LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Crise ivoirienne : Charles Blé Goudé parle

Publié le lundi 6 février 2006 à 00h00min

PARTAGER :                          

Les 16, 17 et 18 janvier 2006, la capitale ivoirienne, Abidjan, et d’autres villes de l’intérieur de la Côte d’Ivoire ont été paralysées par les mouvements de l’Alliance de la jeunesse patriotique. Cette tension faisait suite à la déclaration du Groupe de travail international (GTI) sur la fin du mandat des députés de l’Assemblée nationale. C’est pour en parler que le leader de la jeunesse patriotique, Charles Blé Goudé, a reçu une équipe des Editions "Le Pays". Avec celui qu’on appelle le "Général", sur les bords de la lagune Ebrié, nous avons également abordé la question des sanctions qui pèsent sur lui, de même que les relations entre le Burkina et la Côte d’Ivoire.

Le Pays : Pourquoi avoir manifesté les 16, 17 et 18 janvier pendant qu’il est dit ici à Abidjan que le Groupe de travail international (GTI) n’a pas pris la décision de mettre fin au mandat des députés de l’Assemblée nationale ?

Charles Blé Goudé : Je pense que c’est de la dérision et la mauvaise foi que de le dire. C’est le résultat des manifestations des 16, 17 et 18 janvier qui a amené le Groupe de travail international à se dédire. Le GTI a fait une déclaration qui a provoqué tous ces soulèvements d’autant que ce groupe commençait à se substituer à nos autorités. Nous nous posons la question de l’opportunité de cette organisation et son rôle. Est-ce un groupe pour accompagner le processus de paix ou pour créer des problèmes ou bien légiférer à la place des Ivoiriens ? L’objectif était clair, à savoir dissoudre nos institutions. Il nous fallait réagir et c’est ce que nous avons fait sans regret.

Quelle est alors votre réaction face aux menaces de sanctions de l’ONU qui pèsent sur vous ?

Cela ne me fait ni chaud, ni froid. Et sur quels critères la liste a-t-elle été faite ? Je pense que l’ONU gagnerait à désarmer les rebelles qui ont pris les armes et endeuillent le pays au lieu de se chercher du boulot inutile à faire. Qu’est-ce qu’on veut obtenir en sanctionnant Blé Goudé et que sanctionne-t-on ? Le fait de manifester dans les rues, de prendre un matelas pour aller se coucher devant l’ambassade de France ?

Partout ailleurs, quand on veut exprimer son mécontentement, il vaut mieux prendre la rue de manière démocratique que de prendre des armes. Une chose est claire, si c’est pour m’intimider ou pour réduire notre ardeur militante, elle se trompe. Nous sommes décidés à nous battre pour notre indépendance réelle. On demande à l’ONU de ne pas sanctionner des gens qui manifestent librement mais d’arracher les fusils aux rebelles. Et tant que cela n’est pas fait, nous allons faire du bruit au maximum jusqu’à ce qu’elle désarme les rebelles.

Est-ce que vous ne confirmez pas les propos de ceux qui disent que vous êtes un obstacle au processus de paix ?

En quoi une marche, un sit-in devant une ambassade peut être un obstacle à la paix ? Ce n’est pas une manifestation pacifique qui crée le désordre dans le pays ni une entrave à la paix, mais plutôt ceux qui détiennent les armes et tuent.

"Le chef de l’Etat ivoirien a fait ce qu’il avait à faire"

Que préconisez-vous comme actions depuis que la situation s’est apaisée ?

L’objectif aujourd’hui est le désarmement. De Marcoussis à Pretoria en passant par Lomé, le chef de l’Etat ivoirien a fait ce qu’il avait à faire sur tout ce qui a été signé comme accords. Il a amnistié les rebelles dans un premier temps, dissous son gouvernement auquel il ne reprochait rien et nommé un nouveau Premier ministre. Tout récemment, le chef de l’Etat a limogé son ministre des Finances qui, pourtant, a maintenu l’économie du pays dans une situation de crise. Je pense qu’on ne renvoie pas le premier d’une classe mais pour la paix, il a été sacrifié.

L’article 48 a été utilisé pour que Alassane Ouattara soit éligible mais en retour, que font les rebelles et quelle pression est exercée sur eux pour déposer les armes ? Je sais qu’ils n’ont plus grand chose dans leur zone mais la seule véritable rébellion qui existe en Côte d’Ivoire aujourd’hui, c’est la France. Il faut donc que les gens essaient de nous débarrasser de cette guerre, parce que nous sommes fatigués.

L’Alliance de la jeunesse patriotique de Côte d’Ivoire a donné un ultimatum de deux semaines à compter du 28 janvier dernier au Premier ministre Charles Konan Banny. Si la date arrive à expiration, qu’est-ce qui va se passer ?

