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Guinée/ 20 ans de prison pour Dadis Camara : La justice, un train qui n’arrive jamais à l’heure en Afrique quand elle concerne les anciens chefs d’Etat

Publié le dimanche 11 août 2024 à 22h40min

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Guinée/ 20 ans de prison pour Dadis Camara : La justice, un train qui n’arrive jamais à l’heure en Afrique quand elle concerne les anciens chefs d’Etat

La justice est un train qui n’arrive jamais à l’heure en Afrique, surtout quand les affaires concernent les chefs d’État et anciens chefs d’État. Au Burkina Faso le procès de l’assassinat de Thomas Sankara a eu lieu après l’insurrection victorieuse de 2014 qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir. C’est sept ans après la chute du dictateur, ami et assassin du capitaine président que le procès a eu lieu en 2021, soit 34 ans après les crimes du 15 octobre 1987. Le procès du massacre du 28 septembre 2009 s’est tenu 15 ans après que l’inimaginable se soit produit à Conakry au stade dit du 28 septembre, le 28 septembre 2009.

Ces deux jugements n’ont été possibles que parce que la volonté politique des autorités du moment, guinéennes et burkinabè, existait. On pourrait citer le procès de l’ancien président tchadien Hissen Habré jugé 26 ans après avoir été chassé du pouvoir, à Dakar au Sénégal en 2016, par l’action de l’Union africaine. Hissen Habré a fait plus de 40 000 victimes depuis sa prise du pouvoir en 1982 et son départ forcé en exil au Sénégal en 1990. Que retenir du dernier procès qui condamne un ancien chef de l’État, le capitaine Moussa Dadis Camara ? Qui était ce jeune capitaine qui, en un an de pouvoir, a endeuillé tant la Guinée ? Quelle est cette responsabilité du supérieur hiérarchique au nom de laquelle il a été condamné pour crimes contre l’humanité ?

Le 31 juillet 2024, le procès du massacre du 28 septembre 2009 a donné son verdict, mettant fin à deux ans de travaux pour éclaircir cette affaire de massacre de plus de 150 personnes et 1 400 blessées, tous des manifestants, victimes des militaires, ainsi que du viol de 109 femmes et jeunes filles présentes au stade. Ce déferlement de violence inouïe, de viols et de bain de sang parce que les manifestants exprimaient leur opinion, leur sentiment sur le désir du capitaine Moussa Dadis Camara de se présenter à l’élection présidentielle, a laissé le monde sans voix et a précipité la chute du régime du Comité national pour la démocratie et le développement (CNDD) qui s’était emparé du pouvoir suite au décès du général Lansana Conté. D’autant plus que les manifestants ne faisaient que rappeler la promesse faite par la junte en prenant le pouvoir, promesse de l’exercer provisoirement et de ne pas se présenter aux élections de 2010.

L’histoire de la Guinée au plan des droits humains est écrite en lettres de sang, avec une plume trempée dans l’encre des larmes des familles de victimes depuis l’indépendance. Cette date du 28 septembre est une date historique, de dignité et d’indépendance du peuple guinéen par le "non" qu’il a opposé ce jour, à la communauté franco-africaine lors du référendum en 1958. Les militaires guinéens ont fait de cette date d’honneur, de dignité, de liberté, une date d’horreur, de barbarie, par la boucherie, la violence, les viols du 28 septembre 2009. C’est devenu un des jours terribles de l’histoire du pays où la mémoire va se disputer entre la joie et le deuil.

Entre l’indépendance obtenue et les dirigeants qui envoient des militaires encagoulés armés et tirant à balles réelles contre le peuple et les leaders de l’opposition qui n’ont d’autres armes que des mots, des idées qu’ils partagent avec la population. À quoi peut-on attribuer ce qui s’est passé ? Qui a pu bien concevoir ce plan de tirer à balles réelles sur une foule rassemblée dans une enceinte fermée et de décider de violer les femmes et les filles ? Ce qui est sûr, quand la question de situer les responsabilités de ces évènements s’est posée, la junte s’est divisée, personne ne voulant assumer le massacre que l’on a essayé de dissimuler en vain en ne restituant que quelques corps aux familles.

