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L’émergence de la communication dans un contexte de sous-information

Publié le samedi 7 février 2004 à 18h59min

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"L’émergence de la communication dans un contexte de sous-information". Voilà le thème du colloque international organisé les 27, 28 et 29 janvier 2004 par le Centre d’expertise et de recherche africain sur les médias et la communication (CERAM) et le département de Journalisme et communication de l’université de Ouagadougou.

A l’issue de ce colloque, nous avons tendu notre micro au directeur du CERAM, le Pr Serge Théophile Balima qu’on ne présente plus, il nous entretient ici sur les conclusions de leurs travaux mais aussi sur le centre qu’il dirige au sein de l’université.

Pouvez-vous nous présenter le CERAM dans ses grandes lignes

Le Centre d’expertise et de recherche africain sur les médias et la communication (CERAM) existe officiellement depuis 2003. Nous entendons atteindre notre vitesse de croisière durant les deux prochaines années. Le CERAM est une unité de recherches fondamentales et appliquées et dirige par conséquent son action sur trois axes majeurs. Le premier axe, c’est de renforcer le niveau de recherche théorique dans les sciences de l’information et de la communication à l’intérieur du département Journalisme et Communication de l’université de Ouagadougou.

C’est ainsi que le CERAM va assurer des formations doctorales et nous allons accueillir des chercheurs étrangers qui vont faire équipe avec nous pour mener des investigations sur des problèmes de recherches fondamentales. Le second axe d’intérêt pour le CERAM, c’est la recherche appliquée. C’est dire que nous allons voir dans quelle mesure nous pouvons contribuer à améliorer la performance des entreprises qui font de la communication, améliorer la performance des ONG, des institutions, des journaux et différents médias qui pratiquent déjà des métiers d’information et de communication.

Par nos études et nos investigations, nous pouvons arriver à des résultats qui vont permettre de déceler leurs insuffisances et de proposer ainsi des solutions pour leur permettre d’améliorer leurs performances. Le troisième axe enfin, c’est la formation continue. Nous entendons être un pôle d’excellence, faire en sorte que régulièrement, périodiquement, des agents en activité dans le domaine de l’information et de la communication puissent venir au CERAM pour y subir des sessions de recyclage de manière à ce qu’ils soient toujours opérationnels dans le temps parce que nous sommes dans un secteur qui évolue très vite alors que beaucoup de gens ne se recyclent pas suffisamment pour pouvoir répondre aux nouvelles exigences de la profession.

"Emergence de la communication dans un contexte de sous-information". Qu’est-ce qui justifie le choix d’un tel thème ?

Ce thème se justifie par le fait que ces dernières années, nous avons constaté une soif immense de communication au niveau des institutions, des entreprises, des organisations de la société civile, et des structures administratives et politiques, etc. Vous constaterez avec nous aujourd’hui que tout le monde se met à produire de l’information en direction de ses partenaires, clients ou électeurs. Il y a un télescopage tous azimuts de l’information, si bien que le citoyen est de plus en plus transformé tantôt en consommateur, tantôt en client ou en électeur, etc.

Il y a donc un mélange d’intérêts qui montre que nous sommes dans un monde où la communication est devenue une nouvelle valeur. Dans ce contexte d’émergence de la communication, nous avons constaté que nos populations dans leur majorité restent encore sous-informées. Elles manquent par exemple de l’information de base pour assumer leur citoyenneté et savoir leurs droits et devoirs. Elles manquent aussi de l’information de base pour s’assurer une hygiène de vie et préserver leur santé, etc.

Nous nous sommes dit qu’il vaut mieux réfléchir sur cette situation car il peut y avoir un grave problème. La communication tous azimuts poursuit des objectifs qui sont tantôt commerciaux, tantôt politiques, économiques ou socioculturels. Bien souvent, tout cela se produit au détriment de l’information objective, de l’information citoyenne et éducative. Nous avons essayé de voir dans quelle mesure on ne pouvait pas trouver des axes de développement pour ces secteurs.

Rebondissons sur l’aspect socioculturel. Comment appréhender pleinement l’information dans un contexte où l’élite journalistique se forme en français tandis que l’écrasante majorité de nos populations ne s’expriment qu’en langues nationales ?

C’est un de nos constats. Le nombre de francophones au sens complet du terme (savoir lire, écrire et parler correctement le français) selon les dernières études réalisées au Burkina, n’excède pas 10% de la population. C’est dire qu’il y a un déficit grave parce que le choix des canaux de diffusion de l’information n’est pas toujours pertinent. Beaucoup de gens choisissent la télévision parce que ça leur permet de se voir et d’être visibles auprès des décideurs et de se valoriser au niveau de l’élite intellectuelle. Dans ce choix, vous voyez bien que la cible essentielle (la population) n’est pas prise en compte.

