Burkina : « Les agences de communication doivent se réinventer », Salif Sanfo, président de Publicitaires Associés
Président de Publicitaires Associés, Salif Sanfo est un communicant professionnel qui a roulé sa bosse dans plusieurs services de communication. Dans cette interview qu’il nous a accordée, il revient sur les crises que traverse le monde de la communication à l’ère du numérique. Dans ce contexte de crise, il invite les entreprises de communication à se réinventer et à travailler sur les sujets comme la communication de crise, le changement de comportement, la sensibilisation, les questions promues par l’État comme le civisme, le patriotisme, et aussi désarmer les esprits.
Lefaso.net : Dites-nous quel est votre parcours comme passionné de communication ?
Salif Sanfo : J’ai un parcours atypique et je pense que j’ai mis la charrue avant les bœufs. J’ai commencé par la pratique avant de faire un cursus académique. Déjà à l’âge de douze ans, j’avais commencé à la radio Horizon Fm. J’animais une émission pour enfants et je présentais aussi le journal des enfants. Parlant de cette expérience, j’en profite pour rendre hommage au regretté Moustapha Thiombiano qui m’a tendu la perche et à Thierry Ky dit Jean Yves Lormeau qui a écrit mon premier journal. Au fur et à mesure, j’animais les émissions des adolescents puis Jeunessemania. Après, j’ai commencé à écrire pour Junior vision, Star mag et des magazines culturels orientés vers les jeunes. Par la même occasion, j’ai commencé à faire de la maitrise de cérémonies. Ensuite, j’ai fait de la télé. Puis d’évènement en évènement, je suis rentré dans booking, le management et la production des artistes. Au fur et à mesure que j’évoluais dans le milieu de la culture et de la communication, les sollicitations créaient en même temps des métiers.
Toute ces années de pratique ont été renforcées par la théorie puisque je suis diplômé de l’Université de Ouagadougou en arts et communication avec comme spécialité la communication des entreprises et les relations publiques. Je suis également diplômé de l’université Senghor d’Alexandrie, où j’ai fait un diplôme en gestion organisationnelle et financière des entreprises culturelles. J’ai aussi eu la chance d’avoir une bourse dans le cadre de l’initiative Africa de Goethe Institute. En Allemagne, une certification en management des projets culturels (Advance training program in cultural management).
Comment est née cette passion pour les métiers de la communication et de la culture ?
Je pense que c’est une passion innée et en plus je suis né d’une famille où le mécénat culturel était déjà une réalité. Mon regretté oncle, feu Madi Sanfo, était l’un des premiers à construire une salle de ciné au Burkina Faso et à faire venir des artistes étrangers au Burkina Faso. Il a soutenu pas mal d’artistes nationaux (Georges Ouédraogo, Bamogo Jean Claude dit Man, etc.), produit des artistes comme Salif Keïta, Kandia Kouyaté, Mory Kanté. J’aime la communication et j’ai toujours voulu faire de la communication. Je pense que c’est cette passion qui me motive jusque-là.
Vous avez la casquette d’enseignant dans les métiers de communication, maître de cérémonie, responsable de communication, etc. Comment arrivez-vous à concilier tous ces métiers ?
Chaque métier a ses exigences. Je pense aussi que c’est aussi une question d’organisation. C’est vrai qu’il y a des moments où les agendas se chevauchent mais je pense qu’on arrive toujours à trouver le juste milieu pour que l’un n’empiète pas sur l’autre. Par exemple, quand je travaillais dans le secteur minier, j’ai troqué le micro pour le mégaphone et je travaillais plus avec les communautés sur les questions environnementales, les AGR, la RSE, etc. et je faisais quasi plus de prestation de MC. Pour l’enseignement, c’est grâce à Yacouba Traoré avec l’ISTIC que j’ai fait mes premiers pas en tant qu’enseignant pour partager mon expérience. J’étais formateur sur certains projets, mais c’était ma première fois dans un institut. Je suis de ceux qui pensent que nous devons faire en sorte que le savoir-faire théorique rencontre les besoins professionnels pour plus d’efficacité. Malheureusement, beaucoup sortent souvent des universités sans aucune expérience professionnelle. A l’IAM, par exemple, j’enseigne la communication événementielle. Et à chaque module, nous faisons des efforts pour que les étudiants puissent, en plus de la théorie, vivre des expériences pratiques et puissent échanger avec des professionnels du secteur. En même temps, nous apprenons aussi d’eux parce que ce module me permet aussi d’apprendre de la jeune génération, notamment, le numérique que je ne maîtrise pas forcément bien et qui est en constante mutation.
