ce jour. Nous organiserons des excursions touristiques, au profit d’un certain nombre de cibles beaucoup plus concernées par le thème de cette année. Il s’agit des jeunes et des acteurs pouvant influencer les mentalités. Mais hormis cela, la réflexion se poursuit tout au long de l’année parce que quoi qu’on dise, le tourisme rapproche les communautés. C’est une activité de contact et c’est à la faveur du tourisme que les gens se découvrent davantage et se tolèrent car comme on le dit : « mieux on se connaît, mieux on se tolère. »
Un mot pour clôturer cet entretien ?
Merci à Lefaso.net qui ne cesse d’accompagner les efforts de tourisme au Burkina Faso. Merci aux autorités qui ne ménagent aucun effort pour accompagner le secteur, et ce, malgré la situation. Depuis un certain moment, il y a beaucoup d’activités de promotion qui se mènent. C’est vraiment pour que le secteur tienne le coup et traverse cette période difficile. Enfin, j’aimerais dire aux Burkinabè d’aimer leur pays, de se rendre compte qu’à travers le tourisme, ils peuvent mieux le découvrir et mieux prendre soin de lui. Ce que nous avons en termes de potentialités au Burkina n’existe nulle part ailleurs. De l’autre côté tout est d’ailleurs artificiel, mais ici, tout est naturel. Il suffit d’avoir le courage de bouger une seule fois et vous verrez que le Burkina Faso est magnifique !
Propos recueillis par Erwan Compaoré
Lefaso.net