Burkina/Santé : Une hausse significative du VIH constatée parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes
La prévalence du VIH au sein des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes est passée de 3,6% en 2014 à 27,1% en 2022 dans les deux principales villes du Burkina Faso à savoir Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Cette hausse de la prévalence s’accompagne aussi de la régression de l’utilisation des moyens de prévention tel que le préservatif au sein de ce groupe spécifique. Ces données émanent de l’étude biocomportementale sur le VIH et estimations des tailles des populations clés, commanditée par le Secrétariat permanent du Conseil national de lutte contre le sida et les IST (SP/CNLS-IST) en 2022. Elle a été réalisée par une équipe de l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) du Burkina Faso avec l’accompagnement technique et le financement du Fonds mondial contre le paludisme, le VIH et la tuberculose et constitue la 3e du genre chez les populations clés après celles de 2014 et de 2017.
Selon les estimations d’ONUSIDA, la prévalence de l’infection à VIH dans la population adulte du Burkina Faso était estimée à 0,6% en fin 2021, contre 0,7% en fin 2018, et 0,9% en fin 2015. Le nombre de personnes vivant avec le VIH (PVVIH) était estimé à 96 000 dont 9 100 enfants de moins de 15 ans et 87 000 adultes. Parmi ces adultes, 53 000 sont des femmes.
Si la tendance est à la baisse au sein de la population générale, force est de constater qu’au sein de certains groupes spécifiques, notamment les populations clés (les professionnelles du sexe, les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, les détenus, etc.), on note une certaine concentration de l’épidémie.
Ainsi, chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH), l’étude commanditée par le SP/CNLS-IST en 2022, montre que le taux de prévalence est passé de 3,6% en 2014 à 27,1% en 2022. A noter que l’étude a concerné au total 328 et 185 HSH de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso. Le taux de prévalence au sein de ce groupe varie en fonction de la tranche d’âge et du niveau d’instruction des HSH. Le taux de prévalence est en effet beaucoup plus élevé chez les HSH de plus de 25 ans.
Selon l’étude, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes qui s’identifient comme « femmes » sont significativement plus infectés par le VIH que leurs pairs « hommes » avec une séroprévalence de 44,7%. La même tendance est observée pour la séroprévalence de la syphilis et de l’hépatite B. Cela pourrait s’expliquer par le fait que ces HSH qui s’identifient comme « femmes » sont plus sujets à des rapports anaux réceptifs qui sont plus à risque d’acquisition du VIH et des IST en général que les rapports insertifs généralement pratiqués par les « hommes ».
La hausse du taux de prévalence au sein des HSH pourrait s’expliquer par diverses raisons. L’une de ces raisons, c’est la faible exposition des HSH aux efforts de prévention du VIH. Seulement un HSH sur deux (52,3%) a déclaré avoir reçu des préservatifs et des lubrifiants gratuitement au cours des trois derniers mois ayant précédé l’enquête, tandis que 38,4% et 28,3% ont bénéficié d’un test de diagnostic d’une IST. Ceux ayant bénéficié de conseil d’un pair éducateur sur le VIH durant les six derniers mois n’étaient que 28,3% de l’effectif des HSH (26,5% à Ouagadougou et 33,0% à Bobo-Dioulasso).
Une autre raison qui pourrait expliquer ce taux de prévalence élevé au sein des HSH, ce sont les comportements à risque tels que la non utilisation du préservatif et le multi partenariat sexuel. En effet, au cours des six derniers mois ayant précédé l’enquête, 54,5% des HSH ont déclaré avoir eu des rapports sexuels avec des partenaires masculins et féminins ; 64,3% ont déclaré avoir eu des rapports sexuels anaux avec au moins deux partenaires sexuels masculins (57,6% à Ouagadougou contre 82,2% à Bobo-Dioulasso) et 26,4% ont eu des rapports sexuels vaginaux avec au moins deux partenaires sexuelles féminines (23,5% à Ouagadougou et 34,1% à Bobo-Dioulasso).
L’utilisation du condom au dernier rapport sexuel n’a été effective que dans 69,5% et 69,9% des cas avec un partenaire sexuel masculin et féminin régulier, contre 83,2% et 87,4% lorsque le partenaire sexuel était masculin, occasionnel et féminin occasionnel respectivement. D’une manière générale, selon l’étude, comparativement aux données antérieures, on constate une régression dans l’utilisation du préservatif.
Selon le type de rapport sexuel, seulement 43,7% (49,9% à Ouagadougou contre 24,5% à Bobo- Dioulasso) des rapports sexuels anaux réceptifs ont fait l’objet d’une utilisation systématique du condom durant les six derniers mois (contre 50% pour les rapports anaux insertifs. L’étude de 2017 rapportait un taux d’utilisation global du préservatif au dernier rapport anal de 87,2%. Ainsi, comparativement à ses niveaux de 2010, 2014 et 2017, le taux d’utilisation du préservatif au dernier rapport anal semble avoir régressé. En effet, de 76,3% en 2014, puis 87,2% en 2017, ce taux a chuté à 43,7% en 2022.
Exposition aux IST et méconnaissance des modes de transmissions de VIH
Les HSH sont fortement exposés aux infections sexuellement transmissibles et ne bénéficient pas toujours de soins appropriés. Selon l’étude, Il ressort qu’un peu plus d’un HSH sur dix (12,2%) a rapporté des symptômes d’IST durant les 6 derniers mois et autant (11,4%) ont reçu un diagnostic d’IST par un professionnel de santé durant les six derniers mois. Quant à la prise en charge de ces IST, seulement 48,9% des HSH ayant rapporté des symptômes ou ayant bénéficié d’un diagnostic par un professionnel de santé ont reçu un traitement au cours du dernier épisode. Ce pourcentage était de 51,2% à Ouagadougou contre 43,5% à Bobo-Dioulasso.
