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Denis Pryen, directeur général de l’Harmattan : « Un auteur, ça se cultive comme une plante »

Publié le jeudi 23 février 2006 à 07h47min

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Denis Pryen

L’Harmattan, c’est cette maison d’édition que les auteurs africains connaissent très bien. Créée en 1975, elle emploie 60 personnes à temps plein. Le directeur général, c’est Denis Pryen, que nous avons rencontré récemment lors d’une visite à l’antenne de l’Harmattan à Ouagadougou, sise aux 1200 logements.

Gestionnaire de la culture, comme il le dit lui-même, il nous parle de ses débuts et des domaines où il intervient. Ceux qui aspirent à être publié sauront ce qui leur reste à faire après l’avoir lu.

Depuis quand dirigez-vous les éditions l’Harmattan ?

Je voudrais d’abord remercier votre journal de l’occasion qu’il m’offre de parler de l’Harmattan, qui n’est peut-être pas bien connu au Burkina. Je suis le directeur général et même le fondateur puisque nous avons lancé l’Harmattan en 1975.

A l’époque, nous étions quatre à cinq à travailler dans le secteur. Robert Hagenaud, un de nos collaborateurs, nous a quittés par la suite pour lancer Cartala en 1981. Nous étions un groupe d’amis à travailler ensemble avec un projet qui était petit.

Notre but était de travailler un peu sur les autres cultures. Il y avait plusieurs principes qui nous tenaient à cœur : les droits de l’homme et les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ensuite, on était au carrefour des cultures parce que Paris est une ville africaine où on trouve toutes les nationalités.

Il y a un demi-siècle, les décolonisations pointaient à l’horizon et on a beaucoup travaillé à l’époque avec les auteurs africains qui émergeaient. En lançant l’Harmattan en 1975, on ne savait pas qu’il grandirait aussi vite.

Au départ, on pensait publier une quarantaine de livres par an, mais aujourd’hui, on en fait huit par jour ouvrable et plus de 1500 titres par an. On a travaillé au service de la recherche et peu à peu, on a remplacé toutes les presses universitaires qui fermaient les unes après les autres parce qu’elles manquaient de subvention.

Il faut dire que depuis 1975, on a toujours dit que le monde de l’édition en sciences humaines était en crise, mais à l’Harmattan, on a toujours su travailler pour adapter les méthodes de production. Au début, on avait un petit local à Paris. Actuellement, nous avons 375 directeurs de collections et la majorité travaillent de façon bénévole.

Généralement, en France, les entreprises privées portent le nom de leurs promoteurs. Mais vous, vous avez choisi l’Harmattan. Peut-on savoir pourquoi ?

C’est une question de choix. Nous, quand il fallait trouver un nom à notre maison d’édition, on n’a pas oublié qu’on est au carrefour des cultures. On travaille beaucoup avec l’Afrique noire et j’avais auparavant fait le Sénégal.

On cherchait quelque chose qui frappe et quand on s’est souvenu que l’harmattan est un vent sec qui trouble et qui dérange tout le monde, pour nous c’était un nom qui sonnait bien. C’est ainsi que nous avons opté pour l’Harmattan, pour être au carrefour des cultures.

Comme on le sait, l’Harmattan a une antenne au Burkina Faso. Quel est exactement son rôle ?

Depuis une quinzaine d’années, on constate qu’en Afrique Francophone, le monde universitaire et d’autres personnes ont des difficultés pour se faire publier. Vous conviendrez avec moi que les problèmes économiques sont à la base de cet état de fait.

C’est pourquoi nous avons pensé à implanter des antennes dans des pays africains pour aider tous ceux qui ont des projets dans tel ou tel domaine. Comme à Ouaga, nous avons des antennes à Kinshasa et à Conakry.

Notre objectif est de faire en sorte que les intellectuels, les « écrivants » pour ne pas dire écrivains, les poètes, les nouvellistes, les dramaturges puissent facilement rencontrer quelqu’un pour pouvoir remettre leurs textes pour publication.

Paris, ce n’est pas la porte d’à côté et l’antenne sur place est chargée d’éditer et de nous faire remonter le livre et on coédite. Ce qui veut dire qu’il y aura la marque de l’Harmattan locale et de l’Harmattan Paris. Cela nous permet d’être plus proche des auteurs pour une bonne animation.

Le deuxième objectif, c’est qu’on s’aperçoit surtout que le livre coûte très cher. Nous, nous faisons l’effort pour qu’il y ait des surremises aux libraires. Malgré tout, les livres ne sont pas à la portée de tout le monde.

