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Royaume mossi : Quand les chefs traditionnels adoptent la modernité …

Publié le mardi 28 mai 2024 à 11h31min

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Royaume mossi : Quand les chefs traditionnels adoptent la modernité …

Après la conquête de Ouagadougou en 1897 plaçant le royaume mossi sous contrôle français, les chefs traditionnels, notamment les Moogho Naaba, vont se résoudre à collaborer avec l’administration coloniale. Ils sont arrivés à la tête du royaume dans un contexte de bouleversement sans précédant des institutions et des structures qui étaient en vigueur. Que ce soit sur le plan administratif, sur le plan économique ou sur le champ de la politique proprement dite, une ère nouvelle a été imposée par les colons. Dans notre chronique, nous allons voir comment les chefs traditionnels, à cheval entre tradition et modernité, ont vécu dans un tel contexte.

Dès que Ouagadougou est conquise, l’administration coloniale va s’implanter dans le Moogho et va imposer une nouvelle manière de travailler, de diriger et de cultiver. La colonie de la Haute Volta a été créée pour la bonne administration du territoire nouvellement conquis. Une politique de mise en valeur du territoire sera mise en œuvre par les colons pour exploiter les potentialités du territoire : la culture du coton, du sésame, des arachides…

La crise de 1929 va impacter négativement le cercle de Ouagadougou. En 1931, la politique de mise en valeur s’avère être un désastre. Les Naaba sont pointés du doigt par le colon d’en être les responsables. Déjà dès l’installation des commandants de cercles vers les années 1920, les rapports entre chefs traditionnels et administration sont emprunts de cordialité. Mais les Naaba craignaient l’apparition imminente de nouveaux cadres indigènes plus efficaces car ayant été formés dans les écoles françaises. Ils vont alors s’approprier de la modernité tout en essayant de conserver la tradition.

Le Naaba Kom II a compris que la Haute Volta a pris un autre tournant et que pour préserver son royaume, il n’était plus possible de rester cloîtré dans ses traditions. Il prôna une politique d’ouverture qui sera appréciée par les colons et qui va lui permettre de conserver le mythe de son royaume. En 1930, lorsqu’il apprit que le chemin de fer n’atteindra pas Ouagadougou, il entreprit rapidement des démarches pour exiger l’arrivée du train dans son royaume.

Il fut le premier Naaba à décider d’envoyer ses fils à l’école du blanc. Ses fils Issoufou et Moumini Congo furent scolarisés à Goré pendant deux ans avant d’en être retirés avec l’appui du Père supérieur de la mission de Ouagadougou et du gouverneur général et placés dans une école confessionnelle à Carthage, en Tunisie.

Au-delà de l’envoi de ses fils dans les écoles supérieures, Naaba Kom II souhaite qu’ils reçoivent aussi une formation militaire. C’est ainsi qu’il décide que son fils Issoufou soit inscrit dans l’armée en 1925. Il en ressort avec le grade de caporal et prend le commandement du canton de Doulgou. Son père insiste à ce qu’il devienne sergent, l’administration finit par lui donner ce grade et Issoufou retourne à Ouagadougou avec le grade de sergent.

Le Baloum Naaba fait partie des chefs qui vont entretenir des liens étroits avec l’administration coloniale. Il adopte une attitude en faveur de l’innovation et est beaucoup sensible à la nouveauté que l’administration coloniale tente de diffuser. Il bénéficiera d’une rénovation de son palais au style architectural soudanais. Sur le plan de l’agriculture, le Baloum Naaba opère une révolution dans le Moogho à travers son champ aménagé à 8 km de Ouagadougou.

Il y employa des techniques modernes d’agriculture comme la charrue et la traction bovine. Il bénéficie d’une automobile et d’un chauffeur pour encourager la culture du coton. Son action pour l’agriculture lui a valu une décoration de l’ordre de mérite agricole. Aussi, il sera invité à assister à l’exposition coloniale à Marseille en 1922 en tant que représentant de la colonie de la Haute Volta : c’est une première dans le Moogho qu’un roi gagne la métropole. Il sera accueilli chaleureusement à son retour au bercail par une foule en liesse.