Le numérique a d’ailleurs bouleversé beaucoup de métiers dont ceux de communication. Comment voyez-vous les métiers de la communication à l’ère du numérique ?
Comme je vous le disais au début, je suis un enfant de la radio et de la télé. Après Multimédia TV, j’ai fait la télévision privée Canal 3. Nous avons été les pionniers des émissions télé à succès sur cette chaine de télé. Je me rappelle de "Entre Nous », « Tac au Tac", et bien d’autres. En 2006, au début de l’expansion du numérique, j’étais à Alexandrie, en Egypte. J’étais déjà sur Hi5 qui est l’ancêtre de Facebook. Comme après les études je n’avais pas trop d’activités, je me connectais sur ce réseau. Mais de retour au bercail, j’avoue que je n’avais même plus le temps de me connecter et puis la connexion était difficile à l’époque.
Donc après Hi5 et la période de MySpace, j’ai raté pleins d’épisodes des débuts de Facebook. Je me rappelle que c’est un jeune frère de NTBF, Karim, qui m’a mis la pression pour la création de mon compte Facebook de l’époque. De fil en aiguille, j’ai dépassé la barre des 5 000 amis et il a transformé ce compte en page. Honnêtement, je n’avais pas le temps de répondre et les abonnés sont passés à 14 000 maintenant. Je le fais de plus en plus et je travaille à être régulier, j’en profite d’ailleurs pour m’excuser auprès de certains de mes followers. Déjà, dans le monde du réel, ce n’est pas évident et avec le monde du virtuel, c’est encore plus compliqué.
En réalité, le numérique est une opportunité pour booster la créativité, l’efficience, parce que ce qu’on faisait en deux semaines, un mois, aujourd’hui on peut le faire en 30 secondes. Mais j’avoue que c’est effrayant. Je pense que la première fois que les gens ont vu la calculatrice, ils ont dû être interloqués… Mais je vous assure qu’après 25 ans d’études et 30 ans de pratique dans le monde de la communication et des ICC, j’ai quelques appréhensions par rapport à ce nouveau monde qui correspond aussi à un bouleversement total de l’histoire du monde. Actuellement, partout c’est difficile. Avec le numérique, agences de communication doivent se réinventer et exercer dans le strict respect de la loi 080 et son décret d’application. Il faut qu’on se réinvente et que le législateur puisse se mettre dans l’air du temps parce que c’est la loi désormais qui va nous aider à utiliser au mieux ces technologies numériques. Il ne faut pas que le numérique nous déshumanise. Nous devons mieux profiter de ces opportunités pour ne pas qu’elles nous nuisent.
Grâce aux opportunités de communications offertes par le numérique, n’importe quel usager de la toile peut se définir communicant. Quelle analyse faite-vous de ce phénomène en tant que communicant de métier ?
