Burkina / Journée des chauves : Ambroise Zongo couronné "roi des chauves" de la commune de Laye
Des idées pour promouvoir la cohésion sociale, il y en a à foison. Et pour renforcer le tissu social de sa commune, Laye n’a visiblement pas manqué d’initiatives. Rendre hommage aux chauves, voilà l’activité que les habitants de cette localité située à une trentaine de kilomètres au nord de Ouagadougou a trouvé pour se rassembler et partager des moments de joie. Le dimanche 8 septembre 2024, s’est tenue à cet effet la journée des chauves. À l’issue des confrontations, c’est Ambroise Zongo qui a été désigné comme « l’homme le plus chauve de Laye ».
Il est 15h et les rayons de soleil sont encore luisants. Dans la commune de Laye, hommes, femmes, enfants se réunissent après avoir vaqué à leurs occupations et fini leur journée au champ, pour la journée des chauves. Si certains peuvent voir en cette activité un non-sens, les populations de Laye, elles, y voit un véritable facteur de cohésion sociale, un moment festif, un moment de joie, un instant pour se défouler, déstresser, oublier un tant soit peu la pression et les charges que la vie leur impose.
Venus donc des quatre coins de la commune, des villages voisins et même de la ville, ils étaient nombreux à rejoindre le point de rendez-vous pour assister à cette activité devenue culturelle, qui sort de l’ordinaire. Les participants de cette année sont tous des personnes du troisième âge et essentiellement des hommes. Il n’y a jusque-là pas eu de femme qui a participé à la compétition. Manque de courage ou honte de faire voir sa calvitie ? « On les encourage à s’inscrire. Mais les inscriptions sont libres. On ne force personne. Avec le temps, nous pensons qu’une viendra de son plein gré et ça ouvrira la porte aux autres », nous répond le président du jury de la compétition, Joël Zongo.
Jugés sur le « frontal et la nuque »
15h30. Le site qui abrite la compétition est plein de monde. Le maître de cérémonie, annonçant le début des hostilités, passe le micro au président du jury qui explique les critères sur lesquels seront évalués les compétiteurs du jour. Sur 21 inscrits, onze ont répondu présents pour hériter du titre « d’homme le plus chauve de la commune de Laye ». « Vous serez jugés sur la base de deux critères. Le premier, c’est le frontal. Le second, la nuque. Quand vous arrivez devant nous, vous vous abaissez pour qu’on regarde la forme de votre tête à l’avant, et vous vous retournez pour qu’on voit la nuque. Cela nous permettra de voir l’étendue de la calvitie et savoir si elle est réelle ou si vous vous êtes juste rasés pour la circonstance », a-t-il détaillé avant de déclarer ouverte la compétition.
Ainsi, à l’appel de son nom, chaque candidat s’avance sous la résonnance d’une musique du terroir et les acclamations de la foule. Puis, se présentant devant les jurés, il développe sa propre stratégie pour non seulement plaire au public et susciter des applaudissements, mais aussi montrer aux jurés toute la surface de sa tête, allant de l’avant à l’arrière. Debout, accroupi, de profil, remuant la tête, esquissant des pas de danse ou effectuant des grimaces qui suscitaient des éclats de rire, chacun y va de son ingéniosité pour faire découvrir au monde « ce don de Dieu qui lui a été fait ».
« Ça fait trois fois que je gagne, je préfère céder ma place cette fois-ci »
Après la démonstration de chaque candidat, le septuagénaire Pierre Tapsoba est retenu comme « homme le plus chauve de la commune de Laye ». S’avançant dans le même temps, les bras levés comme un politicien pour dire merci à la foule qui l’applaudit à s’en rompre les phalanges, l’homme dit se réjouir de cette distinction. « Je suis content de remporter cette compétition. Je remercie tous ceux qui m’ont soutenu. Mais ça fait la troisième fois que je gagne. Cette année-là, je crois que je vais laisser ma place au deuxième, monsieur Ambroise Zongo, pour le soutenir lui aussi. C’est un frère à moi et on se suit tout le temps. Comme ça chacun gagne de son côté, et on peut continuer à avancer ensemble ».
