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Révolution d’août 83 : A bas les féodaux !

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Publié le dimanche 2 juin 2024 à 22h03min

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Révolution d’août 83 : A bas les féodaux !

La révolution d’août 83 ne fut pas simplement un mouvement enthousiaste contre l’impérialisme et le néo-colonialisme : ce fut également une révolution anti-féodale. Au cours des années révolutionnaires, les chefs traditionnels auront maille à partir avec les jeunes officiers progressistes résolument décidés à faire de la Haute Volta un nouveau chantier. Nous allons examiner dans notre chronique, la difficile coexistence entre pouvoir traditionnel et pouvoir moderne pendant cette période.

Le 4 août 1983, une ère nouvelle intervient en Haute Volta sous le leadership de jeunes officiers "patriotes et progressistes" qui, dans leur discours de prise de pouvoir, ont décidé « de balayer le régime impopulaire, le régime de soumission et d’aplatissement » du médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo.

Cette révolution était dirigée par le capitaine Thomas Sankara qui avait déjà fait ses preuves tant dans le domaine politique (ministre d’État chargé de l’information dans le gouvernement de Saye Zerbo et Premier ministre dans le gouvernement du CSP1) que dans l’armée, surtout pendant la guerre avec le Mali en 1974.
Pour les révolutionnaires, il faut faire table rase du passé et inventer une société nouvelle.

Leur conviction était que la colonisation continuait avec l’élite politique burkinabè. Dans le DOP (Discours d’orientation politique, il est écrit expressément ceci : « Dans leur essence, la société néo-coloniale et la société coloniale ne diffèrent en rien. Ainsi, à l’administration coloniale, on a vu se substituer une administration néocoloniale identique sous tous les rapports à la première ».

Le DOP précise que la révolution se veut démocratique et populaire et entend rompre avec les vielles pratiques du passé, les pratiques bourgeoises et impopulaires dans lesquelles l’administration néo-coloniale était jusque là confinée. Ainsi que le souligne Benoît Beucher, sur le plan intérieur, les révolutionnaires « souhaitent une rénovation de la société allant dans le sens de la lutte « antiféodale » : les chefs coutumiers n’ont-ils pas bien souvent été des auxiliaires des pouvoirs coloniaux ?

Ne sont-ils pas les supposés témoins des formes d’ « archaïsme » qui caractériseraient une société encore largement rurale ? Ne sont-ils pas perçus comme un obstacle au progrès de la démocratie ? « Anselme Lalsaga précise que « Les pouvoirs coutumiers faisaient partie des "ennemis du peuple" dénoncés par la charte idéologique du CNR. »

Ainsi, la chefferie traditionnelle, de par la force de l’histoire, avait déjà une forte connexion avec l’administration coloniale ainsi que le monde de la politique. L’on se rappelle qu’en 1945 le Moogho Naaba Saaga II a créé l’UDIHV (Union de la défense des intérêts de la Haute Volta) pour participer aux élections de citoyenneté acquises en 1945 après la conférence de Brazzaville mais aussi lutter pour la reconstitution du pays qui était partagé entre le Niger, le Mali et la Côte d’Ivoire en 1932. Naaba Kougri lui, a intenté un putsch sans succès en 1957 contre Maurice Yaméogo à la veille de l’indépendance de la Haute Volta.

La révolution d’août 83 condamnait toute cette élite politico-royale qui, depuis la colonisation, a maintenu le pays dans le giron de l’impérialisme et du néo-colonialisme. C’est dire que la chefferie traditionnelle, eu égard à ses interventions directes ou indirectes dans la vie politique du pays, ne va pas échapper à la traque du régime révolutionnaire.