Et l’usage de la langue (le français) pose effectivement un problème et engendre une sorte d’inégalité dans le partage de l’information et des connaissances. Nos réflexions nous ont permis de comprendre que si nous voulons impliquer de manière plus active la majorité de nos populations dans le processus de développement, il faut que nous apprenions à utiliser aussi nos langues nationales.

Dans la communication, on a souvent copié des modèles du Nord. Y a-t-il une spécificité africaine même si elle s’inspire des aspects positifs des modèles occidentaux ?

Pour nous, les modèles sont avant tout des modèles culturels. Nous pensons que les moyens de communication sont des instruments mais en même temps des systèmes. Mais nous ne croyons pas qu’ils doivent être utilisés partout de la même manière. Nous pensons qu’il faut les utiliser selon le contexte socioculturel, selon les objectifs de développement recherchés. Ce faisant, nous nous inscrivons en faux contre ceux qui veulent qu’on harmonise les méthodes d’utilisation des différents médias. C’est utopique parce que le contexte influe toujours sur la communication. Tout le monde sait cela. Il faut absolument que nos utilisateurs fassent un peu plus de recherche pour voir quels sont les éléments, les facteurs du contexte qui doivent être intégrés dans les modes d’utilisation des moyens de communication.

Que représente ce colloque pour le CERAM ?

C’est un colloque international. Nous avons pu réunir des sommités intellectuelles du monde de la communication à Ouagadougou. Nous pouvons nous réjouir car c’est une reconnaissance scientifique qui est faite au CERAM comme ayant la capacité d’organiser intellectuellement des débats de haut niveau. A partir de ce colloque nous avons reçu des invitations pour aller à l’étranger apporter la lecture intellectuelle de la communication par un Burkinabè. Je crois que tout cela participe du rayonnement de l’université de Ouagadougou et particulièrement de son nouveau Centre d’expertise et de recherches.

A quoi serviront les résultats de ce colloque ?

Les résultats vont déboucher sur des publications d’ouvrages. Vous savez, les publications scientifiques pour nous autres enseignants chercheurs, c’est le couronnement de toute une vie. Nous préférons une publication scientifique à un véhicule tout neuf ou à une cérémonie protocolaire. C’est la forme achevée du travail lorsque nous avons une publication dans les annales universitaires et scientifiques et pour nous c’est vraiment le bonheur qui commence.

Vous êtes journaliste de formation, enseignant de journalisme et de surcroît directeur du CERAM. Quel regard jetez-vous sur la situation du communicateur et du journaliste au Burkina Faso ?

C’est évident que les journalistes ont évolué fort heureusement dans la maîtrise du travail professionnel. Il y a une plus-value qui est très remarquable. Le seul problème au niveau de la presse est sans aucun doute les pesanteurs d’un certain contexte qui font que beaucoup de gens appliquent très peu les règles strictement déontologiques de l’exercice de la profession. Ces facteurs d’influence perturbent le respect strict des règles du métier. Parmi ces pesanteurs, on peut citer le développement de la communication institutionnelle où de plus en plus les ministères et les ONG développent des initiatives en matière d’information auprès des journalistes qui, bien souvent, se retrouvent en train de photocopier ce que j’appelle un journalisme d’imitation pratiquée par ces institutions, ONG ou ministères.

Quand on lit la presse, on sent l’influence de la communication beaucoup plus que l ?influence purement journalistique. C’est sans doute un des points faibles de la presse. S’agissant de la communication, elle se développe très vite et il y a de plus en plus des gens talentueux qui maîtrisent les rouages de la technique rédactionnelle, de présentation et d’approche et qui arrivent à se vendre, et à avoir un certain label en terme de diffusion de messages. Et c’est un danger pour un journal s’il ne s’adapte pas rapidement, il pourrait connaître une régression en terme de reconnaissance labellisée.

Qui sont les partenaires financiers du CERAM ?

C’est un problème et vous faites bien de le poser. Nous avons du mal à être soutenu de l’intérieur et les efforts de la présidence de l’université restent malgré tout insuffisants au regard de nos attentes. Nous allons développer des initiatives avec des partenaires extérieurs qui nous appuient, notamment les Pays Bas. Nous sommes en négociation avec le Canada pour obtenir des appuis en terme de partenariat. Sur cette base, je crois qu’on pourrait faire des choses appréciables dans l’intérêt de l’université mais surtout dans l’intérêt du Burkina.

A court terme, quel est l’agenda du CERAM ?

C’est d’ouvrir dans quelques mois des sessions de formation de courte durée et des formations diplômantes pour un certain nombre d’usagers de la communication et de l’information pour qu’ils puissent parfaire leur connaissance du métier.

San Evariste Barro
L’Observateur

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