C’est pourquoi, nous cherchons à faire en sorte que le livre puisse arriver à l’universitaire ou à l’étudiant à 50% du prix de la France et même moins. A l’Harmattan, on sait que le problème économique des intellectuels, et notamment des étudiants, est insoluble.

De nos jours, on ne voit pas comment un étudiant peut mettre 12 000 ou 13 000 FCFA dans un livre. Nous veillons à ce que les prix oscillent entre 4 500 FCFA et 6000 FCFA. Aux 1200 logements où se trouve notre antenne, nos prix sont abordables et nous allons continuer dans cette optique.

Justement, je suis venu ici pour suivre les activités de l’antenne et renforcer son dynamisme. La librairie, pour l’instant, n’a que les livres de l’Harmattan. A mon retour, je vais essayer de trouver des éditeurs en France qui vont accepter de fournir des livres à prix réduit. Je souhaite que la librairie devienne plus importante.

Il faut que les universitaires aient plus de moyens de travailler. J’ai aussi mis à profit mon séjour pour rencontrer les auteurs burkinabè. Nous avons échangé sur les problèmes de l’édition.

Aujourd’hui, beaucoup de nos livres peuvent déjà se vendre par téléchargement. Dans un prochain voyage, on essaiera d’organiser une conférence publique pour aborder tous les problèmes de l’édition.

Quels sont les critères de sélection des œuvres que vous recevez ?

Les critères sont simples. En poésie, en théâtre et en roman, les œuvres doivent être bien écrites. L’écriture ne doit pas être comme une simple rédaction, mais chaleureuse et coulante. Somme toute, on doit sentir les qualités littéraires du texte.

En littérature, nous sommes assez exigeants. En installant une antenne au Burkina, c’est pour aider à l’émergence de la littérature burkinabè. Il faut qu’il y ait plus d’auteurs ici. Il y a eu une première génération et maintenant il faudrait que les jeunes prennent le relais dans les différents genres et dans la critique littéraire.

Par ailleurs, nous sommes demandeurs de textes en sociologie, en économie politique et en politique. Et là, la première qualité d’un document, c’est qu’il doit apporter quelque chose à la connaissance des uns et des autres. Personnellement, je suis pour des thèmes sur les questions de santé et de l’emploi.

Par exemple, comment les jeunes intellectuels qui arrivent sur le marché du travail aujourd’hui peuvent trouver du boulot ? Des études sur la police pour savoir si elle est aujourd’hui au service de la population seraient également intéressantes. On vient de sortir un livre sur la question des radars de Sarkozy (1).

En France, on est libre de le faire et cela de façon positive. Au Burkina, les thèmes ne manquent pas, mais malheureusement, souvent, les intellectuels sont trop pris par la nécessité de gagner d’abord leur vie et de manger aujourd’hui. Ce qui fait qu’ils n’ont pas toujours le temps de prendre la plume pour réfléchir.

Quels sont les auteurs burkinabè que vous avez eu à publier ?

A ce jour, nous avons publié une cinquantaine d’auteurs burkinabè. Parmi eux, je peux citer Joseph Issoufou Conombo, Mahamoudou Ouédraogo, Taladia Thiombiano, Roger Bila Kaboré, Magloire Somé, Boubacar Diallo, Titinga Frédéric Pacéré, Armand Joseph Kaboré, Mahamadé Sawadogo, Sarata Traoré, Alfred Sawadogo, Valère Somé et Alain Joseph Sissao. Nous avons d’ailleurs demandé à Armand Kaboré de faire une enquête sur le livre scolaire au Burkina Faso.

Quelles sont les clauses principales des contrats que vous avez avec les hommes de lettres ?

Les contrats que nous avons avec les écrivains burkinabè sont identiques à ceux de chez nous. Pour ce qui est de la poésie, du roman, de la nouvelle et du théâtre, nous éditons au départ 500 exemplaires. Je précise que l’auteur ne perçoit rien.

Le plus important pour lui, c’est de voir son oeuvre publiée. Quand un écrivain ou un poète a fini son manuscrit, on lui demande de faire le prêt à clicher. Et c’est là que notre antenne locale doit jouer un rôle à côté des auteurs pour les aider à mettre en page.

Je vous le dis, c’est un travail qui demande beaucoup de temps. La deuxième condition, quand c’est une thèse ou un roman, on donne l’occasion à l’auteur d’acheter une cinquantaine d’exemplaires pour qu’il puisse faire une dédicace.