Quand le terme de l’ultimatum va approcher, ne vous y trompez pas, vous saurez ce qu’on va faire. Je crois qu’il a la chance d’avoir quelques jours pour réfléchir, voir ce qu’il doit faire. Nous avons le temps de nous organiser et l’ultimatum expirant le 12 février, tout le monde entier saura ce que nous allons faire.

Avez-vous le droit de donner un ultimatum au Premier ministre ?

Est-ce que les rebelles sont autorisés à prendre les armes, à piller l’économie du pays et à se faire une économie de guerre ?

Le Premier ministre va-t-il pouvoir, dans cette ambiance, accomplir sa mission d’ici à la fin octobre 2006 ?

Il appartient au Premier ministre de rentrer dans l’histoire par la grande ou la petite porte. Nous l’observons et lui demandons tout simplement de faire le travail pour lequel il a été nommé, c’est-à-dire désarmer les rebelles, réunifier le pays et organiser les élections. Le Premier ministre a un gros problème, parce qu’il n’est pas là de lui-même. Il est en mission commandée par la France. Entre ses ambitions personnelles, l’amour qu’il a pour son pays, et les contraintes de ceux qui l’ont mis là, le Premier ministre aura certainement un choix à faire.

Mais c’est un Premier ministre de consensus...

C’est un mot de distraction. Les gens étaient fatigués et M. Banny est là. Donc on ne revient plus sur ce consensus ou pas. Il n’a qu’à désarmer les rebelles.

Les relations entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire ont pris un sérieux coup au lendemain du déclenchement de la crise, le 19 septembre 2002. Comment deux pays très liés ont-ils pu en arriver à cette situation ?

Quand on est leader ou chef d’Etat d’un pays et qu’on a trouvé en place des relations aussi historiques, il faut savoir les préserver. Tout le monde sait que la base arrière des rebelles de Côte d’Ivoire, c’est bien le Burkina Faso. C’est là-bas qu’ils construisent, font leur week-end, et en partent pour attaquer la Côte d’Ivoire. Qui peut accepter cela ? Est-ce que les Burkinabè sont prêts à accepter que des rebelles qui attaquent leur pays partent du Mali ?

Je ne crois pas qu’ils peuvent l’accepter ; or il ressort que Guillaume Soro, Tuo Fozié et leurs camarades de la rébellion partent toujours du Burkina. Mais je ne sais pas si les Burkinabè savent cette vérité et s’ils le savent, on doit pouvoir trouver la solution à ce problème, parce que les relations entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire doivent être préservées. Cela nous dépasse tous et nous sommes de passage pendant que les deux pays demeurent.

On a vite fait de dire que les Ivoiriens n’aiment pas les Burkinabè. Non, ce n’est pas juste. Il y a des gens qui, dans la pauvreté que nos pays vivent, sont enclins à se laisser avoir. Guillaume Soro et ses camarades vont au Burkina où ils recrutent les gens avec quelques billets. Lorsque nous subissons des attaques, il y a toutes les fois dans le lot de ceux qui attaquent, des Burkinabè. Cela appelle à des interrogations et c’est le problème. Le chef de l’Etat burkinabè ne s’en cache plus et c’est le troisième parrain de la rébellion. Il y a d’abord le président français Jacques Chirac, ensuite Alassane Dramane Ouattara, et enfin le président Blaise Compaoré.

Est-ce pour autant que la communauté burkinabè vivant en Côte d’Ivoire doit subir les conséquences de cette guerre ?

Je crois que non. Chacun, dans sa sphère d’influence, doit faire en sorte que des innocents ne puissent pas subir les affres de cette guerre. Les Burkinabè qui vivent en Côte d’Ivoire et travaillent de manière laborieuse et courageuse doivent profiter du fruit de leur travail. Ils n’ont rien à voir avec les rebelles, mais nous devons tous ensemble interpeller ceux qui pensent que déstabiliser la Côte d’Ivoire ferait plaisir au Burkina Faso. On compte aujourd’hui le Burkina Faso parmi les pays exportateurs de cacao et nous aimerions bien savoir si ce pays produit du cacao. Cela veut dire que le malheur de la Côte d’Ivoire fait le bonheur du Burkina. Est-ce que le Burkina peut accepter que le malheur du Mali fasse son bonheur ? Il faut qu’on évite ce morcellement qui ne fait pas sérieux.

Les pays africains doivent se donner la main pour qu’on puisse un jour amener l’Afrique là où l’Asie se trouve aujourd’hui. Il y a quelques années, ce continent était au même niveau de sous-développement que l’Afrique mais il a percé le marché européen au point que la Chine est la 4e puissance économique au monde. Qu’est-ce que nous faisons si ce n’est pas nous entre-déchirer ou nous entre-tuer ? Si le champ de ton voisin brûle, il vaut mieux l’aider à l’éteindre de peur qu’un jour, il puisse déborder et atteindre le tien. Le Burkina gagnerait à aider la Côte d’Ivoire à sortir de cette crise.