Aboubacar "Toumba" Diakité se sentant trop sur la sellette et abandonné par son patron le capitaine Dadis Camara, va avec ses hommes, lui tirer dessus le 03 décembre 2009. Le chef de la junte a du plomb dans la tête, il est envoyé aux soins au Maroc et la communauté internationale se penche sur la Guinée pour lui chercher un président intérimaire moins enclin à verser le sang des populations civiles. Si Toumba voulait tuer celui dont il devait veiller sur la sécurité en visant sa tête, Dadis va être sauvé par les médecins et le Maroc, à qui on propose de le garder n’en veut pas. Et c’est Blaise Compaoré qui reçoit un jour l’ancien président guinéen comme cadeau du roi du Maroc. On le prévient juste avant l’atterrissage de l’avion médicalisé qui transporte le convalescent à Ouagadougou.

Le Dadis show

Moussa Dadis Camara était fan du capitaine Thomas Sankara. Arrivé au pouvoir plus âgé que son idole, on l’a comparé à lui pour un certain sens et goût prononcés pour la politique spectacle. Il faut dire qu’il avait pour lui une certaine faconde qui, chez le militaire, séduit toujours ceux qui pensent que les militaires ne sont pas allés à l’école. Durant son passage d’un an à la tête de l’État, les Guinéens ne se sont pas ennuyés. Un magazine a même parlé à son sujet de "Dadis show". On pouvait le voir à la télévision traiter un homme d’affaires russe de voleur (ce qui surprendra certains au Sahel qui pensent que de ce côté du monde il n’y a que des saints). Ou encore l’interview au lit du chef de l’État.

Avec le sourire, le capitaine Moussa Dadis Camara reçoit une chaîne de télévision française chez lui, à la maison au camp militaire Alpha Diallo de Conakry et l’invite dans sa chambre où il devise sur son appartenance au camp du peuple, du bas peuple même selon ses mots, déclarant sa naissance dans une case dans la forêt pour témoigner de cela. Comment l’homme du peuple a-t-il pu faire tirer sur le peuple ? Certains expliquent la personnalité singulière de l’ex-chef de l’État guinéen par la perte très tôt dans sa vie de son père musulman. Sa maman chrétienne (mère seule) l’amenait à l’église où il se serait attaché à un missionnaire dont il a pris le nom Dadis, quand celui-ci aussi qui servait de figure paternelle va le quitter.

Exil doré et impunité contre le pouvoir

Durant son exil au Burkina Faso, Moussa Dadis Camara se serait converti au christianisme. On pouvait le voir à certains évènements dans des temples des églises évangéliques de Ouagadougou. Par contre, certains assurent qu’il s’est marié à l’église notre Dame des apôtres de la Patte d’oie de Ouagadougou qui est une paroisse catholique. Moussa Dadis ou Moïse Dadis vivait un exil doré à Ouagadougou, il ne faisait plus partie du bas peuple. De quoi vivait-il ?

Certains avancent qu’il faisait des affaires. Ce qui n’est pas fait pour apporter plus de lumière au sujet. Est-ce la France et les États unis qui se sont mis d’accord pour l’écarter du pouvoir qui payaient l’intendance ? Une chose est sûre, entre Dadis et son hôte Blaise Compaoré, il y a une différence de taille : le capitaine Moussa Dadis Camara est rentré en Guinée, chez lui librement, par devoir moral pour se faire juger et n’a pas demandé de nationalité à son hôte pour se protéger, comme le capitaine Blaise Compaoré.

Rattrapé par la justice

Le procès, qui a duré deux ans, n’a pas condamné les exécutants mais plutôt les cerveaux qui ont mis en branle ces brutes épaisses incapables de réfléchir à ce qu’ils font. C’est au nom de la responsabilité du supérieur hiérarchique, qui est responsable des crimes commis par les hommes sous son commandement que l’ancien chef de l’État guinéen a été condamné. Le procès a montré que les supérieurs n’ont pas condamné, ni pris une mesure pour anticiper et punir ces crimes.

C’est pour cela que Moussa Dadis Camara et sept autres membres de la junte ont été reconnus coupables de crimes contre l’humanité. Les accusés ont eu droit à des avocats et ont pu s’expliquer et se défendre. C’était un procès équitable, a reconnu la Fédération internationale pour les droits de l’homme (FIDH). Moussa Dadis Camara va devoir méditer pendant 20 ans en prison sur cet exercice du pouvoir d’État d’un an qui a endeuillé le pays, fait des veuves et des orphelins et ruiné la vie de centaines de jeunes filles et femmes. Le supérieur hiérarchique militaire doit prévenir et réprimer les actes illégaux de ses subordonnées, sinon il est légalement responsable de ceux-ci.

Sana Guy
Lefaso.net

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