Burkina/Toéni : L’engagement payant de deux “militaires enseignants”

Dans la région de la Boucle du Mouhoun, à Toéni, la rentrée scolaire 2023-2024 a pris une tournure inattendue. Face à l’insécurité et à l’absence d’enseignants titulaires, deux gendarmes du Groupe d’action et d’intervention rapide de la Gendarmerie (GARSI) ont été appelés à la rescousse pour relever le défi inopiné de l’éducation.
Le 2 octobre 2023, la rentrée scolaire a eu lieu dans une bonne partie de la région, mais à Toéni, dans la province du Sourou, la réalité était bien différente. Les cours peinaient à démarrer et certains parents s’inquiétaient pour leurs enfants. Malgré les efforts des autorités militaires pour maintenir l’ouverture des classes, la classe de CM2 manquait toujours d’un enseignant à la mi-octobre. Nombreux ont donc préféré envoyer leurs enfants à Tougan, chef-lieu de la province. Il fallait néanmoins faire quelque chose pour ceux qui y sont restés. C’est là que l’Adjudant-chef Issé Kaboré et le Maréchal des logis Kayaba Sawadogo, deux gendarmes en mission dans la zone, ont été désignés pour relever le défi.
Pour le plus ancien des deux, l’Adjudant-chef Kaboré, accepter cette tâche n’était pas une décision difficile. “ Quand le commandement nous a demandé d’enseigner ces enfants à l’école primaire, je n’y ai trouvé aucun inconvénient. J’ai été formateur à l’école de gendarmerie pendant huit ans, donc je possède un peu de pédagogie,” explique-t-il. Pour lui, apporter sa contribution au développement du pays, même dans un contexte aussi difficile, était une évidence.
Un enseignement sous pression
Les conditions dans lesquelles ces gendarmes ont exercé leur mission étaient loin d’être classiques. Toéni est une zone rouge, régulièrement marquée par des attaques terroristes. “Nous avons plusieurs fois dû suspendre les cours pour nous défendre quand il y avait des tirs,” raconte l’Adjudant-chef Kaboré. Malgré cela, l’engagement des élèves a été un facteur clé dans la réussite de ce projet. “Les enfants nous ont dit que c’était un défi pour eux parce que leurs parents n’avaient pas les moyens de les envoyer à Tougan comme les autres. Leur engagement nous a aussi facilité la tâche,” ajoute-t-il.
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Les deux gendarmes ont su s’adapter à cette nouvelle responsabilité avec créativité. “Les mathématiques sont des disciplines concrètes, donc il suffisait de faire une petite mise à jour pour administrer les connaissances,” fait savoir le Maréchal des logis Sawadogo. En géométrie, par exemple, il utilisait des objets en carton ou en boîte qu’il fabriquait rapidement pour rendre les exercices plus accessibles aux enfants. “Avec les enfants, il faut être concret pour qu’ils comprennent mieux,” a-t-il expliqué.
En dépit des doutes initiaux, la relation entre les élèves et les militaires s’est rapidement transformée en un partenariat éducatif. “Au début, les élèves étaient surpris de voir des militaires venir les enseigner. Ils se demandaient si c’était pour la garde ou toute autre chose. Mais dès que nous avons commencé à enseigner, ils ont compris que nous connaissions notre travail,” se souvient l’Adjudant-chef Kaboré.
Une lutte contre l’ignorance et le terrorisme
Au-delà de l’enseignement, cette initiative visait à lutter contre des maux bien plus graves tels que l’ignorance, l’échec scolaire, et le risque d’enrôlement des enfants par les groupes armés terroristes. C’est ce qu’ont indiqué les deux agents. Cette mission éducative a porté fruit grâce avec l’aide des autres forces de défense et de sécurité présentes ainsi que celle des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), qui assuraient la sécurité pendant les cours. Mais, les difficultés n’étaient pas que sécuritaires. Selon ces enseignants d’urgence, seuls trois enfants sur neuf possédaient un extrait d’acte de naissance. “Entre frères d’armes, nous avons cotisé pour faire les extraits des six autres enfants à travers la délocalisation de la mairie de Toéni à Tougan,” raconte l’Adjudant-chef Kaboré. Les élèves ont finalement pu passer leur Certificat d’études primaires (CEP) à Tougan, après avoir été héliportés par l’armée de l’air.
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Le résultat de cet engagement est la réussite des neuf élèves à l’examen du CEP. Une réussite largement célébrée aussi bien par les parents que par les membres du GARSI. “Quand les résultats sont sortis, il y avait une atmosphère de fête. Les parents étaient très contents,” racontent-ils. Pour ces deux gendarmes, la joie de voir ces enfants réussir dépasse de loin toute décoration. “La réussite de ces élèves dépasse toute décoration. Parmi ces enfants, peut-être que certains seront des ministre ou des grands décideurs du pays,” espère l’Adjudant-chef.
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Une distinction méritée, un sentiment de fierté
Le parcours inédit de ces deux “militaires enseignants” a été couronné par une distinction lors de la journée de l’excellence scolaire 2024. Ils ont été élevés au rang de Chevaliers de l’Ordre des Palmes Académiques. Cette reconnaissance, remise par le ministère de l’Éducation nationale, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales (MENAPLN), vient saluer non seulement leur engagement sans faille dans une mission à haut risque, mais aussi leur contribution décisive à l’éducation dans une région marquée par l’insécurité. Pour l’Adjudant-chef Kaboré, cette décoration est bien plus qu’une simple médaille. “C’est un sentiment de joie et de fierté qui m’anime. L’acte que nous avons posé est naturel. En tant que Burkinabè, si nous pouvons apporter notre pierre au développement, on ne voit pas pourquoi hésiter,” insiste-t-il avec émotion. Quant au Maréchal des logis Sawadogo, il ressent une profonde satisfaction en voyant leurs efforts reconnus à travers cette distinction. “Je prie Dieu que ces enfants continuent loin dans les études pour eux et leurs parents,” souhaite-t-il, avec l’espoir que leur action inspire d’autres à suivre le même chemin. Les deux gendarmes pensent que la véritable récompense ne réside pas dans les honneurs, mais dans la réussite et l’espoir d’un avenir meilleur pour ces élèves.

Le soutien indéfectible de leurs épouses
Durant cette mission exigeante à Toéni, les deux militaires n’ont jamais manqué de reconnaître le rôle crucial joué par leurs épouses. Malgré la distance et les risques constants, leurs femmes ont été un pilier, offrant force et réconfort mental dans les moments les plus difficiles. “Nos épouses ont porté avec nous le poids de cette mission,” ont-ils souligné. Selon eux, la résilience et la compréhension de leurs femmes ont été essentielles pour leur permettre de se consacrer pleinement à cette double mission de protection et d’éducation. “Sans leur soutien, notre réussite aurait été bien plus difficile à atteindre,” ajoutent-t-ils, témoignant ainsi d’une profonde gratitude envers celles qui, à l’ombre de la mission, ont contribué silencieusement à leur succès.
Un dévouement inébranlable à la patrie
L’Adjudant-chef Issé Kaboré et le Maréchal des logis Kayaba Sawadogo ont chacun rejoint la gendarmerie par vocation, animés par un profond désir de servir leur pays. Pour l’Adjudant-chef Kaboré, l’appel de l’uniforme a été irrésistible dès le début. Intégré à la 30e promotion en 2002, il a consacré plus de deux décennies à protéger et servir le Burkina Faso, avec une carrière marquée par des missions variées et exigeantes. “C’est la tenue et le travail abattu par la gendarmerie qui m’ont conduit à intégrer cette institution,” confie-t-il.

De son côté, le Maréchal des logis Sawadogo, issu de la 45e promotion des élèves sous-officiers en 2017, a également choisi la gendarmerie par conviction profonde. Après sept années de service, il reste fermement attaché à sa mission, portant avec fierté les valeurs de discipline, d’engagement et de solidarité qui caractérisent ce corps d’élite. Pour ces deux hommes, intégrer la gendarmerie a été un choix de vie, un engagement envers la nation qui continue de les guider à travers chaque défi qu’ils rencontrent.
Farida Thiombiano
Lefaso.net
L’hommage des décorés aux FDS tombés
L’Adjudant-chef et le Maréchal des logis rendent un hommage solennel aux Forces de défense et de sécurité (FDS) tombées au front, en particulier celles opérant à Toéni. Pour ces gendarmes décorés, le succès de leur mission ne serait pas possible sans le travail héroïque mené avant leur arrivée. Affirmant qu’ils ne sont pas les seuls héros de l’histoire, Ils mettent en avant le rôle crucial de leurs frères qui ont œuvré dans des conditions extrêmement difficiles pour maintenir la paix au Burkina Faso. Ils insistent sur l’importance du soutien apporté par les FDS et les VDP, qui pour certains ont payé le lourd tribut. Se définissant comme un maillon dans une chaîne de solidarité, ils rendent hommage à la mémoire de leurs frères d’armes, dont le courage et le dévouement continuent d’inspirer et de soutenir leurs actions sur le terrain.
L’hommage de la gendarmerie à ses unités spéciales
Avant la mission de L’Adjudant-chef Issé Kaboré et le Maréchal des logis Kayaba, en 2022, la gendarmerie nationale a rendu hommage aux Groupes d’action et d’intervention rapide de (GARSI) de Barani et de Toéni. Elle indiquait que deux cent quarante hommes avaient été déployés dans ces zones et que dans la lutte contre le terrorisme une dizaine de braves combattants y ont perdu la vie. Leurs portraits avaient été présentés lors de la cérémonie d’hommage. Le bilan des GARSI de Barani et de Toéni au terme de leur mission qui a duré trois ans était une centaine de terroristes neutralisés, 455 terroristes interpellés, 69 engins explosifs improvisés neutralisés, 24 bases terroristes démantelées, 126 actions offensives menées, 377 infiltrations menées et 288 escortes effectuées. Ces GARSI ont aussi mené des actions civilo-militaires au profit des populations.