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Royaume du Maroc : Regard sur le passé, cap sur l’avenir

Publié le samedi 11 février 2006 à 06h56min

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L’Instance équité et réconciliation (IER) et le Comité d’étude sur le développement humain (CEDH 50) mandatés par Sa Majesté le roi du Maroc, ont mené un travail d’investigation, d’analyse et de propositions dans le domaine des droits de l’homme et celui du développement humain.

A l’issue de leur mission, ces deux instances ont présenté chacune, un rapport général sur leurs travaux à Sa Majesté le roi. Il en a ordonné la publication, de manière à ce que les opinions publiques marocaine et internationale en prennent connaissance. Nous vous proposons une synthèse du rapport de l’IER.

Le travail de l’IER pour la manifestation de la vérité au Maroc a été mené sous plusieurs formes : les auditions publiques des victimes( diffusées sur les médias publics), les témoignages enregistrés et conservés, les archives et documents divers, les enquêtes de terrain (effectuées auprès des familles des personnes portées disparues, d’anciens disparus <<réapparus » et libérés) ainsi que les opinions pluralistes sur près d’un demi-siècle de l’histoire du pays. Les informations ainsi collectées ont permis de faire défiler les épisodes de cette histoire et les types de violations, restés jusque-là dans le silence, le tabou ou la rumeur.

Parmi ces violations, il importe de retenir la question des disparitions forcées, ou des personnes au sort demeuré inconnu. Des visites dans les anciens lieux de détention ou de séquestration, et l’audition d’anciens gardiens ayant exercé dans ces lieux, ont permis de collecter une somme d’informations utiles pour l’éclairage du passé.

L’analyse de l’ensemble des documents disponibles au niveau national et international (listes noires, sites web, rapports, etc) faisant référence, à des cas de disparitions ou de violations des droits de l’homme, le recoupement des sources et l’examen des réponses reçues de la part des autorités et les témoignages recueillis, ont abouti à la localisation avec précision des lieux de sépulture et l’identification de 89 personnes décédées en cours de séquestration, notamment à Tazmamart (31), Agdez (32), Kal’at Mgouna (16), Tagounite (8)...

L’IER a également localisé les lieux de sépulture, et déterminé l’identité de 11 personnes décédées lors d’affrontements armés, dont un groupe de 7 personnes décédées en 1960 (Groupe Barkatou et Moulay Chafii) et un autre de 4 personnes en 1964 (Groupe Cheikh AL Arab).

La vérité et les responsabilités

Les investigations de l’IER ont revélé que 325 personnes, considérées comme faisant partie de la catégorie des disparus, sont en réalité décédées lors des émeutes urbaines de 1965, 1981, 1984 et 1990, du fait d’un usage disproportionné de la force publique lors de ces événements. Ils se sont produits principalement à Casablanca en 1965, à Fès en 1990, à Tétouan, à Ksar El Kébir, à Tanger, à Nador et les localités avoisinantes. L’IER a pu aussi déterminer dans certains cas et l’identité et le lieu d’inhumation des victimes. Dans d’autres cas, les lieux d’inhumation ont été déterminés sans parvenir à préciser l’identité des victimes.

Dans certaines circonstances, l’identité des victimes a été établie sans pouvoir localiser leurs lieux d’inhumation. Dans ses investigations, l’lER a pu constater que la majorité des victimes avaient été enterrées nuitamment, dans des cimetières réguliers, en l’absence des familles, sans que le parquet ne soit saisi ou n’intervienne. Selon les révélations de l’IER, 173 personnes sont décédées en cours de détention arbitraire ou de disparition, entre 1956 et 1999, dans des centres de détention, principalement de Dar Bricha, Dar Al Baraka, Tafnidilte, Courbiss et de Derb Moulay Chérif.

Mais leurs lieux d’inhumation n’ont pu être déterminés. Parmi ces cas, 39 relèvent des événements des premières années de l’indépendance, impliquant en partie la responsabilité d’acteurs non étatiques. Les années1970 ont enregistré le nombre le plus élevé de décès suspects (109 cas), alors que les décennies suivantes ont connu une nette régression : 9 cas pour les années 1980 et 2 cas pour les années1990. Dans le contexte du conflit dans les provinces du sud marocain, les investigations de l’IER ont permis de clarifier le sort de 211 personnes présumées disparues dont 144 sont décédées durant ou à la suite d’accrochages armés. Pour 40 d’entre elles, les identités, les lieux de décès et d’inhumation ont été déterminés.