Naaba Koom II manifesta son désir de se rendre au Sénégal. Il avait déjà, de par le passé, souhaité également voyager à Sikasso. Les chefs traditionnels pour la première fois, s’ouvrent de plus en plus vers l’extérieur. L’administration coloniale y voit de l’intérêt pour la modernité et est prête à accompagner leurs initiatives d’ouverture. Mais dans la coutume moaga, le roi ne doit pas s’absenter pendant très longtemps de son trône. En 1925, le Moogho Naaba Koom II et son kug-zida le Baloum Naaba se sont rendus finalement au Sénégal. Ce voyage du roi est perçu par le gouverneur Hesling comme un signe de progrès. A leur retour, ils ont été accueillis par une foule en liesse. De 1923 à 1927, les relations entre l’administration coloniale et les chefferies traditionnelles semblent être des meilleures.

Naaba Saaga II est intronisé en pleine seconde guerre mondiale et doit préserver l’image et les privilèges de la royauté face à la naissance de l’Union française, de la loi cadre et des partis politiques créés par les anciens scolaires voltaïques. Il créa lui-même le parti l’Union voltaïque et dans la même lancée que son père, lutte pour le rétablissement de la Haute Volta en 1947.

A l’arrivée au trône de Naaba Kougri, les initiatives modernes vont se voir renforcées dans le royaume. Pour sa désignation, celui-ci a d’ailleurs bénéficié du soutien de l’administration coloniale. Les règles de succession jusque-là confinées dans les coutumes vont connaître de plus en plus un progrès. Après sa nomination comme Naaba, ses ministres le mettent en garde sur le respect des coutumes et exigent une collaboration franche avec le conseil de sage.

Mais Naaba Kougri se montre très indépendant vis-à-vis de ses ministres. Il montre son désir d’adapter la fonction de Moogo Naaba aux exigences de la société contemporaine, ainsi que son intention de ne pas laisser la direction du pays aux nouveaux lettrés élus. Benoît Beucher le décrit en ces termes : « Sous son règne, la fonction a été épurée de certains archaïsmes. Si tous ses aïeux étaient polygames, il est le premier à rendre officielle sa monogamie en épousant l’impératrice Zara, une "évoluée". Il est aussi le premier à se faire sacrer roi selon un rite catholique inhabituel pour le descendant d’une lignée de souverains musulmans
Dans la foulée, le roi tente de mettre fin aux salutations traditionnelles qu’il juge dépassées et humiliantes ».

Toujours pour manifester son attachement au progrès, Naaba Kougri obtient la présidence d’honneur de la Croix-rouge voltaïque, puis reçoit en 1980, la distinction de Grand officier de l’Ordre national au titre des services administratifs rendus à la nation. Non content de peser sur les affaires politiques internes sous le régime Lamizana, la chefferie, représentée par le Moogo Naaba, est associée à toutes les commissions chargées de réformer les institutions du pays.

Naaba Kougri a également été présent sur la scène diplomatique, lui qui rencontre tour à tour la mère du président Jimmy Carter en 1978, le prince Henrik du Danemark en 1982 ou le roi des Asante (Ghana) en 1977 et en 1979 afin d’apaiser les relations entretenues par son pays avec le Ghana. Malgré un début de règne contesté, force est de reconnaître qu’il a contribué à conduire la royauté sur le chemin de l’évolution tracée par son père.

Les années 1920 ont engagé les Naaba sur des voies qui peuvent paraître innovantes par rapport à la tradition qui était en vigueur. Plusieurs d’entre eux vont s’ouvrir à la modernité, car ils étaient conscients du bouleversement de l’ordre traditionnel. Jusqu’à l’indépendance, les Naaba vont se résoudre à composer avec l’administration coloniale et les nouvelles élites africaines dans des rapports marqués tantôt de cordialité tantôt de conflictualité.

Réf :

 Benoît Beucher, Naaba Saaga II et Kougri, rois de Ouagadougou : un père et son fils dans la tourmente coloniale puis postcoloniale (1942-1982) [article]
 Dimdelobsom, le Morho-naaba et sa cour
 Benoît Beucher, Quand les hommes mangent le pouvoir : dynamiques et pérennité des institutions royales mossi de l’actuel Burkina Faso (de la fin du XVe siècle à 1991) Tome 1, thèse de doctorat.

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