Le premier acte posé par les révolutionnaires à l’endroit de la chefferie traditionnelle, c’est la suspension du texte législatif sur le statut de la chefferie qui était reconnue par l’État. Dès décembre 1983, un décret annule tous les textes et dispositions officiels organisant les rapports entre l’État et les chefferies. Ainsi, aucun chef ne verra son statut officiellement reconnu par l’État. Les révolutionnaires sont de plus en plus fermes et durs avec les Naaba : suspension de leur rémunération officielle, suspension de leur autorité dans les villages…

Comme le note Anselme Lalsaga, la mise sous tutelle de l’autorité traditionnelle a conduit les Naaba à adopter des stratégies pour préserver leurs privilèges. L’entrisme consistait à s’ingérer dans le pouvoir par des liens lignagers ou matrimoniaux. Parmi les CDR établis dans les villages, nombreux ressortaient de la famille des Naaba.

La rhétorique révolutionnaire était aussi un discours anti-féodal, bien que la notion de féodalité, même s’il elle désigne les Naaba, n’avait pas de contenu réel. Pour Basile Guissou, sociologue et plusieurs fois ministre dans le gouvernement révolutionnaire, la notion de féodalité est une notion étrangère qui s’applique mal aux réalités sociologiques africaines. Mais la féodalité a été utilisée par le CNR pour fustiger toutes les forces rétrogrades qui opprimaient les masses. Ainsi que le note Benoît Beucher, « pour le CNR, la « féodalité », c’est cette part de l’histoire qu’il convient d’effacer, celle qui renvoie moins à un passé glorieux qu’à des symboles de l’anti-modernité et de l’absence supposée de démocratie à l’époque précoloniale ».

Quoi que l’on dise, les chefs traditionnels étaient taxés par les révolutionnaires de féodaux réactionnaires qui entretenaient les masses comme leurs sujets et les empêchaient de s’épanouir. Le capitaine Thomas Sankara voyait dans les dons qu’ils recevaient une forme d’appropriation et d’exploitation du peuple. Les révolutionnaires souhaitaient que ces chefs travaillent comme les autres citoyens. Dans un discours prononcé à Tenkodogo, le leader de la révolution a appelé dans la foulée et sans autre forme de courtoisie, le chef de cette localité à enlever son bonnet et à rejoindre les masses pour travailler.

Le Mogho Naaba, quant à lui, a vu son électricité coupée pour non-paiement de factures. Intronisé sous le nom de Naaba Baongho II au tout début de l’année 1983, Ousmane Congo, alors âgé de 29 ans, a vécu plusieurs jours dans le noir.
Le Boussouma Naaba Sonré, préfet à l’époque, a été muté de sa localité vers Gaoua. Il a vécu durement cette affectation qu’il considère comme un affront pour un Mossi. Conformément à la logique de l’idéologie révolutionnaire, il n’y avait pas de privilèges à accorder à une catégorie de la société, fût-il Naaba du Moogho.

Ces actions posées par les révolutionnaires à l’endroit des Naaba ont suscité des points de vues divergents au sein même du CNR car certains estimaient qu’il ne fallait pas humilier les chefs de cette manière. Les rectificateurs du 15 octobre 1987 ont mobilisé, entre autres, cet argument pour justifier le sang qu’ils ont fait couler pour mettre fin au processus révolutionnaire au Burkina Faso.

Tout compte fait, il semble évident que la révolution d’août 83 a manqué de tact politique en rejetant catégoriquement cette force sociale et coutumière. Ils ont oublié que cette force était tellement enracinée dans l’histoire socio-politique du pays qu’il fallait, plutôt que les écarter et les réduire à néant, trouver des mécanismes de coexistence et d’entente pour forger un destin commun et national. Comme l’a admis Basile Guissou, « notre erreur, c’est que l’on a cru que l’on pouvait se passer des chefs. On a eu tort. On a nié la réalité socio-historique du pays »

Bertrand Ouédraogo
Lefaso.net

Réf :
 Benoît Beucher, quand les mossis mangent le pouvoir, p 551-570
Kakiswendépoumdé Marcel Marie Anselme LALSAGA, La résistance des pouvoirs coutumiers aux structures populaires sous la révolution : La religion traditionnelle et la sorcellerie comme ultimes soupapes de survie, site web Thomas Sankara
 Wakat-Sera, Révolution au Burkina Faso en 1983 : le premier discours de Thomas Sankara, par Daouda ZONGO – 4 août 2020.

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