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Tchad-Banque mondiale : l’ogre et l’idiot

Publié le samedi 11 février 2006 à 06h56min

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Le 29 décembre 2005, les députés tchadiens votaient à une écrasante majorité (119 voix contre 13 et une abstention) la modification de la fameuse loi dite 001 qui prévoyait notamment que 10 % des revenus pétroliers soit affecté à un compte bloqué dit pour les générations futures, 80 % serve à financer des projets de développement socioéconomiques, 5 % consacré à la région de Doba et 5 % au gouvernement tchadien.

La nouvelle loi supprime le fonds pour les générations futures et porte en outre de 15 à 30 % la part de revenus pétroliers utilisable par le gouvernement sans le moindre contrôle. Depuis lors, c’est le désamour complet entre le Tchad et la Banque mondiale dont aucun des deux n’a la décence de se préoccuper du sort des véritables victimes de ce bras de fer que sont les populations.

Pays pauvre et enclavé, le Tchad produit du pétrole depuis 2003, pétrole acheminé par un oléoduc long de 1070 km et qui relie les 300 puits de pétrole de la région de Doba (Sud du Tchad) au terminal d’exportation de brut de Kribi sur la côte camerounaise. Avec des gisements prévus pour générer 225 000 barils de pétrole par jour, le Tchad était parti pour une période de prospérité et les populations touchées par le tracé de l’oléoduc étaient certaines de voir leurs conditions améliorées par les retombées de la manne pétrolière. C’est avec cette vision prometteuse (on le suppose) que la Banque mondiale a donné son aval à ce projet financé en grande partie par le consortium pétrolier Exxon Mobil, Chevron-Petronas.

Les concepts-clés de ce projet avaient de quoi séduire ; transparence, éthique, contrôle des mouvements d’argent, participation et consultation de la population, lutte contre la pauvreté, respect de l’environnement.

Avec de telles balises, toutes les garanties des bénéfices et du bon déroulement du projet sont présentes. La réalité sur le terrain allait être différente de ce panorama idyllique et le Tchad, alléché par les premiers dividendes n’allait pas tarder à dénoncer les accords le liant à la Banque mondiale ajoutant la confession là où s’installait déjà le désordre. En effet, selon l’organisation écologique, "les amis de la terre", l’oléoduc sème "misère et dévastation". Contrairement aux prévisions de la Banque mondiale, des milliers de Tchadiens et de Camerounais ont été expropriés de leur terre, les cultures et les végétations détruites, les réserves d’eau et des écosystèmes de grands fleuves pollués tandis que les compensations se révélaient insuffisantes. Concernant les emplois, sur les 5000 promis aux populations locales, la plupart ont échu à des étrangers. La migration sur les lieux de travail a provoqué des troubles sociaux dans les communautés, une recrudescence de l’alcoolisme et de maladies sexuellement transmissibles et attiré de jeunes prostituées venues de tout le pays.

Une aubaine et malgré tout un avenir hypothéqué

Du côté financier, le premier versement de 5,6 millions de dollars a, selon des observateurs, été utilisé par les autorités tchadiennes à l’achat de matériel militaire et le FMI annonce que 9,3 autres millions n’ont pas été "justifiés". On patauge vraiment dans du brut. Il est vrai que les autorités tchadiennes prétextant le caractère absolu de la souveraineté nationale, ont fait voter une loi élargissant les secteurs auxquels seront consacrés les revenus pétroliers par l’ajout de ceux administratifs et sécuritaires et surtout qui mettait un terme à cette absurdité qu’est le Fonds bloqué dit pour les générations futures. Toutefois, il n’est pas moins vrai non plus que c’est sous la pression de cette même Banque mondiale et de compagnies internationales que le parlement tchadien avait adopté en 1999 cette même loi relative à la gestion des revenus pétroliers.

A l’époque, le souci principal était de voir aboutir le projet et comme parfois il faut faire l’âne pour avoir le foin, l’"idiot" tchadien a plié l’échine devant des exigences de l’ogre Banque mondiale. Aujourd’hui, le projet est une réalité et, se sentant enfin lésé, l’idiot d’antan décide à présent d’y remédier.

Dans tous les cas, les infrastructures sont déjà là, que la Banque vienne les enlever si elle le veut, ce sont les populations qui de toutes façons paieront les pots cassés. C’est ainsi que, fidèle à son habitude, la Banque mondiale vient encore, dans ce bourbier tchadien, de passer à côté des objectifs annoncés.

D’ailleurs, un programme d’étude du Centre des droits de l’Homme de l’université du Minnesota dénonce ce rôle restrictif en particulier la tyrannie engendrée par les "ajustements structurels" qu’impose la Banque mondiale aux pays en développement en échange de financements. Ces ajustements induisent qu’il faille réduire les dépenses des Etats, anéantir des organes publics, dévaluer des devises et privatiser des entreprises publiques. Un désastre social et humain qui s’ajoute aux dégâts environnementaux inhérents aux projets de la Banque mondiale.

Si donc les bases méthodologiques et idéologiques de la Banque mondiale ne participent pas au respect des droits de l’Homme et de son environnement, pourquoi ne pas transformer profondément l’ensemble du système international ? Si le partenariat Tchad - Banque mondiale vient à être enterré, ses conséquences seront désastreuses pour le pays, en premier lieu les populations mais cela est-il vraiment une préoccupation pour qui que ce soit ? Toujours demander plus et toujours s’oublier plus, ainsi se font chaque fois reconnaître l’ogre ou l’idiot.

Luc NANA
L’Hebdo

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