Un geste qui a suscité à nouveau un tonnerre d’applaudissements pour l’élu du jour, qui a décidé de faire briller un autre à sa place. Pour saluer cet acte de solidarité et de générosité, des dons, offert çà et là, ont raccompagné l’homme chez lui, visiblement tout heureux de partager sa joie avec les autres. « Je suis très content. Et je voudrais remercier mon ami qui m’a donné sa place aujourd’hui. Que Dieu le bénisse ! Que Dieu bénisse les organisateurs ! Que chaque année, la compétition puisse se tenir encore et encore ! Je suis vraiment content ! » s’est exclamé Ambroise Zongo.
« C’est ça le Burkina ! C’est ce qu’on veut ! C’est un geste de sagesse ! Un geste qui prouve que la commune est unie. C’est ce dont le Burkina a besoin... On voit que cette activité contribue à promouvoir la commune de Laye. Les populations devraient se l’approprier encore et encore ; que les autorités coutumières, politiques s’y impliquent davantage et soutiennent le projet pour accompagner nos grands-parents. On peut voir qu’ils sont contents. Et ça, ça fait la fierté aussi de tout un chacun. C’est le plus important », a laissé entendre Rasmané Compaoré, parrain de cette neuvième édition.
La dérision, utilisée pour surmonter une situation
Si cette activité se tenait en ville, beaucoup aurait réfléchi par deux fois avant de s’y inscrire. Les villages sont connus pour être assez conservateurs, et les activités qui favorisent la cohésion sociale y sont toujours pratiquées, quoiqu’elles puissent être jugées dévalorisantes par ceux qui n’en connaissent pas la portée. Pour Adiza Wando, cette activité n’a rien de rabaissant et n’écorche en aucun cas la dignité des compétiteurs, quand bien même elle provoque des moqueries vis-à-vis du sujet qui l’exerce. Pour elle cela constitue une partie de la culture burkinabè : « c’est ce qui fait la force de nos cultures ».
« On peut se moquer de ses propres insuffisances. Cela fait partie des cultures burkinabè. Utiliser l’humour, la dérision, l’autodérision, pour arriver à surmonter une situation et faire de cette situation un atout, une force. Dans nos sociétés, un homme qui est chauve est considéré comme un aîné, un sage, un modèle sur qui la jeunesse peut s’appuyer pour grandir. Et même si la personne n’est pas âgée, cela l’emmène à s’assagir davantage car il sait que désormais, la société à un œil sur elle », a-t-elle ajouté.
Celle qui est aussi évaluateur de projet explique que dans son domaine, il y a, pour toute activité, ce qu’on appelle les résultats non-planifiés. Ici, le résultat non-planifié, dit-elle, c’est l’acte du champion de la soirée, Pierre Tapsoba. « Je suis venue avec ma petite-fille qui est adolescente. À travers ce geste, je lui ai dit que c’est une leçon de vie, une leçon de générosité. Je lui ai dit que l’esprit de compétition qui prévaut dans notre société n’est pas ce que l’on devrait suivre. Mais qu’on devrait avancer ensemble, tirer ceux qui sont derrière vers le haut. C’est cela qui fera avancer le Burkina », se convainc-t-elle.
"Après neuf ans, le bilan est satisfaisant"
"Après neuf ans, le bilan est satisfaisant" estime Narcisse Ouédraogo, promoteur de cette compétition, qui vit à Laye depuis maintenant treize ans. « Au départ, il n’y avait pas d’engouement. Dire de quelqu’un qu’il est chauve était perçu comme une injure. Certains même pensaient que c’était une maladie. Mais avec les sensibilisations, les gens ont compris le message. Aujourd’hui, ils adhérent facilement à l’activité. Et chaque année, quand la date de la compétition approche, la population est concentrée pour attendre le jour J », a-t-il laissé entendre.
En 2025, cette activité sera à sa dixième édition. Et le promoteur promet des innovations pour rehausser encore l’éclat de la compétition.
Erwan Compaoré
Anita Zongo (stagiaire)
Auguste Paré
Lefaso.net