25e anniversaire de l’assassinat de Norbert Zongo : Que penserait-il de son pays aujourd’hui ?
LEFASO.NET
Voilà 25 ans que la violence en politique a fait encore une victime, que la mort n’a pas réussi à éteindre. Il y a des vies qui sont des flammes éternelles, des lampes que l’on ne peut pas mettre sous le boisseau, répondant même outre-tombe à leur vocation biblique selon St Mathieu, d’être sel et lumière du monde. Voilà 25 ans que notre pays s’est illustré de manière cruelle, abjecte, en ôtant la vie à des compagnons de voyage non loin de Sapouy, un 13 décembre 1998. Ce crime odieux vient après le bain de sang fondateur du régime du Front populaire qui a inscrit les mœurs politiques dans la barbarie et les crimes. On se demande encore de quels cerveaux a germé tant de haine pour faire tuer et brûler Norbert Zongo et ses compagnons : Blaise Ilboudo, Ablassé Nikièma et Ernest Zongo ?
La justice n’est toujours pas rendue, le procès étant suspendu à l’extradition de François Compaoré, le frère cadet du président Blaise Compaoré. L’histoire est terrible, comment la décrypter quand elle semble nous jouer des tours ? On croit le peuple souverain et maître de son destin quand il chasse les tyrans et les puissants par une insurrection en 2014. Et voilà que des coups d’Etat surviennent en 2022 et on a du mal à comprendre le nouveau cours que prennent les choses, comme si le passé revenait, se répétait. Que ferait Norbert Zongo s’il était confronté à nos réalités d’aujourd’hui ? Par ce questionnement actuel, essayons de voir ce que la vie et la pratique du journaliste Norbert Zongo nous disent de notre monde, et nous commanderaient de faire.
Pourquoi Norbert Zongo est mort ? On sait aujourd’hui qu’il n’est pas mort à cause de sa passion pour la nature et les animaux, mais bel et bien pour sa profession de journaliste investigateur.
Le silence des gens bien
C’est parce qu’il a essayé de savoir pourquoi le chauffeur de François Compaoré, David Ouédraogo, est mort, après avoir été livré à des éléments de la garde présidentielle et non à la police et à la gendarmerie, par son patron qui aurait perdu de l’argent à son domicile. Norbert Zongo, en faisant cela, a enseigné que la presse doit prendre la parole face aux violences. Le silence est une complicité, c’est un échec des personnes justes qui n’ont pas pu s’émanciper par une parole libre. Comme il le disait : « Le pire n’est pas la méchanceté des gens mauvais mais le silence des gens bien ». En temps de guerre, le silence de la presse doit être un choix conscient, une arme stratégique de ne pas dire ce qui peut être utile à l’ennemi. Elle ne doit pas choisir d’étouffer sa voix face à des dérives qui détruisent les libertés, produisent des inégalités dans les droits, entament la cohésion sociale.
Quand le silence n’est pas choisi par la presse elle-même, ce silence par inaction, par lâcheté, est une réduction au silence. Et dans ce cas de figure, les journalistes agissant ainsi ont tort. Ils sont handicapés, n’ayant pas la capacité d’agir sur l’actualité. La vie de Norbert Zongo est une illustration de cette volonté de ne pas être réduit au silence. Tout jeune, il a été séduit par l’expression de ses opinions, la communication de l’information par la création de journaux scolaires. Quand il ne pouvait pas s’exprimer librement dans la presse d’Etat, il écrivait des romans, il collaborait avec les journaux privés quand ceux-ci sont apparus dans le pays. Quand le pouvoir a voulu le faire taire en l’éloignant de la capitale, il a créé son journal L’Indépendant en démissionnant de la fonction publique en disant « Bory bana » comme Samory Touré face à l’armée coloniale.