Souvent, j’ai mal pour toutes ces années consacrées à des études en communication, quand certains se réclament communicants professionnels, juste parce qu’ils ont des pages dynamiques ou juste parce qu’ils ont une opportunité qu’ils ont saisi. Ce n’est pas si simple ça. Tous les usagers ne sont pas des professionnels de communication. Si l’on part de votre postulat, tout le monde est communicant, du bébé qui pleure à celui qui vend à la criée, l’élève, l’étudiant, tout le monde peut se réclamer communicant mais quand il s’agit de l’exercice du métier de communicant professionnel, je pense qu’il y a des nuances à faire. Il y a certes des autodidactes qui font un travail remarquable mais il ne faut pas que l’arbre cache la forêt. La communication au sens professionnel du terme, est un vaste océan de métiers avec plusieurs débouchés professionnelles surtout maintenant avec l’avènement du digital et bientôt avec l’IA. A l’intérieur de chaque corps de métiers il y a des professions et des spécialisations. Avec le numérique, il est évident que des métiers traditionnels vont disparaitre au profit de nouveaux métiers. Certains d’ailleurs ont commencé à disparaitre et beaucoup vont renaitre avec le digital. Le challenge aujourd’hui est le respect de la loi car les espaces publics numériques ne doivent pas être des zones de non-droit où l’on peut tout faire et tout dire. C’est le challenge que nous avons en tant que professionnels de la communication. Par exemple, la question des fake-news et des publicités mensongères est devenue très sérieuse. Il est de plus en plus difficile de distinguer le vrai du faux. La désinformation est devenue carrément une industrie et cela entrave véritablement le développement du marché de la communication et de la publicité.
Vous êtes le président de Publicitaires Associés. Quels sont les défis majeurs de ce secteur au Burkina ?
Nos défis au niveau de Publicitaires Associés sont énormes et c’est ensemble que nous allons les relever. Je profite de l’occasion pour remercier le ministère en charge de la communication (désormais érigé en ministère d’État) ainsi que le Conseil supérieur de la communication (CSC) qui, dans sa nouvelle configuration, prend en compte la question sur le monde du numérique. Je n’oublie pas le ministère en charge du commerce et celui en charge du digital avec qui nous comptons mener des actions pour une meilleure digitalisation des entreprises de communication. Nous comptons sur eux pour l’atteinte des objectifs.
Pour nous, le défi majeur reste le respect de la loi n°080 portant règlementation de la publicité au Burkina Faso et son décret d’application. L’assainissement du secteur à travers cette loi, va permettre la viabilité et la pérennité des entreprises nationales de communication (les agences conseils, les régies publicitaires ; les éditeurs publicitaires et les courtiers en publicité). Il y a dejà des métiers qui ont disparu. Lors du dernier recensement des entreprises de communication reconnus par le CSC, il n’y a quasiment plus de courtiers en activité. Le marché se rétrécit au fur et à mesure car la publicité est fortement liée à la croissance économique. C’est quand l’activité économique est foisonnante que le besoin de communiquer croit aussi, c’est comme des vases communicants.
Actuellement nous sommes dans une situation de guerre, il faut donc se réinventer et travailler sur les sujets comme la communication de crise, le changement de comportement, la sensibilisation, les questions aujourd’hui promues par l’État comme le civisme, le patriotisme, et aussi désarmer les esprits. Toutes nos stratégies convergent vers cela. Nous souhaitons vraiment, avec le CSC et le ministère en charge de la communication, renforcer d’abord la sensibilisation, parce que beaucoup ne connaissent pas la loi et certains font semblant de ne pas la connaître. Ensuite il va falloir sévir à moyen terme après la sensibilisation, sinon l’heure est grave. Beaucoup d’entreprises non reconnues par le CSC exercent illégalement et se font de bons chiffres d’affaires pendant que des entreprises de communication reconnues par le CSC ferment parce qu’elles n’arrivent plus tenir debout car les chiffres d’affaires ont été divisés par deux, trois voire quatre.
