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Présidentielle béninoise : Second tour au forceps

Publié le lundi 20 mars 2006 à 07h51min

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"Il ne sera jamais dit que le Bénin a organisé l’élection présidentielle dans les ténèbres" ; ainsi vociférait Mathieu Kérékou à la sortie de l’isoloir, le dimanche 5 mars 2005, après avoir décrié le manque de transparence et les fraudes qui auraient émaillé l’organisation du scrutin ; mais visiblement, il était écrit que l’élection se déroulerait dans le bordel et un cafouillis indescriptible.

La faute, en grande partie, incombe au président sortant qui, comme pour confirmer son sobriquet de caméléon, aura constamment changé de couleur et brouillé les cartes. On en était encore à se demander quelle mouche, au besoin, a bien pu piquer le général, qui promettait de compter les voix pendant trois à quatre mois "comme aux Etats-Unis", lorsqu’il fit de nouveau parler de lui sitôt les résultats définitifs du premier tour proclamés par la Cour constitutionnelle.

Pour des raisons organisationnelles évidentes, beaucoup de gens, à commencer sans doute par les deux finalistes, pensaient en effet que le duel au sommet aurait lieu au moins une dizaine de jours après le verdict de la haute juridiction. Mais le toujours maître de Cotonou en a décidé autrement. Ainsi, à l’issue d’un Conseil extraordinaire des ministres, il a convoqué le corps électoral, à la surprise général, pour le dimanche 19 mars.

Nous étions le jeudi 16. Le lendemain pourtant, la Cour constitutionnelle autorisait le gouvernement à convoquer les électeurs pour le 22 mars, afin d’accorder à la Commission électorale nationale autonome (CENA) plus de temps pour bien faire les choses, et aux candidats, de disposer de quelques jours de campagne.

Tout portait donc à croire que c’est cette date qui serait finalement retenue quand, dans cette pitoyable cacophonie entre le premier magistrat du pays et les grands juges, le premier passa outre l’avis des seconds et resta sur sa chaise de fer. Le samedi 18, soit 24 heures avant, c’était décidé : on ira voter le lendemain. Incroyables péripéties d’un vaudeville électoral dont le vieux metteur en scène semble éprouver quelques difficultés à quitter les planches, et qui a obligé les organisateurs à mettre les bouchées doubles pour acheminer le matériel électoral dans les endroits les plus reculés du territoire et à passer en boucle des informations à la télévision pour rattraper ce qui pouvait encore l’être.

Quant aux deux challengers, ils n’ont bien sûr pas eu droit à une quelconque campagne, pourtant bien utile dans l’entre-deux-tours, et les marchandages politiques auxquels donne lieu cette période ont dû être conclus à la hâte. Pour le peaufinage, on repassera. Que de précipitation ! Que de précipitation ! Il est vrai que le mandat du président sortant expire le 6 avril et qu’il tient à passer la main dans les délais constitutionnels, mais cela ne saurait être une excuse absolutoire.

C’est donc dans ces conditions que les 4 millions d’électeurs ont décidé, hier, qui de Yayi Boni et d’Adrien Houngbédji allait présider, les 5 prochaines années, aux destinées de ce qui était jadis le quartier latin de l’Afrique occidentale française. Pour mémoire, ils sont arrivés respectivement premier et deuxième avec 35,6% et 24,1% des suffrages.

Pour de nombreux observateurs et les différents analystes, cette arrivée surprise de l’ancien président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), candidat indépendant et nouveau venu sur l’échiquier politique où il est pratiquement vierge, traduit, à l’évidence, le besoin de changement de ses compatriotes et un désavœu cinglant de la classe politique traditionnelle qui, non contente de ne pas apporter de réponses conséquentes à leurs préoccupations, s’enlise dans la luxure.

Reste à savoir s’il transformera l’essai du 5 mars, à l’image d’un Nicéphore Soglo qui, au début du processus démocratique, était descendu de la galaxie de la haute finance internationale pour mettre Kérékou en réserve de la République ; ou si on assistera à un scénario à la libérienne, où la professionnelle de la politique, Ellen Johnson-Sirleaf, avait, in fine, eu raison de la virginité d’un Georges Weah, renvoyé à ses chères études politiques.

Mathématiquement, la balance devrait pencher en faveur du banquier de 54 ans puisque les deux principaux faiseurs de roi, Bruno Amoussou et Léhady Soglo, arrivés 3e et 4e avec 17% et 8% des voix, roulent pour lui et ont appelé leurs militants à le voter. Mais, c’est bien connu, en bonne démocratie, les consignes de vote ne sont pas toujours respectées à la lettre et le report des voix n’est pas mécanique. Rien n’est de ce fait totalement acquis et si tout se passe bien, on devrait apercevoir, dans les 48 prochaines heures, les premiers traits du futur chef de l’Etat béninois.

En attendant, on ne peut que regretter les récents égarements de Kérékou, qui aura un peu raté sa sortie avec ses déclarations tonitruantes et ses décisions à l’emporte-pièce, alors que, marxiste-léniniste pur et dur reconverti à l’économie de marché et à la démocratie pluraliste, il devait quitter la scène par la grande porte après avoir totalisé 28 années à la tête du pays. Lui qui avait d’abord laissé planer le doute sur son départ avant de trancher dans le vif - ce qui est tout à son honneur - semble, maintenant que la fin est vraiment prochaine et certaine, éprouver quelques regrets, comme si le caméléon avait quelque difficulté à quitter la branche à laquelle il est agrippé depuis trois bonnes décennies.

Observateur Paalga

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