Pour ceux qui ont connu la période du Front populaire, du régime du clan Compaoré, on est surpris par certains évènements actuels qui semblent provenir du passé comme si l’histoire se répétait dans ce qu’elle a de plus horrible. Quand Norbert Zongo menait ce combat, il était seul menacé de mort dans une presse privée débutante, balbutiante. Le slogan des assassins du régime était : « tu fais, on te fait, et il n’y a rien. » A l’annonce de sa mort, le peuple est sorti pour dire, que Henri Sebgo n’avait rien fait et que ceux qui l’ont tué devraient payer : vérité et justice pour Norbert Zongo et ses compagnons clamait-il. Il a appelé aussi son mouvement « Plus jamais ça », pour dire que la violence en politique devrait cesser.
Mais 36 ans après le bain de sang du conseil de l’entente, 25 ans après les crimes de Sapouy, dans le pays de Thomas Sankara et de Norbert Zongo, la violence politique est un chant de guerre encore populaire, les machettes sont aiguisées pour aller combattre des gens qui pensent autrement alors que celle des mots est reine sur les réseaux sociaux. Comment cela a pu advenir ? Alors que pendant plus de trois ans après la mort de Norbert Zongo, dans le pays entier, les populations marchaient, manifestaient sous la direction du Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques(CODMP) pour réclamer la justice et mettre fin à jamais à la violence des gouvernants qui dirigent le pays.
On a assisté en ces moments à un regroupement de toutes les tendances politiques de la gauche du pays allant du MLN, aux partis sankaristes et au PCRV, avec des partis libéraux comme le RDA et l’UNDD. C’est avec l’organisation des élections législatives que le pouvoir Compaoré a réussi à briser cette opposition au large spectre.
Impacter son pays
Norbert a dit que la vie d’un homme devrait se compter, non en nombre d’années, mais au nombre de bienfaits pour les autres. Le peuple burkinabè a compris cela en lui témoignant sa reconnaissance pour sa vie au service des autres. Le sacrifice suprême qu’il a consenti pour la vérité, la liberté et la justice. L’essentiel des leçons à la presse de Norbert Zongo est contenu dans ces trois mots, sans lesquels il ne peut y avoir une presse indépendante, libre, responsable, utile à un pays et à ses gouvernants.
Norbert Zongo a été un journaliste responsable, libre, indépendant, utile à son pays et à ses gouvernants. Dès les premiers instants de sa mort, la foule immense de centaines de milliers de Ouagalais qui l’accompagnaient à sa dernière demeure pleurait et indexait la bêtise et la méchanceté d’un pouvoir qui n’a pas compris que ce journaliste lui montrait ce qui ne va pas, ce qu’il faut corriger, améliorer. Elle pleurait que l’on puisse tuer celui qui te conseille. La presse n’est pas faite pour applaudir et acclamer le pouvoir. Et si jamais elle doit l’accompagner comme certains sont portés à le penser, c’est les yeux ouverts qu’elle doit le faire pour lui indiquer les sorties de route. Et comment le faire si on n’est pas libre de penser et de dire ses opinions ? La presse est un précieux outil d’aide à la décision en indiquant les plaies de la société. Durant le bref temps où Norbert Zongo animait son journal, il a fait des enquêtes sur les trafics dans l’exploitation de l’or, sur les avocats véreux qui spoliaient les veuves et les orphelins, en plus de l’enquête au cœur du pouvoir qu’est l’assassinat de David Ouédraogo. Plusieurs fois il a recommandé au pouvoir de reconnaître l’assassinat et d’aller demander pardon à la famille.
Norbert Zongo a impacté son pays par la prise de conscience de la sacralité de la vie. Les luttes multiformes qui ont eu lieu dans le pays de par leur caractère national et la mobilisation de toutes les couches de la société : les jeunes, les femmes, les vieux… Le professeur Joseph Ki-Zerbo, malgré son âge avancé, était un des principaux animateurs du mouvement. Il a donné au mouvement son slogan, Nan lara an sara.
En vivant ainsi, Norbert Zongo a vécu utile, il est dommage que nous ne soyons pas assez nombreux à comprendre le sens de son sacrifice pour éviter au pays de refaire les mêmes erreurs.
Sana Guy
Lefaso.net