Aujourd’hui, certains sont obligés de faire des compressions parce qu’ils ne peuvent plus payer les salaires de leurs employés. Les cas sont légion et de plus en plus critiques et si cela perdure, beaucoup de travailleurs dans le secteur risquent de chômage. C’est la raison pour laquelle nous sommes obligés de nous réinventer. Je regardais la dernière fois certains médias, qui eux-mêmes, sont en porte-à-faux avec la loi. Sur la toile, à la faveur des outils de l’IA, des gens font la promotion de spots publicitaires à 6 000 FCFA. Comment pourrons-nous faire pour construire un secteur viable avec ces types de tarifications ? Déjà que les tarifs au Burkina Faso sont très bas par rapport à d’autres pays de la sous-région pour les prestations et services de communication, comment faire pour ne pas clochardiser les professionnels de ce secteur, préserver les emplois et contribuer au développement du pays ? Par exemple, je suis d’une génération où on voyait des agences vendre des visuels à 150 000, 200 000 FCFA. Aujourd’hui, on voit les visuels sont à 3 000 ou 5000 francs CFA. C’est l’œuvre des nouveaux outils et de ces nouveaux communicants qui, pour la plupart, n’ont quasiment pas de charges (ils ne paient pas de bail, pas de charges salariales ni d’impôts). Il faut qu’on rejoigne tous la veille. La veille stratégique doit également prendre en compte ces détails pour ne pas tuer les entreprises de communication qui triment déjà face à la crise. A cette allure, même pour des stages, certains de nos cadets et de nos enfants auront du mal au regard de la croissance du taux de fermeture des entreprises de communication.
Aujourd’hui, on entend aussi parler de communication de guerre. Vous en tant que communicant professionnel, quels sont les défis actuels du monde de la communication dans ce contexte de guerre ?
C’est la mobilisation et la lutte contre la désinformation. En tant de guerre, chacun fait des spéculations et c’est à qui mieux mieux. Je rappelle que les périodes de guerre sont des périodes charnières où des grosses actions de communication et de propagande sont mises en place pour mobiliser. C’est le défi actuel, garder le moral des troupes haut et mobiliser tous les Burkinabè autour des actions du gouvernement. J’en profite pour tirer mon chapeau à tous les FDS et les VDP pour le travail abattu. Je m’incline aussi sur la mémoire de ceux qui ont malheureusement ont répondu à l’appel de Dieu au nom de la sauvegarde de la Patrie, au nom de la paix que nous voulons tous. Que la terre leur soit légère, que Dieu apaise les cœurs et que vivement la paix revienne au Burkina Faso.
Vous avez été député à l’Assemblée législative de transition ALT 1. Pouvez vous nous parler de cette expérience ?
La communauté culturelle, à travers la Confédération nationale de la culture, a bien voulu me désigner comme représentant à l’Assemblée législative de transition (ALT.1). Ce fut une belle expérience. Elle a été difficile à certains égards mais très enrichissante. Je n’ai jamais rêvé être député de ma vie et dans mon plan de carrière, il y a tout sauf député. La plupart du temps, ce sont des carrières qu’on ne peut embrasser que dans le cadre politique. Pourtant, je me suis toujours éloigné de ce cadre. Mais quand Dieu décide, tu n’y peux rien. Je pense que ça faisait partie de mon destin et je remercie ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à l’accomplissement de cette mission et félicite mes collègues députés pour le travail qu’ils accomplissent.
Un mot pour conclure cet entretien ?
Je remercie Lefaso.net et tous ces VDP de la communication et des médias qui abattent un grand boulot. Je les invite à plus de résilience parce que ce n’est pas facile actuellement et aussi à l’union sacrée parce que c’est en se donnant la main qu’on va relever les défis qui s’imposent à notre secteur. Je les exhorte une fois de plus à se réinventer et à se mobiliser davantage pour le "Communicathon", initiative citoyenne de levée de fonds des entreprises de communication pour soutenir l’effort de paix ; qui sera lancée, comme la précédente, lors de la prochaine Rentrée publicitaire qui s’annonce déjà dans le dernier trimestre de l’année. Je reste convaincu que demain sera meilleur.
Interview réalisée par Serge Ika Ki et retranscrite par Anita Zongo et Clémentine Koama
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