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Le parcours politique de Léopold Sédar Senghor : Ombres et lumières

Publié le jeudi 16 mars 2006 à 07h58min

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Léopold Sédar Senghor. Homme de lettres, poète, premier académicien noir, premier agrégé africain de l’université, est bien connu dans la littérature. Mais en tant qu’homme politique il l’est moins même s’il est le premier président africain à quitter volontairement le pouvoir. C’est dans le cadre de la Francophonie qui célèbre le centenaire de l’illustre disparu en cette année 2006, que cette conférence a été organisée sur son parcours politique au Centre culturel français de Ouagadougou.

Le Petit Méliès a reçu du beau monde dans l’après-midi du mardi 14 mars 2006 à cette conférence, initiée conjointement par le CCF de Ouagadougou et la compagnie Marbayassa.

Elèves, étudiants, universitaires, hommes politiques tels que le Pr Ali Lankoandé du PDP/PS et Me Bénéwendé Sankara de l’UNIR/MS, hauts fonctionnaires et simples citoyens sénégalais résidant au Burkina, ont fait le déplacement de Georges Méliès. En face l’ambassadeur du Sénégal, S.E. Cheick Sylla, principal conférencier du jour, appuyé par le Pr Amadé Faye de l’Université de Dakar.

Entre les deux, le modérateur, Edouard Ouédraogo, directeur de publication de l’Observateur paalga mais surtout en sa qualité de président de l’Union interafricaine de la presse francophone, section du Burkina. L’on était donc en droit de s’attendre à un régal sur "Le parcours politique de Léopold Sédar Senghor". Et ce fut le cas. Mais le débat fut par moments houleux voir polémique.

D’entrée de jeu, Cheick Sylla fait une brève présentation biographique de Senghor avant de souligner trois singularités de son itinéraire. Primo, il est entré en politique par effraction comme il aimait à le confesser lui-même : "Je suis tombé dans la politique".

Il s’y est donc retrouvé comme on pourrait le dire, dans cette galère sans le vouloir, car sa vocation première était de devenir prêtre. Mais, délégué des élèves du séminaire à Dakar où il faisait ses humanités, les plus difficiles. Le jugeant trop frondeur, ce dernier lui conseille d’aller se recycler dans le laïc avec le père supérieur Lalouche.

Deuxième ambition de Senghor : enseigner au Collège de France, l’un des plus prestigieux établissements de l’Hexagone. Mais revenu au pays pour son mémoire sur "la littérature sévère et wolof", est sollicité pour être député à l’Assemblée française.

Malgré lui et sous moult pressions il finit par succomber et est élu en 1945 au tire du deuxième collège à savoir les populations des campagnes sénégalaises (1) voilà comment, Senghor se retrouva dans la politique.

Sa deuxième singularité : en décembre 1980 alors qu’il était à mi-mandat, le pays ne couvait aucune crise et lui-même en pleine possession de ses moyens physiques, il décide à 74 ans de quitter le pouvoir.

"Je préfère, disait-il à l’époque, les joies de l’esprit aux griseries du pouvoir". Trois ans plus tard, il entrait à l’Académie française et devenait membre de la commission du dictionnaire ; ce qui lui permit de faire accepter le mot "essencerie" dans la langue française.

La dernière singularité, selon le conférencier, c’est que Senghor théorisait toujours son action, tel l’architecte qui conçoit sa maison avant sa construction.

L’illustre disparu a beaucoup écrit, d’où les nombreuses critiques sur ses œuvres. Et des opposants farouches à ses idées surtout le concept de Négritude, il y en a eu, parmi lesquels l’on citerait l’égyptologue Cheick Anta Diop et le futur Prix Nobel de littérature Wolé Soyinka, auteur de la célèbre phrase :

"Le tigre ne proclame pas sa tigritude, il bondit sur sa proie et la mange". Ce à quoi Senghor aurait répondu en substance : "Le tigre ne sachant ni lire ni écrire donc ni penser ne peut que faire cela c’est-à-dire bondir sur sa proie et la manger".