Pour 88 autres, si l’identité a pu être déterminée et le lieu de décès localisé, les lieux de sépulture ne sont pas encore connus. 12 personnes décédées n’ont pu également être identifiées, alors que 4 autres, blessées, arrêtées et hospitalisées sont décédées dans les hôpitaux, et ont été enterrées dans des cimetières localisés. Enfin, 67 personnes présumées disparues ont été reconduites à Tindouf en Algérie, par l’intermédiaire du Comité international de la Croix Rouge en date du 31 octobre 1996. En somme, les investigations de l’IER ont permis d’élucider 742 cas, toutes catégories confondues.

Soixante-six (66) autres cas de victimes qu’elle a analysés rassemblent les éléments constitutifs de la disparition forcée. L’Etat a l’obligation de poursuivre les investigations entamées par les soins de l’IER, afin d’élucider leur sort. Des difficultés ont entravé la recherche de la vérité. Parmi elles, figurent notamment la fragilité de certains témoignages oraux auxquels l’Instance a remédié par le recours à des sources écrites, l’état déplorable de certains fonds d’archives nationales quand elles existent, la coopération inégale des appareils de sécurité, l’imprécision de certains témoignages d’anciens responsables et le refus d’autres de contribuer à l’effort d’établissement de la vérité. Mais il reste que les travaux de l’Instance ont revelé un pan important de l’histoire du Maroc, en ce qui concerne les graves atteintes aux droits de l’Homme qu’a connues ce pays.

La réparation des préjudices

Le travail de l’IER ne s’est pas limité au diagnostic des cas graves de violation des droits de l’Homme, des disparitions forcées, à l’exhumation des victimes de violences en politique et autres. Il a aussi et surtout porté sur la réparation des préjudices subis par les victimes. A cet effet, l’IER a ouvert, instruit et pris des décisions concernant 16 861 dossiers individuels sur la base de demandes reçues. Trois domaines sont concernés : les indemnisations, la réhabilitation médicale et psychique et la réparation communautaire. Ainsi, 9280 victimes bénéficieront d’une indemnisation. Parmi elles, 1895 ont fait l’objet en outre d’une recommandation supplémentaire portant sur d’autres modalités de réparation (réintégration dans la Fonction publique, régularisation de la situation administrative ou professionnelle, etc.). En outre, 1499 victimes, ayant déjà bénéficié entre 1999 et 2003 d’indemnisations de la part de l’Instance indépendante d’arbitrage, ont fait l’objet de la part de l’IER, de recommandations particulières concernant les autres formes de réparations. L’IER a ainsi positivement répondu aux demandes de réparations de 9779 victimes des violations suivantes : disparition forcée, détention arbitraire suivie ou non de procès, ou suivie d’une exécution capitale, décès, blessures et détention arbitraire durant les émeutes urbaines, exil forcé, violences sexuelles, privation de liberté, tortures ou tous autres traitements inhumains, dégradants ou cruels. Durant son mandat, l’IER a mis en place une unité médicale d’accueil et de soutien pour les catégories de victimes nécessitant une intervention urgente. Elle a en outre, procédé à une analyse des dossiers de 9 000 demandeurs ayant fait état dans leurs dossiers de maladies suite à une violation. Pour ces cas, l’IER préconise l’extension de la couverture médicale obligatoire à toutes les victimes identifiées et à leurs ayants droit, la prise en charge immédiate et personnalisée de près de 50 victimes souffrant de séquelles graves et chroniques, la création d’un dispositif permanent d’orientation et d’assistance médicale des victimes de la violence et de la maltraitance.

Partant du constat que certaines régions et communautés considèrent avoir souffert collectivement, de manière directe ou indirecte, des séquelles des crises de violence politique et des violations qui s’en sont suivies, l’IER a accordé une place particulière à la réparation communautaire. Elle a ainsi préconisé l’adoption et le soutien de nombreux programmes de développement socio-économique et culturel, en faveur de plusieurs régions et groupes de victimes (notamment les femmes) dans plusieurs villes (Casablanca) et régions dont le Rif, la région de Figuig, Tazmamart, Agdez-Zagora, le Moyen Atlas. . .

Pour que plus jamais çà, l’IER a recommandé particulièrement la reconversion d’anciens centres illégaux de détention (Tazmamart, Agdez, Derb MouIay Chérif à Casablanca,...). Des mesures en ce sens sont d’ores et déjà en cours d’exécution.