Il doit écouler ce qu’il a pris et s’il en vend 30, il récupère sa mise puisqu’il a 50% sur le livre. Ce sont des conditions certes difficiles, mais elles sont négociables. Je crois que la question économique devient secondaire. Pour nous, l’important est que le texte soit bon.

Pour les autres genres, à quel moment l’auteur perçoit-il quelque chose ?

L’auteur perçoit quelque chose à partir du cinq cent unième livre. Quand on parle de l’économie du livre, il faut savoir que le prix d’un livre en France par exemple vaut 10 000 FCFA, la remise du libraire étant de 33% au départ.

Or, si on veut être présent dans les grands magasins comme les FNAC, on va leur faire jusqu’à 42%. Donc, si un livre coûte 10 000 FCFA, il y aura déjà 4 200 FCFA pour le premier distributeur, plus la TVA qui est de 50%.

Il faut savoir que le plus cher chez nous, ce n’est pas l’imprimeur mais le distributeur. Pour un livre édité à 500 exemplaires, l’éditeur perd comme l’auteur, qui ne perçoit rien. Mais l’écrivain ou le poète a sa carte de visite.

La majorité des gens, qui ont fait des études supérieures dont les thèses ont été publiées, sont sollicités un peu partout pour des conférences. C’est un avantage non négligeable. Pour la littérature, le premier capital, c’est d’être reconnu.

Chez nous, les auteurs se posent moins la question de savoir ce que leurs livres vont leur rapporter. Vous savez, le plus important chez eux, c’est d’exister.

A l’Harmattan, l’édition d’un livre revient à combien ?

Quand on parle du coût d’un livre, il faut savoir que ce qui est incontournable, ce sont les allers et retours des manuscrits qu’on reçoit. Je disais tantôt qu’il y a 375 directeurs de collections.

A l’Harmattan, nous recevons tous les jours une quarantaine de manuscrits que nous transmettons aux directeurs chargés de tel ou tel genre. Ils sont tous des salariés qui consacrent leur temps à enregistrer les manuscrits, à les suivre et à faire en sorte que les réponses arrivent à temps aux auteurs.

En gros, il n’y a pas un manuscrit sur cinq qui sera retenu. En littérature, c’est à peu près un sur dix et en sociologie, un sur cinq. Le va-et-vient des manuscrits pour finalement retenir un seul nous coûte par exemple 200 000 FCFA. C’est déjà quelque chose.

Ensuite, il y a le suivi du prêt à clicher. On a un service de fabrication composé d’une dizaine de personnes, qui suivent uniquement les manuscrits. Quand un texte est truffé de fautes, nous le retournons à l’auteur. Chez nous, une heure de salariat et les charges sociales coûtent à l’entreprise entre 18 et 22 euros.

En somme, une heure de travail en moyenne c’est 13 000 FCFA. On est donc dans une économie qui coûte cher. Après le tirage chez l’imprimeur, on peut dire qu’un livre tiré à 500 exemplaires, qui fait 200 pages, coûte à ce dernier 4 à 5 euros. Mais le plus cher, c’est tout l’environnement.

A l’Harmattan, on a fait le choix puisque c’est sur les livres qui se vendent facilement qu’on fait la marge pour que les autres puissent exister. Je vais vous donner un exemple concret. Il y a trois semaines, on a sorti un livre très problématique sur le Sénégal.

Un livre sur l’affaire Me Babacar Gueye (2), dans lequel on apporte un tas d’informations qui montrent que la responsabilité du pouvoir est totalement engagée. Moi, j’apporte les éléments en tant qu’éditeur et après, c’est à la justice de travailler. Ce n’est pas moi qui vais juger.

On a fait connaître le livre sur Internet au Sénégal. En une semaine, nous avons vendu 1000 exemplaires dans notre point de vente de la rue des Ecoles. Actuellement, ce livre a du succès et il se vend bien. Il va aider dix ou quinze autres livres à pouvoir exister. Voilà un peu le système dans lequel on travaille.

Certains trouvent pourtant que l’Harmattan est cher, ce qui fait que des écrivains préfèrent publier à compte d’auteur. Qu’en pensez-vous ?

Eh bien, ceux qui trouvent que nous sommes chers et qu’ils peuvent être édités à compte d’auteur sont libres de le faire. Mais le gros du problème, c’est qu’un livre qui sort à compte d’auteur n’a pas de label. Il a souvent une mauvaise réputation.

Qu’est-ce qui vous fait dire que publier à compte d’auteur donne mauvaise réputation au livre ?

Généralement, il n’y a pas un comité de lecture qui fait le choix et ce n’est pas du tout intéressant. Mais je dois reconnaître qu’il y a quand même des œuvres qui sont de qualité. L’Harmattan, à mon avis, n’est pas cher compte tenu de l’environnement dans lequel nous évoluons.

Si nous publions tous les jours des livres, c’est que les gens savent que nos conditions sont meilleures qu’ailleurs. Nous ne demandons pas par exemple, pour une thèse, des millions de FCFA. Il faut bien se renseigner quand on a un projet. En littérature, nous disons à l’auteur ce qu’il faut faire.

Actuellement, notre site Internet permet aux écrivains d’être connus internationalement. Sur le site de l’harmattan, il y a 11 000 visites par jour et la moyenne de ces visites, c’est 25 minutes et plus. C’est donc une vitrine qui permet de faire connaître les auteurs.

Après la sortie d’un livre, est-ce l’Harmattan qui fixe le prix ou bien cela se fait en concertation avec l’auteur ?

Normalement, c’est toujours l’harmattan qui fixe le prix. Il faut savoir que sur tous les livres qui partent sur l’Afrique, on fait une baisse de 20% aux libraires qui en font les commandes.

Un livre, qui se vend à 10 000 FCFA en France, sera proposé aux libraires à 8000 FCFA avec une remise de 33%. Ce prix est aussi fait aux auteurs et cela leur revient à 50%.

Un écrivain peut-il, après la sortie de son livre, en faire la promotion ?

Bien sûr que oui puisque nous souhaitons que tout auteur suive son ouvrage, participe à des signatures et fasse des conférences. Malheureusement, on ne peut pas le faire venir en France parce que le voyage coûte cher.

Mais s’il a l’occasion de venir en France, on essaie de lui organiser une rencontre avec RFI ou RFO de façon à lui permettre de se faire connaître. Quand nous sortons un livre, on le met sur Internet pour que l’auteur soit près de son livre.

Un auteur se fait par plusieurs livres. Un écrivain, qui a un seul livre, s’il n’écrit plus, deux ou trois ans après, il disparaît. Un auteur, ça se cultive comme une plante.

Quel est le délai de publication d’une œuvre ?

Pour tous les manuscrits qu’on reçoit, le délai de décision est à peu près de six semaines. Après ce délai, l’auteur reçoit une note positive ou négative. Si en littérature ou en sciences humaines une œuvre est retenue, on vous donne des consignes pour ce fameux prêt à clicher.

C’est une composition qui sera mise aux normes avec une mise en page sans faute. Si on reçoit un document sans faute, la fabrication va aller vite. Si par contre, il y a des fautes, il faut s’attendre à ce qu’il y ait deux ou trois allers-retours. Et ça peut être long. Un livre qui est décidé positif aujourd’hui, devrait être sur le marché en avril ou en mai.

Quelles sont les causes qui vous amènent souvent à rejeter certains manuscrits ?

En littérature notamment, l’écriture n’est pas souvent très au point. En poésie et en théâtre, ce sont des genres difficiles. Il ne suffit pas d’écrire d’un seul jet, il faut souvent retravailler l’œuvre et l’enrichir.

En sociologie, c’est que souvent, le thème n’est pas fouillé et une partie de l’analyse n’est pas suffisamment riche. Toutefois, il ne faut pas se décourager quand on entreprend quelque chose. A l’Harmattan, on est toujours prêt à publier, mais on reste vigilant sur la qualité et la tenue des manuscrits.

Peut-on dire aujourd’hui que l’Harmattan est un empire financier ?

Ce que je peux dire, c’est que nous sommes numéro 1 en nombre de titre en France depuis longtemps. L’harmattan, maintenant, est devenu assez gros dans les activités humaines. Nous reposons sur une base humaine extrêmement forte.

Les gens qui travaillent avec nous sont motivés. Nous avons actuellement 60 employés à temps plein plus 375 directeurs de collections, dont certains passent plusieurs heures par jour à suivre les manuscrits. L’avantage de l’Harmattan, c’est que nous n’avons pas d’actionnaires qui viennent demander un intérêt sur l’argent.

L’Harmattan appartient à Denis Pryen et des proches. Quand vous avez une entreprise, les gens qui possèdent les capitaux exigent souvent 7 ou 10% par an. Si on faisait ça, on n’aurait pas pu avancer.

Entretien réalisé par Justin Daboné

Observateur Paalga

P.-S.

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