Afrique de l’Ouest : Deux sommets croisés, AES-CEDEAO et la mission de la dernière chance pour Bassirou Diomaye Faye
L’unité des États de l’Afrique de l’Ouest a du plomb dans l’aile. La région a désormais deux organisations régionales dont les chefs d’État viennent de se réunir dans un chassé-croisé. La nouvelle organisation est une confédération des États du Burkina, du Mali, du Niger. Les trois chefs d’État militaires de ces pays, malgré les appels au retour à la maison commune de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, ne veulent pas revenir sur leur décision de quitter la CEDEAO. Ils ont « irrévocablement tourné le dos » à celle-ci, selon le mot du général Tiani, le chef de l’État nigérien.
Le samedi 6 juillet 2024 s’est tenu à Niamey le premier sommet des chefs d’État de l’Alliance des États du Sahel (AES). Ce sommet précédait celui de "l’organisation mère" où cohabitaient ceux qui s’en vont pour vivre leurs vies sans certains de leurs frères avec qui ils partagent toujours bien de choses en commun. Ceux qui restent dans la première maison ont aussi ouvert leur sommet le dimanche 7 juillet 2024 par un huis clos qui annonce que l’heure est grave et qu’il y a péril en la demeure. Qui gagne dans cette division de l’Afrique de l’Ouest ? L’AES en élargissant son champ d’action au-delà de la lutte contre le terrorisme ne va-t-elle pas emprunter le chemin de la CEDEAO qui, des sujets économiques, a couvert le champ politique qui lui vaut son affaiblissement à cause du refus des changements de pouvoirs non constitutionnels ?
Pour une surprise, c’en fut une que ce premier sommet des chefs d’État de l’AES. Les documents préparatoires de la charte de la confédération de l’AES étaient prêts depuis le 17 mai 2024 et n’attendaient que la signature des présidents des trois pays. C’est une belle opération de communication que de placer ce sommet avant une rencontre ordinaire de la CEDEAO, ce qui lui vole la vedette. L’organisation naissante se réunissant avant la déclinante.
Trois États font une confédération
Au début était la lutte contre le terrorisme et la protection du régime nigérien menacé d’intervention militaire par les croisés de la démocratie de la CEDEAO. C’est un traité de coopération militaire, un pacte de défense contre l’intervention militaire de la CEDEAO au Niger, signé le 16 septembre 2023 qui est à l’origine de la confédération de l’AES qui voit son acte constitutif officialisé le 6 juillet 2024 à Niamey. En janvier 2024, à l’orée de la fin de la transition au Mali, les trois pays décident de quitter sans délai la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Cette décision qui visait à ôter à l’organisation régionale tout droit de regard dans la vie politique et institutionnelle des pays en transition est le premier pas de la création de la confédération.
À bien y regarder, l’AES pouvait toujours faire partie de la CEDEAO en tant que confédération. Mais les dirigeants militaires ne veulent plus avoir affaire avec les dirigeants civils de la CEDEAO que certains accusent d’être des valets de l’impérialisme. Les chefs d’État de l’AES, en plus de la signature de l’acte de naissance de la confédération, « ont décidé de la mise en place d’une force unifiée de l’AES et d’un plan dit trilatéral permanent pour les actions militaires. » Sur le plan du développement économique, selon le communiqué final, « la Confédération de l’AES a décidé de la création, entre autres, d’une banque d’investissement et la mise en place d’un fonds de stabilisation. » Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, on est surpris de voir que l’on veut faire à petite échelle ce qui se faisait à plus grande échelle au plan économique.
Un souverainiste élu pour convaincre les souverainistes putschistes de rester à la CEDEAO
Ce 65e sommet de la CEDEAO confirme le tournant pris avec la levée des sanctions lors du sommet précédent. Les présidents civils élus ne veulent plus guerroyer contre les militaires putschistes. Mieux, l’impression que la région va au-devant de grands dangers si le cours actuel des évènements n’est pas interrompu est très forte. Il ne s’agit plus seulement de la mort de la CEDEAO, mais de la désintégration de la région, avec des guerres par procuration suscitées par les puissances impérialistes en compétition. Le danger de l’aggravation de la crise sécuritaire et son expansion sont évoqués. C’est soucieux de ces préoccupations que le président sénégalais, dès son premier sommet à la CEDEAO, doit sauver et la CEDEAO et l’Afrique de l’Ouest en convainquant les chefs d’État de l’AES d’abandonner leur projet de quitter la CEDEAO et de rester pour ensemble lutter pour la souveraineté financière à travers la monnaie commune en abandonnant le franc CFA. Rester avec leurs frères pour redorer l’image de la CEDEAO auprès des peuples comme une organisation indépendante et qui ne roule que pour les peuples africains.
Le 67e sommet lui a confié cette lourde mission de médiation pour sauver le panafricanisme en Afrique de l’Ouest. Le chantier de la refondation de la CEDEAO pourra inclure des tâches comme faire de la CEDEAO une institution des peuples avec par exemple l’élection des députés de la CEDEAO au suffrage universel au lieu que ce soit des parlementaires désignés.
Les chefs d’État de l’AES devraient être contents d’avoir secoué le cocotier et réveiller cette machine qui dormait sur ses lauriers. Les chefs d’État de la CEDEAO s’étaient trompés en voulant agresser le Niger pour rétablir la démocratie et en imposant des sanctions injustes. Mais tout cela est du passé, il faut excuser, pardonner ceux qui se sont trompés parce que si on se divise, les peuples perdront davantage. Seuls les ennemis de l’Afrique et les puissances impérialistes tireront les marrons du feu de cette désunion et concurrence entre nous.
« Quand nous serons unis ça va faire mal », Tiken Jah Fakoly
Dans une famille, il arrive que les frères se querellent et ne s’entendent pas sur des questions. Quel que soit le conflit, il ne doit pas s’éterniser. La culture africaine avec ses traditions est celle du dialogue, de la discussion sur les problèmes pour trouver des solutions. On ne se bat pas contre son frère, et le soleil ne doit pas se coucher sur une colère contre son frère. Il est temps de se retrouver entre chefs d’État des pays de l’Afrique de l’Ouest sans distinction des modalités d’accession au pouvoir pour discuter des problèmes de la région. Ne laissons pas les artistes chanter leur désespoir du manque d’union qui nous enlève toute respectabilité, nous empêche de nous développer, de vaincre le terrorisme, de combattre la pauvreté alors que nous avons des richesses en abondance. Chefs d’État de l’Afrique de l’Ouest, faites la paix et l’unité contre nos ennemis !
Sana Guy
Lefaso.net