Des recommandations pertinentes

Afin de garantir la non répétition des violations graves des droits de l’homme et de consolider le processus de réformes dans lequel le pays s’est inscrit, l’IER a émis quatre recommandations d’importance portant notamment sur des réformes constitutionnelles, la mise en oeuvre d’une stratégie nationale de lutte contre l’impunité et le suivi des recommandations. A ce titre, l’IER préconise « la consolidation des garanties constitutionnelles des droits humains » notamment par l’inscription des principes de primauté du droit international des droits de l’homme sur le droit interne et par l’inscription de la présomption d’innocence et du droit à un procès équitable.

L’IER recommande par ailleurs le renforcement du principe de la séparation des pouvoirs, et l’interdiction constitutionnelle de toute immixtion du pouvoir exécutif dans l’organisation et le fonctionnement du pouvoir judiciaire.

Elle recommande d’expliciter dans le texte constitutionnel, la teneur des libertés et droits fondamentaux, relatifs aux libertés de circulation, d’expression, de manifestation, d’association, de grève, ainsi que des principes, tels que le secret de la correspondance, l’inviolabilité du domicile et le respect de la vie privée. L’IER recommande en outre de renforcer le contrôle de la constitutionnalité des lois et des règlements autonomes ressortant de l’Exécutif, en prévoyant dans la constitution le droit d’un justiciable à se prévaloir d’une exception d’inconstitutionnalité d’une loi, ou d’un règlement autonome.

A l’instar de l’interdiction constitutionnelle déjà ancienne du parti unique, L’IER recommande la prohibition de la disparition forcée, de la détention arbitraire, du génocide et autres crimes contre l’humanité, de la torture et tous traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants. Elle recommande enfin l’interdiction de toutes les formes de discrimination internationalement prohibées, ainsi que toute forme d’incitation au racisme, à la xénophobie, à la violence et à la haine.

Dans le domaine de l’éradication de l’impunité, L’IER recommande « l’adoption et la mise en oeuvre d’une stratégie nationale intégrée de lutte contre l’impunité », à travers des réformes juridiques, l’élaboration et la mise en place de politiques publiques dans les secteurs de la justice, de la sécurité et du maintien de l’ordre, de l’éducation et de la formation permanente. Une implication active de l’ensemble de la société s’avère indispensable. Cette stratégie doit avoir pour fondement le droit international des droits de l’Homme, en procédant à l’harmonisation de la législation pénale avec les engagements internationaux du pays.

Et ce, en intégrant dans le droit interne les définitions, les qualifications et les éléments constitutifs des crimes de disparition forcée, de torture et de détention arbitraire ; en reprenant la définition de la responsabilité et des sanctions encourues en conformité avec les instruments internationaux ; en faisant obligation à tout membre du personnel civil ou militaire chargé de l’application de lois de rapporter toute information concernant les crimes, quelle qu’en soit l’autorité commanditaire. Enfin, en renforçant de manière significative la protection des droits des victimes et des voies de recours.

Considérant que la consolidation de l’état de droit exige « des réformes dans le domaine sécuritaire, de la justice, de la législation et de la politique pénales », l’IER recommande la gouvernance des appareils sécuritaires, exige notamment la mise à niveau, la clarification et la publication des textes réglementaires relatifs aux attributions, à l’organisation, aux processus de décision, aux modes d’opération et aux systèmes de supervision et d’évaluation de tous les appareils de sécurité et de renseignement, sans exception, ainsi que des autorités administratives en charge du maintien de l’ordre public, ou ayant le pouvoir de recourir à la force publique.

Elle recommande le renforcement de l’indépendance de la justice, qui passe, outre les recommandations d’ordre constitutionnel, par la révision par une loi organique du statut du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). A cet égard, il a été souhaité de confier la présidence du CSM par délégation au Premier président de la Cour suprême, de procéder à l’élargissement de sa composition à d’autres secteurs que la magistrature.

« La mise à niveau de la législation et de la politique pénale » est d’exigence. Elle passe par le renforcement des garanties de droit et de procédure contre les violations des droits de l’homme, une définition des violences faites aux femmes en conformité avec les normes internationales, l’élargissement des prérogatives du juge de l’application de peines ou le recours à des peines alternatives.

Au terme de son mandat, l’IER considère que les questions suivantes doivent faire l’objet de « procédures et de mécanismes de suivi » . - l’exécution des décisions relatives à l’indemnisation et le suivi de la mise en oeuvre des autres modalités de réparation dont la réhabilitation médicale et psychique des victimes, les programmes de réparation communautaire, - la mise en oeuvre des recommandations relatives à l’établissement de la vérité concernant les cas non encore élucidés,

- la mise en oeuvre des recommandations de réformes formulées par l’IER, - la préservation des archives de l’IER et des archives publiques.

Sita TARBAGDO
Sidwaya

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