Quant au parcours politique du président Senghor, l’ambassadeur l’a articulé, a été présenté en deux phases : avant et après les indépendances des pays africains. Avant les indépendances, il a mené entre autres, le combat pour :

la reconnaissance de la citoyenneté à tous les Sénégalais ; et partout à tous les Africains. Ce sera chose faite en 1946 avec la loi Lamine Gueye ;

la suppression du double collège électoral ;

l’égalité des pensions des tirailleurs, ayant lui-même été mobilisé en 1939 pour la 2e Guerre mondiale et fait prisonnier en juin 1940.

A l’intérieur du parti socialiste français auquel il avait adhéré (SFIO), il s’était senti à l’étroit puisque ses idées n’avaient pas reçu l’adhésion de ces camarades. Conséquence, il crée un journal, "La condition humaine", pour les défendre.

Il finit par démissionner en 1948 pour créer avec Mamadou Dia, le Bloc démocratique sénégalais, qui rafle les deux sièges à l’Assemblée française.

La face cachée de Senghor

En 1974, il accepte le multipartisme, mais un multipartisme limité selon des lignes de démarcation idéologiques précises : la conservatisme, le socialisme, le communisme, le libéralisme .

Cela va être l’une des raisons qui l’opposeront à Cheick Anta Diop, à qui il refusa le droit de créer un parti et qu’il écarta par ailleurs de l’Université pendant 22 ans.

Chantre de la négritude, défenseur du fédéralisme et de l’intégration africaine par "cercles concentriques", Léopold Sédar Senghor, qui aurait envisagé Bobo-Dioulasso comme la capitale de la Fédération du Mali, n’a pas fait un parcours politique sans faute, loin s’en faut.

A la suite de l’ambassadeur du Sénégal, le Pr Amadé Faye, spécialiste de Senghor à l’Université Cheick Anta Diop de Dakar, a présenté l’académicien sous deux itinéraires : mémoriel et concret.

Après une approche psycho-critique de l’œuvre poétique de Senghor, le Pr Faye a par la suite souligné ce qu’il a appelé les péchés et les échecs de Senghor :

l’avortement de la fédération du Mali ;

la condamnation à la prison à perpétuité du Premier ministre Mamadou Dia, accusé de tentative de coup d’Etat, le 17 décembre 1962 ;

la réclusion intellectuelle imposée à Cheick Anta Diop et la modification de l’article 35 de la Constitution pour permettre à son dauphin, Abdou Diouf, alors Premier ministre, de lui succéder à la tête de l’Etat.

Soit dit en passant, ce point donnera lieu à une fraternelle controverse entre les deux conférenciers, l’ambassadeur soutenant que la modification de la Constitution avait eu lieu bien avant qu’Abdou Diouf fût nommé Premier ministre (PM).

Et d’ajouter qu’il était tout à fait logique que ce sont le PM qui succédât au Président de la République en cas de vacance du pouvoir parce qu’il et plus au fait de l’action gouvernemental et du souci de continuité.

Au cours des débats, des membres du club Cheick Anta Diop à Ouagadougou, notamment Abdoulaye Diallo du Centre de presse Norbert Zongo, ont, dans un langage direct, dénoncé "le comportement criminel" de Senghor vis-à-vis de son compatriote chercheur, contraint de rester dans son laboratoire sans pouvoir transmettre ses connaissances à la jeunesse sénégalaise et africaine.

La célèbre phrase du poète "L’émotion est nègre comme la raison est hellène" a été également l’objet de longs échanges sur son sens exact sans que les uns aient pu convaincre les autres et vice versa.

C’est pourtant un public visiblement satisfait qui a quitté la salle aux environs de 18h30 pour poursuivre le débat par petits groupes dans la cour du CCF autour d’un sympathique cocktail offert par l’ambassadeur du Sénégal.

Adama Ouédraogo Damiss

Observateur Paalga

P.-S.

Lire aussi :
[Xe sommet de la Francophonie à Ouagadougou-http://www.lefaso.net/rubrique.php3?id_rubrique=24/]

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