A titre illustratif, respectivement 3,0% et 5,8% des HSH étaient testés positifs à la syphilis et à l’hépatite B.
Alors que l’on pourrait s’attendre à ce que les membres de ce groupe à risque aient des connaissances approfondis sur le VIH/SIDA, l’étude nous révèle que si la quasi-totalité des HSH enquêtés ont déjà entendu parler du VIH, ils sont nombreux à ne pas bien connaître les modes de transmission de la maladie et à avoir de fausses idées sur le VIH. 32,3% des HSH pensent en effet, que le VIH se transmet aussi par piqure de moustique et 37,6% croient en la contamination par le partage de repas avec une personne infectée.
Un autre fait révélé par l’étude concerne l’attitude discriminatoire des HSH envers les personnes vivant avec le VIH/SIDA. Selon les résultats de l’étude, 18,5% des homosexuels rapportent avoir eu des attitudes discriminatoires à l’égard des PVVIH. Ils arrêteraient notamment d’acheter de la marchandise chez une personne infectée par le VIH, et estiment qu’un élève infecté par le VIH devrait arrêter d’aller à l’école, bien que bien portant. Les attitudes discriminatoires des HSH à l’égard des PVVIH sont plus observées à Bobo-Dioulasso (33,0%) qu’à Ouagadougou (13,1%).
Stigmatisation, violences…
Les homosexuels enquêtés se disent victimes de discrimination aussi bien dans la sphère familiale que dans la vie professionnelle. Les résultats montrent que près d’un HSH sur cinq (23,2%) a vécu au moins un épisode de discrimination durant les six (6) derniers mois qui ont précédé l’enquête (un peu plus à Bobo qu’à Ouagadougou). L’exclusion des réunions de famille et la perte d’emploi du fait d’être HSH auraient concerné respectivement 4,6% et 4,3% des HSH enquêtés.
Du fait de leur orientation sexuelle qui est désapprouvée par la société, les homosexuels sont souvent victimes de violences physiques et verbales. La peur de la stigmatisation et des violences freine la fréquentation des centres de santé par les HSH.
Les données de l’étude montrent que 6,7% des HSH enquêtés avaient déjà été victime de violence sexuelle (viol) et 7,2% avaient déjà été victime d’agressions physiques, surtout à Bobo-Dioulasso (15,6% contre 3,3% à Ouagadougou). Ces violences étaient plus courantes à Bobo-Dioulasso. Un peu plus de 4% des HSH auraient déjà perdu un emploi du fait de leur orientation sexuelle. Aussi, la stigmatisation serait à l’origine d’une peur d’aller dans les centres de santé pour plus de 15% des HSH enquêtés (12,8% à Ouagadougou et 21,2% à Bobo-Dioulasso). L’étude révèle par ailleurs que les HSH ayant vécu des violences sexuelles étaient trois fois plus à risque d’être testés positifs au VIH, que leurs pairs non victimes de ces violences.
Travailler à éliminer le VIH au sein des HSH
La cascade des soins pour l’élimination du VIH à l’horizon 2030 selon l’ONUSIDA, stipule que 95% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique, que 95% des personnes vivant avec le VIH soient sous traitement antirétroviral, et enfin que 95% de celles sous traitement antirétroviral aient une charge virale plasmatique indétectable. L’analyse de la cascade des soins ou les 3x95 de l’ONUSIDA chez les HSH, montre que pour une cible de 95% attendue, seulement 15,7% des HSH vivant avec le VIH connaissaient leur statut sérologique au moment de l’enquête. Ce pourcentage était plus élevé pour les HSH de 25 ans et plus (21,8% contre 11,1% pour les moins de 25 ans). Le deuxième 95% portant sur le pourcentage de HSH vivant avec le VIH sous traitement ARV quant à lui était de 100% au moment de l’étude, tandis que le 3e n’était que 74,4%. Ce dernier était meilleur chez les HSH âgés de 25 ans et plus (85% contre 59%).
Pour atteindre les taux recommandés par ONUSIDA, le Burkina Faso doit redoubler d’effort dans la lutte contre le VIH en particulier chez les groupes spécifiques comme les homosexuels. L’étude recommande ainsi entre autres au SP/CNLS-IST, d’accentuer les campagnes de communication sur les risques spécifiques à chaque population clé en matière de VIH, de relancer les campagnes de sensibilisation et de communication sur le VIH en population générale pour mieux atteindre les partenaires sexuels des HSH bisexuels.
L’étude mentionne en effet, que les messages de sensibilisation et de prévention à travers les médias comme la radio et la télévision auront l’avantage de toucher le plus grand nombre y compris les populations clés et leurs partenaires sexuels.
Elle recommande également de renforcer les services spécifiques de prévention du VIH, des IST et de soins de santé au profit des communautés HSH et d’évaluer les programmes et les stratégies de prévention du VIH mis en œuvre auprès HSH pour une meilleure capitalisation des insuffisances et les bonnes pratiques.
A l’endroit des HSH, l’étude recommande l’utilisation régulière des moyens de prévention tels que le préservatif et le gel lubrifiant lors des rapports sexuels à risque, l’adhésion aux mesures de prévention et de prise en charge du VIH et des IST au niveau national, et particulièrement celles ciblant les populations clés. Elle invite également les HSH à s’informer davantage sur le VIH/Sida et les IST à travers notamment les campagnes de sensibilisation en milieu communautaire, et les pair-e-s éducateur-es.
Justine Bonkoungou
Lefaso.net
Source : Etude biocomportementale sur le VIH et estimation des tailles des populations clés (HSH, TS, UD) au Burkina Faso en 2022 IBBS-Key Populations-2022