Les Ivoiriens s’en sont pris aux Burkinabè parce qu’ils sont selon eux la cause de leur malheur...

C’est un vieux débat. Il y a eu une situation dans laquelle parmi ceux qui ont attaqué la Côte d’Ivoire, il y avait des Burkinabè, des Maliens, ....
La rébellion est partie du Burkina et y est toujours. Les constructions de Guillaume Soro et ses amis à Ouaga 2000, les parades en boîte de nuit de ceux qui tuent ici et vont se balader au Burkina sont connues de tout le monde. Que voulez-vous que les Ivoiriens fassent ?

Je ne supporte pas qu’on frappe ou expulse les Burkinabè mais il faut résoudre le problème autrement. Les Burkinabè sont nos frères et doivent comprendre que nous avons besoin de leur appui pour sortir de cette situation afin que le monde soit en paix. Si une terre à laquelle vous avez beaucoup donné et qui en retour l’a fait également, est en danger, vous vous donnez la main pour sortir ce pays de la crise. Mais on ne sent pas cela.

"Il n’y a pas de xénophobes en Côte d’Ivoire"

Quelle est votre réaction sur l’image que l’on a de la jeunesse patriotique de Côte d’Ivoire qui développe la haine et la xénophobie ?

Les gens ont effectivement une image de nous que les géniteurs de cette rébellion veulent qu’ils aient de nous et c’est vrai. Les réflexes des gens sont fonction des informations qu’ils emmagasinent. Si à travers toute la presse internationale, on nous présente comme de petits voyous, ceux qui lisent les journaux, écoutent les radios ou suivent la télévision vont croire. Est-ce que je ressemble à un voyou quand vous me regardez ? C’est un problème de communication et de diabolisation. Parmi les patriotes, vous avez des médecins, des avocats, des ingénieurs, .... C’est la population ivoirienne qui n’accepte pas cette mise sous tutelle. Je pense qu’avec le temps, les Africains vont comprendre parce que nous ne sommes pas des voyous et ne recevont d’ordre de qui que ce soit.

Avez-vous des relations particulières avec des Burkinabè ?

Bien sûr que nous avons des amis burkinabè. Une jeune fille burkinabè du nom de Valentine vit chez moi à la maison où je m’occupe d’elle et l’aide pour se prendre en charge. Sa famille est installée depuis des années chez mes parents à Guibéroua. Je ne prends pas en compte toutes ces considérations que je qualifie de n’importe quoi.

Le président de la république Laurent Gbagbo est, dit-on, le parrain de l’Alliance de la jeunesse patriotique. Qu’en dites-vous ?

Il est plus facile d’organiser des marches, des meetings, des sit-in, parce que tout cela coûte moins cher qu’organiser une rébellion. A ce niveau, il faut payer des armes, habiller les militaires, les nourrir, .... Je vous invite à vous rendre à Bouaké, enquêter sur comment Guillaume Soro qui est étudiant comme moi a organisé la rébellion. Les gens ne se sont jamais intéressés aux soutiens de la rébellion mais on dit toujours, qui soutient les jeunes patriotes ? Pour organiser un meeting, on utilise un mégaphone et il n’y a pas grand-chose à payer. Maintenant, que le président Laurent Gbagbo nous soutienne, c’est normal, parce que c’est un démocrate et il soutient ceux qui sont dans la rue et manifestent de façon démocratique.

Quel est l’avenir de ce mouvement après la crise ?

Attendons que le pays retrouve sa stabilité ; prions dans ce sens et nous allons nous revoir pour savoir ce que le mouvement va devenir.

Charles Blé Goudé a-t-il des ambitions politiques et quelles sont ses activités professionnelles en dehors du mouvement ?

Nous sommes en train de faire la politique qui n’est pas ailleurs. Ce n’est pas en étant membre d’un parti politique qu’on fait forcément la politique. Je gère un cabinet de communication et conseil politique dénommé "Leaders team associated".

Qu’aimeriez-vous dire que nous n’avons pas pu aborder ?

Je voudrais simplement préciser qu’il n’y a pas de xénophobes en Côte d’Ivoire et c’est très clair. Il y a une situation de guerre qui a créé des réflexes et je pense qu’aujourd’hui, il faut s’attaquer à la racine. La racine, c’est de faire en sorte que les rebelles déposent les armes et que cette guerre finisse pour que la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso soient en paix, et que l’Afrique arrête ce cycle infernal de guerres, de coups d’Etat, pendant que les autres continents pensent à leur développement. Quand on est opposé et morcelé, il y a un seul vainqueur qui est l’Occident.

Propos recueillis par Antoine Battiono
Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique