Élection présidentielle de 2025 en Côte d’Ivoire : Pesée des poids, des futurs candidats, points forts et points faibles
La Côte d’Ivoire va aller aux élections dans un an, et les états-majors politiques se préparent à cette échéance. Leurs préoccupations sont de savoir si les jeunes en âge de voter pourront s’inscrire sur les listes électorales et choisir le président qu’ils veulent pour le pays, et qui seront les candidats éligibles à ces élections. Des regroupements de partis se concertent en réunions et font des déclarations dans le but de se faire entendre par le pouvoir sur ces deux sujets, relatifs à la participation citoyenne qui est un des principes fondamentaux de la démocratie. La démocratie est un pouvoir distribué qui est détenu par le peuple par le choix de ses représentants et il ne s’obtient pas par la violence mais par des choix pacifiques des électeurs.
La participation des citoyens lors du choix des représentants est aussi fondée sur un autre droit qui leur est reconnu qui est la liberté d’expression et d’opinion sur diverses questions y compris celles touchant à la gestion de l’État dont les responsables leur sont redevables. Le pouvoir en démocratie n’appartient pas aux plus riches, plus puissants, plus forts. Mais chacun a son mot à dire et la démocratie le lui reconnaît. La Côte d’Ivoire a une histoire riche d’enseignements sur sa marche vers la démocratie. Après avoir connu une décennie de rébellion et de guerre civile, le pays a renoué avec un parcours passant par des élections orageuses se terminant par des contestations, sans alternance tout comme au début des indépendances sans que ce ne soit le monopole du parti unique. Les prochaines élections semblent être celles de l’espoir du changement quand bien même le personnel politique en compétition n’a pas changé notoirement sauf l’arrivée de jeunes couteaux qui veulent mettre au repos leurs anciens mentors. Qui sont les candidats potentiels et quels sont leurs points forts et faibles ?
Le premier président de la Côte d’Ivoire est le père de l’indépendance, Félix Dia Houphouët Boigny. Ont-ils été élus au suffrage universel, les chefs d’État africains qui prendront les rênes du pouvoir aux indépendances ? Dans la plupart des cas non, il y a eu un référendum pour la communauté française et c’est en tant que président de l’Assemblée territoriale que Houphouët Boigny proclame l’indépendance de la Côte d’Ivoire après avoir été pour elle(l’indépendance), puis contre, et enfin pour. La première élection présidentielle aura lieu en 1965, sous le règne du parti unique et du candidat unique, Félix Houphouët Boigny.
Un chemin de ronces et de sang de la démocratie
Le régime de Houphouët Boigny n’était ni plus ni moins une dictature avec une certaine réussite au plan économique. Houphouët Boigny règnera sur le pays en écartant fermement ses opposants jusqu’en 1985, les élections ressemblaient singulièrement à celles de la Russie : un pays, un parti, un candidat. En cela, même s’il avait rompu avec les communistes français il avait adopté ce que faisait si bien ceux de Russie. En 1990, la Côte d’Ivoire ne peut plus être gouverné comme en 1960, il y a trente ans, la jeunesse ne le veut pas, le peuple en a marre, l’opinion internationale aussi. Houphouët Boigny accepte le multipartisme et les premières élections démocratiques présidentielles du pays auront lieu avec deux candidats : Félix Houphouët Boigny et Laurent Koudou Gbagbo. Le pays entre dans une nouvelle ère.
Tout devient possible, avec la mort du père de la nation en 1993. Henri Konan Bédié lui succède pour terminer le mandat et organise des élections en 1995, boycottées par les opposants sérieux, sauf un candidat qui l’accompagne Francis Wodié. Cette élection qui a introduit la notion d’ivoirité a semé les germes de la division au sein de la classe politique et de la société ivoirienne. Le ver étant dans le fruit, l’armée prend le pouvoir par le coup d’État de Noël 1999. Le général putschiste Robert Guéï veut balayer la maison et s’y installer.
Il organise des élections où certains candidats sont écartés, il se retrouve avec Laurent K. Gbagbo à solliciter le suffrage des électeurs, celui-ci remporte les élections de 2000. Le pays qui va mal depuis la fin de l’ère Houphouët va connaître un coup d’État manqué en 2002 qui se solde par une rébellion et une division du pays en deux. Il faudra dix ans après les précédentes consultations pour que l’on reparle d’élections organisées sous la supervision des nations unies qui se termineront par des contestations et des violences avec des proclamations des résultats concurrents, deux présidents se disputant le pouvoir. Le différent électoral se soldant par une crise dénouée par les armes avec l’arrestation de l’ancien président Laurent Gbagbo envoyé à la Cour pénale internationale pour y être jugé d’où il reviendra innocent en Côte d’Ivoire en décembre 2020.
Vainqueur de la crise Alassane Dramane Ouattara organisera des élections en 2015 où il est reconduit. Il veut passer la main en 2020, mais deux dauphins successifs potentiels meurent de maladie. Il révise alors la constitution (lève deux obstacles le concernant l’âge et le nombre de mandat) pour se présenter pour un troisième mandat. Va-t-il se présenter en 2025 et qui seront ses adversaires ?
Alassane Dramane Ouattara (ADO)
C’est le président en exercice, après trois mandats successifs. La Côte d’Ivoire semble être un pôle de prospérité économique après l’organisation réussie, et victorieuse de la Coupe d’Afrique des nations qui l’a hissé sur le toit du continent. Comparée à ses voisins ce n’est pas le plus malheureux des pays. Mais le président ne devrait-il pas se retirer sur une bonne impression, celle de la CAN que de briguer un quatrième mandat ? Plusieurs arguments militent en cette faveur. Il a un âge avancé de 82 ans. Il est plus vieux de 10 mois que le président Joe Biden des États unis qui vient de se retirer de la présidentielle, au profit de sa vice-présidente Kamala Harris dans la plus puissante des démocraties. Même s’il semble être en bonne santé, ADO devrait partir en emportant avec lui les autres candidats potentiels de sa génération Laurent Gbagbo et son ancienne épouse Simone Ehivet.
Laurent Koudou Gbagbo
Il est revenu blanc comme neige de la Haye, jugé non coupable par la Cour pénale internationale. Cette pureté et le passage injuste de la prison, les conditions de son arrestation font le poids devant l’électeur. Mais il n’est pas inscrit sur les listes électorales, ne pouvant pas voter et être élu. Voilà un obstacle qui ne peut être levé que par son rival et frère ennemi de longue date. Comment obtenir l’éligibilité et par quels moyens pour cet ancien détenu de 79 ans, plus vieux d’un an que Donald Trump, le vieillard milliardaire, ex- président américain, xénophobe, condamné par la justice de son pays qui rêve de revenir au pouvoir par tous les moyens. Va-t-il avec le soutien de son ancien Premier ministre, cet ancien chef de la rébellion, Guillaume Soro qu’il a fait vice-roi, plonger le pays dans la crise pour se présenter aux élections pour redevenir président ? Son long temps de méditation à la Haye lui indique-t-il ce chemin ?
Simone Ehivet
L’ancienne première dame, présidente du Mouvement des générations capables (MGC), a beaucoup souffert. Elle a perdu le pouvoir et tout ce qui va avec et en bonus son foyer et son mari dont les mauvaises langues disaient qu’elle avait de l’ascendant sur lui. Aujourd’hui leurs chemins sont séparés, chacun ayant son parti et ils regardent dans des directions différentes. A 75 ans, elle est aussi de l’ancienne génération et pourrait utilement jouer à la mamie sage, qu’à la pasionaria. Simone est également frappée d’inéligibilité.
Guillaume Kigbafori Soro
Plus jeune de 4 mois que Charles Blé Goudé, ils ont 52 ans, et ils forment la jeune génération avec Tidjane Thiam leur aîné de 10 ans. Le patron du GPS (Générations et peuples solidaires) est aussi inéligible. Il est celui qui a applaudi le plus l’appel lancé le 14 juillet 2024 par l’ancien président Laurent Gbagbo au rassemblement de l’opposition pour reprendre le pouvoir lors de l’élection présidentielle prévue en octobre 2025. Il s’est dit prêt à engager des discussions avec le PPA-CI (Parti des peuples africains- Côte d’Ivoire) de Laurent Gbagbo pour une collaboration afin de leurs inscriptions sur les listes électorales. Guillaume Soro qui n’est pas à un retournement d’alliance près, va-t-il aider cette fois Laurent Gbagbo à terrasser Alassane Ouattara, où veut-il de l’aide pour y arriver lui-même ?
Tidjane Thiam
Sur le papier, il a tout du successeur rêvé d’Alassane Dramane Ouattara. C’est un fruit du panafricanisme, père d’origine sénégalaise, mère baoulé ivoirienne. Polytechnicien, banquier ayant une aura internationale (qui va de l’Angleterre, la Suisse, la France, les États unis à l’Asie…) avec un bref parcours national. Si ce n’est pas en politique, personne ne contesterait que ce monsieur a les meilleurs atouts pour continuer et développer ce qu’ADO a fait. Mais les membres du RHPD ne voudraient pas de cet héritier qui en plus de se réclamer du houphouétisme politique est un héritier biologique du père de la nation qui est son grand-oncle (sa maman est la nièce du président Félix Houphouët-Boigny). Il a travaillé avec le défunt président Henri Konan Bédié mais est resté en dehors du pays pendant la crise des années 2000, ce qui peut lui donner de la force pour panser les plaies.
Le pays s’est surchauffé au mois d’aout 2024 suite à l’appel de Gbagbo et la naissance du collectif de l’opposition qui a demandé à la Commission électorale de prolonger l’enrôlement des jeunes jusqu’à juillet 2025 au lieu de l’arrêter en octobre 2024 et de réformer en profondeur le système électoral. Le pouvoir a réagi par des procès qui ont ciblé deux membres du parti de Guillaume Soro, l’un pour diffamation, l’autre pour s’être réclamé d’un parti dissous en signant la déclaration de l’opposition au nom du GPS.
La sagesse va-t-elle prévaloir dans cette bataille électorale ? Chacun va-t-il chercher à prendre sa revanche à tout prix, avec cette nouvelle joute même au risque de plonger le pays dans les affres qu’il a connus et qui ont déstabilisé l’Afrique de l’Ouest durablement. La politique est faite pour être au service du peuple, pas pour les égos des dirigeants.
Sana Guy
Lefaso.net